Comment mieux utiliser les études pour élaborer sa stratégie marketing ?
Sondages sur les réseaux sociaux, intégration de l'intelligence artificielle dans les process d'analyse... Le secteur des études évolue ! Quelles sont les nouvelles approches déployées par les instituts pour fournir toujours plus rapidement des insights activables dans les stratégies marketing ?
Je m'abonnePandémies, inflation, guerres... Les marques évoluent dans un contexte de polycrises, ces dernières années. "Nous ressentons le besoin de mieux anticiper et de mieux modéliser les comportements consommateurs qui sont parfois plus difficiles à prévoir et plus erratiques depuis la Covid-19, observe Thomas Husson, vice-président du cabinet d'études Forrester. Cela se traduit par davantage d'analyses des signaux faibles et des tendances, avec une combinaison de différents types de data et d'outils." D'autant plus que, face à un "temps de cerveau" moins disponible dans un quotidien effréné, il faut aussi désormais convaincre les Français de faire partie d'un panel. "Nous constatons qu'il est plus difficile de recruter certains types de profils, et ce, notamment, car les méthodes d'enquête classiques attirent moins les jeunes générations, glisse Jérémy Lefebvre, cofondateur et CEO d'Episto, spécialiste de la collecte d'insights sur les réseaux sociaux. Il est alors plus difficile de mobiliser suffisamment de répondants lors des enquêtes et sondages. Par conséquent, il est nécessaire de se réinventer et de diversifier les méthodes de collecte et d'expériences des répondants", poursuit-il.
Les réseaux sociaux : nouveau terrain d'enquête
"Après la bascule des études du téléphone vers Internet et les emails, c'est une nouvelle révolution qui s'opère aujourd'hui, avec une bascule des modes de collecte sur les réseaux sociaux", constate William Yattah, fondateur du cabinet Nfluanswers, qui se positionne à la frontière entre les études et l'influence. C'est donc l'essor des enquêtes distribuées en social media, principalement sur Facebook, Instagram et TikTok, qui permet de toucher une large audience, et en particulier la Gen Z. Mais pas seulement : "Les études sur les réseaux sociaux permettent aussi d'adresser des cibles niches, réputées impossibles à interroger autrement, comme des cibles locales, des utilisateurs d'une très jeune marque, des pratiquants d'un sport nouveau comme le padel ou, encore, des personnes exerçant des métiers très spécifiques comme routier ou opticien", précise Jérémy Lefebvre.
Cependant, ce n'est pas uniquement le canal de collecte qui évolue, les modalités d'administration du questionnaire se transforment aussi en une approche plus conversationnelle : "Il s'agit désormais d'être plus "user friendly" et engageant", commente le CEO d'Episto, qui a développé une technologie pour créer et administrer des questionnaires conversationnels. Le cabinet Nfluanswers a également développé une approche singulière pour engager plus facilement la Gen Z, en mobilisant les influenceurs et les leaders d'opinion pour qu'ils puissent inviter leur communauté à répondre à l'enquête : "En activant cette influence, on peut ainsi récupérer des milliers de réponses et avis en quelques heures seulement !", partage William Yattah.
De plus en plus d'études liées aux engagements RSE des marques
Autre tendance notable : l'essor des études pour mesurer si les engagements RSE initiés par les marques et les enseignes sont bien visibles... et, surtout, bien perçus. "Les entreprises nous demandent de plus en plus de développer des outils pour mesurer la perception qu'ont les utilisateurs de leurs marques quant à leur impact social et environnemental", confirme Emmanuelle Girard, chief growth & chief marketing officer Kantar Insights Central & Southern Europe. Pour répondre à cet enjeu, Kantar a développé le Kantar Sustainability Sector Index - dont la troisième vague a été menée en juillet 2023 - afin de mieux comprendre ce qui compte pour les consommateurs et décrypter leurs comportements de consommation. Une dimension durable qui est analysée dans 42 catégories à l'échelle de 33 pays, dont la France : "Le but est d'aider les marques dans leur stratégie de développement durable, en lien avec les 17 objectifs définis par l'ONU", poursuit Emmanuelle Girard.
Cette tendance se traduit aussi par des dispositifs d'études mis en place pour tester la perception de nouvelles initiatives, comme la proposition de packagings plus durables. L'institut Behaviorally en a ainsi fait sa spécialité : "Nous accompagnons les marques au moment de la refonte d'un packaging ou du lancement d'une nouvelle offre. Nous pouvons ainsi explorer le comportement du consommateur quant au changement dans les matériaux des emballages, sur la réduction du plastique, sur l'adoption d'un système de vrac ou de recharges... ou encore sur la transparence des informations inscrites sur les emballages", explique Aurélie Lecarpentier, VP, head of qualitative Europe & sustainability practice lead chez Behaviorally.
Quand l'intelligence artificielle s'immisce dans les études...
