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La boîte à outils de la stratégie
Chapitre VIII : Management stratégique

Fiche 03 : Les 3 prismes stratégiques : Définition et concept marketing

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  • Publié le 15 août 2016
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La boîte à outils de la stratégie

8 chapitres / 56 fiches

Les processus stratégiques peuvent être interprétés selon 3 points de vue différents, appelés les prismes stratégiques : le prisme de la méthode fait prévaloir l'analyse et le choix délibéré du dirigeant, le prisme de l'expérience repose sur des approches collectives et culturelles et le prisme de la complexité s'appuie sur la diversité et les évolutions de l'environnement. La prise en compte de ces 3 manières d'expliquer la stratégie donne une meilleure appréhension du déroulement réel du processus.

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Des interprétations complémentaires


Pourquoi l'utiliser ?

Objectif

Différents points de vue interprètent le développement et le déploiement de la stratégie. Ils peuvent privilégier la conception méthodique de la stratégie, être conditionnés par l'expérience ou appréhender la complexité des environnements et des situations.

Contexte

Avec le prisme d'identité de la marque, le dirigeant est le concepteur et le chef d'orchestre unique de la stratégie. Avec le prisme de l'expérience, les routines organisationnelles, le paradigme et la culture d'entreprise expliquent collectivement la stratégie. Avec le prisme de la complexité, ce sont les parties prenantes qui font émerger la stratégie.

Comment l'utiliser ?

Étapes

  • Le prisme de la méthode : l'élaboration de la stratégie est un processus analytique, structuré et directif débouchant sur un positionnement délibéré de l'entreprise. La stratégie est planifiée par le dirigeant.
  • Le prisme de l'expérience : la stratégie découle de l'expérience individuelle et collective, à travers la culture de l'entreprise et son paradigme, ses convictions partagées et implicites. La stratégie évolue progressivement, pas à pas, de façon incrémentale.
  • Le prisme de la complexité : la stratégie se conçoit comme l'émergence d'ordre et d'innovation à partir de la variété et de la diversité qui entourent l'entreprise. Le rôle de l'environnement est déterminant.

Un 4e prisme, celui du discours, peut être ajouté. Il met en exergue le langage utilisé pour communiquer, valider et diffuser la stratégie. Ce prisme du discours dévoile les intentions des acteurs pour obtenir de l'influence, du pouvoir et de la légitimité en tant que stratèges.

Méthodologie et conseils

Le management stratégique doit être considéré selon plusieurs points de vue complémentaires.

Interpréter le management stratégique au travers d'un seul de ces prismes conduirait à en négliger une partie importante. Pour comprendre un phénomène aussi riche et complexe que le processus stratégique, il est indispensable de l'observer à travers ces 3 prismes.

Même si le prisme de la méthode est le plus rassurant pour le dirigeant et les managers, le prisme de l'expérience rend mieux compte de la réalité de la stratégie, en y intégrant le poids de l'organisation et des ressentis individuels et collectifs.

Le prisme de la complexité ajoute le rôle de l'innovation et des idées nouvelles dans la détermination de la stratégie. La nature souvent fortuite des stratégies traduit l'importance de la capacité d'apprentissage et de l'agilité pour l'entreprise dans un environnement turbulent.

Avantages

  • Les 3 prismes ne s'excluent pas mutuellement, mais sont au contraire complémentaires.

Précautions à prendre

  • Les modèles théoriques servent plus souvent à expliquer les stratégies a posteriori qu'à les concevoir. La prise en compte des 3 prismes empêche la focalisation sur les seuls aspects rationnels.

EXEMPLE de Honda à la conquête des États-Unis

Le chercheur américain Richard Pascale publie, en 1984, un article qui décrit l'énorme succès qu'a connu Honda en lançant ses motos sur le marché américain dans les années 1960. Il ne relate pas une, mais 2 versions très différentes, de ce succès.

