Luxe 3.0 : quand le luxe épouse le digital
Il se murmure que le secteur du luxe aurait longtemps hésité avant de dire "oui" au numérique. En cause, un sentiment d'incompatibilité entre les valeurs d'exclusivité, d'exception et de qualité associées au luxe et l'effet "mass-market" d'un Internet symbole de gratuité et de transparence. Quelques pionniers, à l'instar d'Hermès ou de Gucci, se sont pourtant lancés, au début des années 2000, dans la vente en ligne de produits de luxe, à grands coups de plateformes d'e-commerce. Le maniement des réseaux sociaux a plus naturellement suivi, une poignée d'années plus tard. Aujourd'hui décomplexées, les grandes maisons placent le digital au coeur de leurs priorités stratégiques, tout en veillant à ne pas écorner leur image de marque, et prouvent, expériences à l'appui, que luxe et digital forment un mariage d'exception.
Dorloter ses clients
"Le luxe extrême, c'est la simplicité pour le client", déclare Nathalie Gonzalez, directrice marketing de Nespresso France, convaincue que le digital n'est qu'un outil parmi d'autres à disposition des marques de luxe pour faciliter les usages et améliorer la satisfaction client. "Le digital nous aide, par exemple, à proposer à nos clients des commandes plus rapides, ainsi que la géolocalisation de services proches de leur domicile, tels que le recyclage des capsules." Proposer une relation client exceptionnelle : telle est l'essence du luxe.
"La notion de liberté appartient aux valeurs du luxe, le digital la renforce."
Nespresso l'a bien compris, et aménage dans ses boutiques des zones dans lesquelles les amateurs de café peuvent venir choisir leurs capsules grands crus en libre-service, avec ou sans les conseils d'un spécialiste, puis payer sur des caisses automatiques. Rapidité assurée. "La notion de liberté appartient aux valeurs du luxe; le digital la renforce", commente Nathalie Gonzalez. "Le digital contribue à améliorer l'expérience avant, pendant et après l'achat", atteste Davy Tessier, fondateur et président de l'agence digitale Disko, qui réalise 30 % de son chiffre d'affaires dans le luxe, avec des références telles que le champagne Bollinger, Lancôme, Hermès ou encore la marque de prêt-à-porter Maison Ullens.
L'importance d'une expérience multicanal unifiée
Ainsi, les canaux digitaux - plateforme de la marque, blogs, réseaux sociaux - jouent un rôle important dans la recherche d'informations qui mène à l'achat : plus de neuf consommateurs sur dix qui se renseignent via le digital et en boutique achèteront, in fine, en magasin, note la dernière étude "Voyage au coeur du luxe", menée par Albatross et 1000mercis, et dévoilée en octobre 2015. C'est dire l'importance d'une expérience d'achat multicanal unifiée.
Au sein des maisons de luxe du groupe Kering (Gucci, Balenciaga, Boucheron ou Saint Laurent), plusieurs services cross canal, adaptés aux caractéristiques de chaque marque, sont ainsi proposés, comme la possibilité de vérifier en ligne la disponibilité d'un produit en magasin. Gucci a même assorti ce service d'une fonction de géolocalisation. D'autres marques vont plus loin dans cette logique d'expérience sans couture.
S'entretenir avec un conseiller grâce au "click-to-call"
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Spécialisée dans la maroquinerie haut de gamme, Longchamp a équipé son site d'un module de "click-to-call". Déployé par la start-up WannaSpeak, il permet aux internautes de s'entretenir avec un conseiller. " Il nous semble important d'accompagner le client à des moments-clés du processus d'achat, explique Benoît Dausse, directeur associé et cofondateur de WannaSpeak. Il peut avoir besoin de réassurance avant de valider son panier. " Dans la pratique, des boutons de mise en relation téléphonique sont présents, sur l'ensemble du catalogue en ligne, dans les fiches produit. "Notre objectif est d'augmenter le taux de conversion tout en accroissant la satisfaction client. Les clients du luxe se montrent exigeants sur la qualité de service", complète Jessica Fontaine, en charge du projet chez Longchamp.
>> En page 2, la digitalisation des marques de luxe
Étonner et fédérer
" Grâce au digital, la conversation avec les clients peut être encore plus riche ", résume Nathalie Gonzalez (Nespresso). Marjolaine Patureau (Uzik) le confirme : " Le digital donne plus d'espace pour raconter de belles histoires et étonner avec des expériences uniques et exclusives. Le but du jeu ? Driver du business, tout en créant un impact émotionnel. " Reste que le digital - donc les réseaux sociaux, ô combien indomptables - peut effrayer des marques qui souhaitent garder la maîtrise de leur (e)réputation. " Nous avons tout à gagner à faire preuve de transparence. Si la marque est questionnée, cela représente une opportunité supplémentaire de progresser ", réagit Nathalie Gonzalez, directrice marketing de Nespresso. Certes, mais il faut bien avouer que le jeu n'est pas tout à fait sans danger.
La digitalisation des marques de luxe en chiffres
En 2015, le digital pèse 6 % du chiffre d'affaires des marques du secteur du luxe scrutées par ContactLab, partenaire pour l'engagement client digital, qui monitore, depuis 2013, un Observatoire de la digitalisation des marques du luxe. " Ce chiffre devrait tripler d'ici à 2020 ", note Fabiola Conti, sales manager de ContactLab.