L'intégration de l'IA au sein des process d'études marque, ces derniers mois, un véritable tournant. "L'utilisation de l'IA dans les processus d'études permet un traitement plus rapide des données, et ce, sur des volumes très importants", poursuit Aurélie Lecarpentier. Candice François, COO d'Igonogo, application spécialisée dans la détection des besoins et émotions des clients, partage cette opinion : "À partir de données qualitatives, comme du texte lors de questions ouvertes, il est ainsi possible d'extraire des informations significatives sur les opinions, les tendances et les émotions associées, sans que cela ne nécessite un travail manuel intensif". Résultat : "Les équipes peuvent se concentrer sur l'interprétation et la restitution d'insights à valeur ajoutée, avec des recommandations rapidement actionnables", ajoute Jérémy Lefebvre, dont la plateforme Episto a déjà intégré ChatGPT pour analyser les résultats des questions ouvertes.
À noter également, l'annonce récente par le Groupe Ifop d'un partenariat signé avec la start-up Fairgen, qui utilise l'intelligence artificielle générative dans les études d'opinion afin d'analyser avec précision des segments de niche tout en évitant les biais d'échantillonnage : "Cela va permettre l'accès à des segments jusqu'alors "impossibles", car trop petits ou trop difficiles à atteindre, grâce à l'extrapolation des résultats", confirme Samuel Cohen, CEO Fairgen, dans un communiqué. Chez GfK, l'utilisation de l'IA a également donné lieu à la proposition de nouvelles offres, dont Predictive Eye-Tracking. Un algorithme spécifique a été développé pour prédire les « zones de saillance » sur un visuel publicitaire statique ou animé, c'est-à-dire les zones qui attirent le plus le regard et l'intérêt en situation d'exposition flash et plus posée. "Pas besoin de questionnaire ni de panel, les recommandations argumentées et directement opérationnelles ne sont délivrées qu'en quelques heures, de quoi effectuer facilement des tests de validation d'un BAT, par exemple, à budget très accessible, avec un tarif d'entrée à moins de 1 000 €", précise Aurélie Labroye, lead marketing effectiveness de GfK.
L'IA pour mieux comprendre les émotions
Un nouveau champ d'analyses s'ouvre alors grâce à l'utilisation de l'IA : l'analyse des émotions. "Nous voyons apparaître de nouvelles méthodes comme le facial coding, l'analyse sémantique ou le speech analytics qui permettent d'identifier les réactions non verbales à un stimulus (expérience vécue avec une marque, visionnage d'un spot publicitaire...)", détaille Thomas Husson. On peut citer pour exemple la société Techni'Sens qui a développé une approche basée sur le chaînage cognitif, nommée Motivational Purchase Driver (MPD), afin de capter indirectement les motivations profondes des consommateurs lors d'un achat : "Nous développons en parallèle des méthodes implicites pour aller chercher le subconscient des consommateurs", révèle Charlène Braché, chargée de communication. Les experts interrogés s'accordent toutefois à dire que l'intrusion de l'IA dans les études n'annonce pas pour autant la fin de l'expertise humaine : "Il est important de noter que l'IA reste un outil en complément et non en remplacement des connaissances humaines, qui restent cruciales pour une compréhension complète du comportement des consommateurs", affirme Aurélie Lecarpentier.
De plus, l'expertise humaine reste nécessaire pour superviser l'utilisation de l'IA et être vigilant quant à de possibles biais sur la collecte des informations ou l'interprétation des résultats. Il est donc nécessaire de se former, tant du côté des instituts d'études que des clients, pour bien comprendre les nouveaux enjeux autour de la data et de l'IA : "Plus le marché devient centré autour des data, plus l'expertise humaine est indispensable pour comprendre le contexte, mettre en perspective les données et aider les entreprises à prendre les bonnes décisions stratégiques", conclut Emmanuelle Girard.
Antoine Dubois, SVP marketing & expérience client Accor Europe & Afrique du Nord
Groupe Accor : des études sur l'ensemble du parcours client
Quels sont les types d'études que vous menez au sein du Groupe Accor ?
Nous menons à la fois des études très globales, pour suivre la notoriété et la considération des marques, ainsi que leurs images sur différents items comme la modernité, la qualité... Mais aussi des études concernant l'expérience client pour mesurer la satisfaction concernant l'accueil, l'accès au Wi-Fi, la literie ou encore les équipements de la chambre.
L'IA est-elle entrée dans vos process d'études ?
Oui, concernant l'analyse des verbatims sur l'ensemble du Web, où nous nous faisons accompagner par une start-up nommée TrustYou, spécialisée dans le tourisme et les retours consommateurs. On peut ainsi remonter des éléments factuels, mais aussi d'autres qui relèvent plus du ressenti et des sentiments. L'IA est devenue indispensable face aux volumes gigantesques de données à traiter : par exemple, nous en sommes déjà à plus de 3 millions de reviews analysés sur les 10 premiers mois de l'année 2023.
Quelle est votre vision du futur des études ?
Il est important, selon moi, de mixer des études concernant la marque et d'autres sur l'expérientiel, car c'est la combinaison des deux qui permettra de juger si la marque est en bonne santé. Il est aussi nécessaire de prêter spécialement attention aux « clients neutres », qui n'ont pas spécialement d'avis, car ils représentent un vrai challenge, notamment en matière de fidélisation et de rachat.