La version du Boston Consulting Group (le prisme de la méthode)

Le succès des constructeurs japonais a pour origine la croissance de leur marché national dans les années 1950. Grâce à cette base arrière, ils ont bénéficié d'une structure de coûts très compétitive qu'ils ont utilisée comme tremplin, pour pénétrer le marché mondial dans les années 1960, grâce à leurs petites motos. La philosophie de base des constructeurs japonais est que la fabrication en grande série assure une productivité élevée du fait de l'utilisation maximale de techniques automatisées de production de masse. Leurs stratégies commerciales visent donc à développer des modèles susceptibles d'être vendus en très grand nombre, ce qui explique l'attention particulière qu'ils portent à la croissance et à la part de marché.

La version des expatriés de Honda (le prisme de l'expérience et de la complexité)

Cette seconde version des événements est fondée sur des entretiens avec les trois expatriés de Honda qui ont effectivement participé à l'implantation de l'entreprise aux États-Unis :

« Pour tout dire, nous n'avions pas de stratégie en dehors de la curiosité de voir si nous pouvions vendre quelque chose aux États-Unis. C'était une nouvelle frontière, un nouveau défi. Nous n'avions même pas discuté des profits ou du délai de retour sur investissement.

Nous savions que nos produits d'alors étaient bons, mais pas franchement meilleurs que ceux des concurrents. Le fondateur de l'entreprise, M. Soichiro Honda, était particulièrement confiant dans les chances de succès des modèles 250cc et 350cc, car il pensait que leur guidon en forme de sourcils de Bouddha était un très bon argument de vente.

Nous avons choisi de nous implanter à Los Angeles, où vivait une large communauté d'immigrés japonais de deuxième et troisième générations. De plus, la population était croissante et le climat adapté à l'utilisation des motos.

La première année, nous étions complètement dans le noir. Nous ne savions pas que le marché américain de la moto se limitait à une courte saison, entre avril et août. Notre arrivée avait coïncidé avec la fin de la saison 1959. Notre expérience difficile avec les distributeurs sur le marché japonais nous avait convaincus de traiter directement avec des détaillants.

Au printemps 1960, nous avions un réseau de 40 magasins qui exposaient la plupart de notre stock, essentiellement les plus grosses cylindrées. C'est alors que le désastre s'est produit.

Dès avril 1960, nous avons commencé à recevoir des rapports signalant que nos machines présentaient des fuites d'huile et des ruptures d'embrayage. Ces faiblesses venaient du fait que les motards américains conduisaient plus longtemps et plus vite que les Japonais.

En moins d'un mois, le problème fut résolu en redessinant le joint de culasse et le ressort d'embrayage. Mais dans l'intervalle, les événements avaient pris une tournure inattendue.

Au long de nos 8 premiers mois, notre instinct, de même que celui de M. Soichiro Honda, nous avait dissuadés d'essayer de vendre nos petits 50cc qui rencontraient un succès phénoménal au Japon. Ils nous semblaient tout à fait inadaptés au marché américain, où tout était plus gros et plus luxueux. Nous hésitions toujours à promouvoir nos 50cc de peur qu'ils détériorent notre image sur le marché très viril de la moto. Mais lorsque nos grosses machines ont commencé à casser, nous nous sommes dit que nous n'avions plus le choix. »

Ainsi, en 1963, suite à une succession d'événements fortuits, Honda adopta une stratégie qui identifiait et ciblait directement la classe moyenne, désormais inséparable de son succès.

En 1964, presque la moitié des motos vendues aux États-Unis étaient des Honda.

Les banques et les organismes de crédit commencèrent à financer les achats de motos, se substituant aux formules de crédit proposées par les magasins. Afin de profiter de la formidable opportunité qui s'offrait à ses produits, Honda prit une décision aussi risquée que courageuse : l'entreprise annonça aux détaillants que désormais ses motos devaient lui être payées à la réception et non lors de la revente au client final. Aucun ne renonça à distribuer ses motos. Honda avait transféré le pouvoir des détaillants au constructeur.

Les 2 versions qui expliquent ce succès sont très différentes : l'une via le prisme de la méthode met l'accent sur la logique des décisions ; l'autre utilise le prisme de l'expérience (la confiance dans ses produits) et celui de la complexité (l'adaptation à la situation).

Bertrand Giboin © Dunod

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