La contactabilité digitale est également le facteur-clé de l'étude : les utilisateurs contactables digitalement dépensent 20 à 25 % de plus que ceux qui ne le sont pas, dans les boutiques en ligne comme en magasin. " Cette cible est plus fidèle et plus dépensière, donc plus en contact avec la marque, explique Fabiola Conti. Cela révèle un potentiel sous-exploité. Afin d'augmenter leur chiffre d'affaires les marques peuvent conserver et inciter à l'achat, les clients contactables. Leur véritable défi est de convertir les clients non-contactables ou anonymes en clients connus et contactables. "
D'autre part, certaines marques focalisent leurs efforts sur l'opérationnel, l'amélioration de l'expérience digitale de la marque. Gucci, Vuitton, ou encore Cartier et Tod's prennent soin de l'engagement client, à la fois sur leur site internet et lors d'échanges par e-mail avec les consommateurs. La tendance : toucher le coeur des clients en offrant des services personnalisés, tels que l'assistance téléphonique ou par e-mail, ainsi que des rendez-vous en boutique, afin que les clients puissent planifier un essayage. D'autres marques travaillent davantage à l'augmentation du nombre de consommateurs, à l'instar de Burberry, avec un catalogue ultra-complet sur leur site internet ou des services en plusieurs langues.
>> En page 3, luxe et réseaux sociaux
Choisir son réseau "écrin"
La majorité des communications entre le service client de la marque et les consommateurs s'opère, aujourd'hui, par ce biais. " Nous communiquons moins par e-mail et plus de vive voix, ce qui renforce les liens ", analyse Jessica Fontaine. Mais chouchouter ses clients ne suffit pas, il faut aussi les faire rêver. L'exclusif, l'exceptionnel, en un mot, donc, le rêve : telle est la conception du contenu diffusé par les marques de luxe sur les réseaux sociaux. " Les marques de luxe, à l'exemple de Chanel et de Dior, possèdent la maturité dans le maniement de leur discours, adapté à chaque réseau social ", confirme Nicolas Masson, consultant stratégie digitale et social media à la Factory NPA (agence de conseil en stratégie digitale), en charge du "Top 100 du rayonnement numérique des marques". " Le digital pousse le luxe dans une direction d'ouverture et de créativité ", renchérit Michel Campan, président de l'agence digitale Same Same But Different.
"Le digital pousse le luxe dans une direction d'ouverture et de créativité."
Ainsi, SnapChat, l'application de partage éphémère, a largement été utilisée lors de la Fashion Week de Paris. En septembre 2015, en avant-première de la Fashion Week, Burberry, par exemple, a dévoilé quelques pièces de sa collection avant le défilé. " L'enjeu est d'être authentique et de proposer des snaps (les fameux messages éphémères,) exclusifs ", argumente Marjolaine Patureau, directrice associée du pôle social media de l'agence digitale Uzik. Facebook, YouTube ou encore Periscope - image oblige - tirent aussi leur épingle du jeu. Mais c'est Instagram qui suscite l'approbation générale. Le réseau social de partage d'images se prête à merveille aux opérations de marketing visuel. Lacoste, Air France, Guerlain ou Yves Saint Laurent ont, ainsi, été les pre- miers annonceurs a` investir Instagram lors de son ouverture à la publicité, en mars 2015. Avec 2,6 millions d'images spontanées postées tous les mois dans le monde sur Instagram, selon Linkfluence, le luxe est, après les photos de food, le sujet le plus partagé par la communauté. De là à transformer cette vitrine en canal de vente, il n'y a qu'un pas franchi avec la récente apposition du bouton "acheter" à l'application.
Investir dans le digital pour rajeunir sa clientèle
"Les marques de luxe ont compris que leurs futurs clients seraient 100 % digitaux."
L'enjeu ? Élargir la clientèle du luxe et cibler une génération habituée à consommer en ligne. " Le digital a transformé la stratégie des marques de luxe : elles ont compris que leurs futurs clients seraient 100 % digitaux ", explique Marjolaine Patureau. Jaguar fait partie de ces marques qui investissent le digital pour rajeunir leur clientèle. En 2015, à l'occasion du lancement en France de la Jaguar XE, berline sportive, le constructeur et son agence, MNSTR, ont cassé les codes jusque dans leurs techniques de vente. Le principe ? Renouveler l'exercice de la traditionnelle visite en concession en proposant une visioconférence depuis un simple smartphone, via FaceTime, Hangout ou Skype.
" Orchestrée au début de l'année 2015, cette journée découverte d'un nouveau genre a séduit 1 000 personnes et généré une trentaine de leads ", explique David Bucher, directeur marketing et relations extérieures de Jaguar Land Rover. " Comme dans une concession, Jaguar reprend les codes du luxe avec des conseils individualisés ", analyse Lionel Curt, CEO de MNSTR. Au global, l'ensemble de la stratégie digitale orchestrée par MNSTR - présentation en visioconférence, brand content présentant des portraits d'entrepreneurs qui changent les règles du jeu - a généré plus de 17 000 prises de contact qualifiées et 4 000 prospects venus en concession, notamment d'une clientèle plus jeune. Challenge relevé.
À lire, l'interview de Michel Campan : "Les marques de luxe sont entrées dans l'ère du digital service"
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