Les nouveaux territoires à explorer dans le luxe
La réinvention est dans l'ADN des marques de luxe. Storytelling, gestion de l'image, partenariats avec les médias pour une visibilité maîtrisée : les maisons débordent d'inventivité. État des lieux et exemples de marques innovantes.

Le silence est un réflexe dans le monde du luxe. Depuis toujours, les marques du secteur étaient dans le secret, limitant leur communication pour préserver leur image. Aujourd'hui, les codes ont changé. "Le luxe est un espace de réinvention permanente. On observe que cette industrie, qui a un temps d'avance, sait créer des surprises et apprend à casser les codes existants" , explique Deborah Marino, directrice générale de Publicis Luxe. Elle ajoute : "Les changements s'opèrent à la fois sur l'évolution de l'image, centrée sur les récits de marque, et la transformation des modèles économiques et des offres".
Entre héritage et engagement durable
Dans cette évolution, le storytelling s'impose. Pour raconter ce qui fait l'histoire, les racines et le savoir-faire, la narration est devenue primordiale. "Pour réussir, il faut soigner les détails, être transparent et avoir un discours cohérent, aligné avec les valeurs. Le branding minimaliste et raffiné va s'installer", précise Sandrine Sibille, VP luxe de l'agence Terre de Sienne. La nouvelle génération remet en question les codes établis, poussant les marques à s'adapter et à investir de nouveaux domaines et enjeux, tels que le développement durable, si cher aux jeunes consommateurs qui, par exemple, s'intéressent davantage à la traçabilité des productions.
Par conséquent, les marques renforcent leur savoir-faire. Selon Sandrine Sibille, "le luxe sociétal responsable est plus qu'une tendance, c'est devenu un basique". La culture du récit consiste à revenir aux sources et raconter d'où vient cet art de vivre, ce savoir-faire. "On ne parle pas de vernis marketing, mais d'essence même de la marque. Une distinction qui permettra de faire le tri entre les marques qui perdureront et celles qui s'envoleront ", estime-t-elle.
Pour mettre en valeur leur héritage, les marques misent sur l'incarnation à travers des produits vedettes. À l'instar de Bottega Veneta (groupe Kering) qui travaille l'authenticité avec une approche éthique et responsable. Chaque sac, comme le cabas tissé à la main par une seule personne, nécessite plusieurs jours de fabrication. En effet, "l'objectif est de pouvoir raconter les plus belles histoires à travers des produits remarquables.
L'accent sera mis sur un seul objet d'exception, révélateur de l'esprit du créateur ou de la marque", souligne la DG de Publicis Luxe. Même si la marque n'est pas présente sur les réseaux sociaux, elle se distingue par "son obsession de qualité". Autre exemple d'adaptation, l'expérience délivrée sur mesure. "Créer de belles expériences pour générer de la conversation ne nécessite pas de produire beaucoup de contenu", clarifie Deborah Marino.
C'est le cas d'Emerald Stay, spécialisé dans la location de courte durée de propriétés de prestige. "Le produit a fait le marketing. On s'est fait connaître grâce au bouche-à-oreille et aux retours positifs. C'est mieux d'être adoré par 100 qu'être aimé par 1 000", précise Laurent Lacourt, fondateur de la marque. "Avec des services sur mesure, on crée des expériences extraordinaires en maîtrisant le local, préservant l'architecture, permettant aux propriétaires de personnaliser leurs décors et valorisant l'histoire locale", ajoute-t-il.
Quand le luxe devient culturel
Autre territoire exploité par les marques premium, le divertissement. Il devient incontournable pour jouer un rôle culturel. Parmi les marques ayant opéré ces changements, Lancôme se distingue lors de sa campagne Haut Niveau avec Aya Nakamura (ambassadrice de la marque), signée par Publicis Luxe. "Leur collaboration illustre une approche qui fusionne culture et sincérité. Sans hiérarchiser les cultures, on essaye de marier culture et pop culture, détaille Deborah Marino. Aujourd'hui, les marques de luxe hésitent entre vendre des produits et vendre de l'entertainment". Dans certaines campagnes, l'artiste participe à la création en apportant son ton et ses répliques, ce qui lui confère un rôle phare.
Lancôme se distingue lors de sa campagne Haut Niveau avec Aya Nakamura (ambassadrice de la marque), signée par Publicis Luxe
Cette évolution pourrait même, à l'avenir, changer le modèle économique du secteur. Le luxe conserve un rôle d'enchantement du monde. "Les codes évoluent entre le merveilleux et la sincérité, entre la terre et le ciel" , précise la DG de Publicis Luxe. Le parfait exemple est celui de la marque Chanel. Cette dernière a mis en scène Penélope Cruz et Brad Pitt dans un film relevant du storytelling. La campagne, présentée au défilé automne-hiver 2024-2025, est un hommage à la nouvelle vague, au film culte Un homme et une femme des années 1960. Aussi, plusieurs maisons de luxe se tournent désormais vers la production. À titre d'exemple, Saint Laurent a lancé son entreprise de production Saint Laurent Productions. "C'est une façon de se démarquer et de s'ennoblir. Ce ne sont pas juste des produits de luxe, mais aussi de véritables objets culturels, au même titre que d'autres créations artistiques", explique-t-elle.
Les médias, relais stratégiques
Avec les réseaux sociaux, entre autres, le rapport entre les marques et les audiences a évolué. "L'écoute et le dialogue sont essentiels entre eux. On est passé d'un modèle vertical à horizontal" , mentionne Wilfried Klucsar, cofondateur de l'agence Dix Sept Paris. Il ajoute : "Les marques doivent être prudentes dans l'adoption des nouvelles tendances afin d'acquérir de nouveaux clients tout en conservant les fidèles".
Créé il y a deux ans, le pôle luxe de Prisma Media est composé de 10 marques telles que Harper's Bazaar, conçu en interne avec une approche éditoriale reposant sur l'expérientiel. Par exemple, cette dernière a lancé les Harper's Bazaar Moments offrant une expérience immersive des défilés. La vidéo du défilé Louis Vuitton Homme pendant la Fashion Week masculine 2025 à Paris a généré 80 000 vues sur TikTok en deux jours. Une autre stratégie vise à engager les jeunes générations, sensibles aux formats interactifs et authentiques, en proposant des contenus incarnés axés sur les coulisses et le storytelling. "Une marque média peut mettre en avant des aspects éditoriaux en donnant la parole aux créateurs ou en dévoilant les coulisses des ateliers, offrant ainsi une authenticité et une crédibilité complémentaires à la communication des marques" , explique Philipp Schmidt, directeur général de Prisma Media et éditeur du pôle luxe.
Les marques haut de gamme ont tout intérêt à s'allier à une marque média partenaire omnicanale offrant de la fluidité entre digital et physique pour répondre aux attentes des consommateurs. "Il y a une diversification des contenus et des formats narratifs avec des formats chartés, écrits et identifiables", décrit l'éditeur. La stratégie repose sur des événements privés et des collaborations exclusives, renforcées par des opérations de brand content éditorialisées pour valoriser les messages des annonceurs. Par exemple, Harper's Bazaar a sorti une série de vidéos exclusives des archives du Palais Galliera sur les réseaux sociaux. Elle a également mené une opération en social media, print et digital sur le processus créatif des Infusions Prada.
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