Rémi Babinet : « Idée et invention sont dans l'ADN de BETC »
Rémi Babinet, fondateur et président de BETC*, a été désigné comme l'un des dix meilleurs directeurs de création depuis la naissance de la publicité par le magazine américain Forbes. Il a fondé l'agence en 1994. Dans « Pas de publicité, merci » (éditions JBE Books), il compile prises de notes et réflexions sur ses 30 ans de métier au coeur de la création publicitaire. Un objet littéraire original.

Ce livre est un « OVNI », tant sur la forme que sur le fond avec un titre surprenant « Pas de publicité, merci ». Pourquoi écrire un tel ouvrage à ce moment de votre carrière ?
Cela ne correspond pas à un moment, pour être honnête. En effet, j'ai pris des notes tout au long de ma carrière et j'ai toujours pris du recul sur ce que je faisais. Ce livre est comme une balade, une divagation passant d'un sujet à l'autre sans transition, comme dans la vie. Ce n'est pas un roman. Mon intention n'était pas d'écrire un livre au départ mais j'ai voulu raconter le métier de publicitaire de l'intérieur avec toutes ses problématiques, la vie d'une agence de pub, tout ce qu'il y a dans nos têtes, à travers mes notes. Un métier très caricaturé, même si j'adore 99 francs de Frédéric Beigbeder... Et puis, le Covid où tout se faisait à distance a accéléré le mouvement et a cristallisé mon envie d'écrire. Il s'adresse à tous les gens dont une grande part de la vie se déroule dans une entreprise. C'est aussi le livre d'une entreprise d'une certaine manière, mais dans la tête de quelqu'un.
Toutes les campagnes de publicité citées sont-elles signées BETC ?
En majeure partie mais je n'ai pas fait de tri dans mes choix. Quand je bosse, je vois des campagnes un peu partout... dans la rue, sur mon téléphone... Je me suis dit, gardons le côté un peu subjectif et mélangeons avec des campagnes que je vois. Donc, je n'ai pas opté pour une vision propriétaire du métier.
Quel regard portez-vous sur l'évolution de la publicité au sein de la société ?
Ma longue expérience me fait dire que, contrairement à ce que l'on peut penser, c'est un métier très proche des gens, loin de l'idée reçue selon laquelle la publicité assènerait des vérités venues de nulle part pour manipuler, etc. C'est le contraire de ça. C'est un métier où il y a énormément d'études, d'écoutes et d'essais pour comprendre ce que les gens, les différentes communautés, ont dans la tête. C'est la face immergée de la publicité. On ne peut pas espérer faire un bon message, parler correctement aux gens si on ne les comprend pas, si on ne les écoute pas. C'est très sérieux et c'est ça qui fait la bonne pub. D'ailleurs, j'ai eu la chance de travailler avec les plus grandes marques qui avaient l'obligation d'être à l'écoute. Par exemple, Leclerc. Si on n'est pas au plus proche de ce que vivent les gens et notamment ces dernières années sur des problèmes liés au pouvoir d'achat, on ne peut pas bien réagir. Aussi, à l'agence, nous sommes sans arrêt à l'écoute, comme avec un stéthoscope que l'on mettrait sur le coeur de la société ou des gens pour pouvoir les accompagner. Autre exemple, Citroën. Le débat qui agite le marché est lié à l'électricité et au fait que ce soit trop cher. Donc, nous travaillons des campagnes autour d'une voiture qui est vendue à moins de 20 000 euros, ce qui constitue une petite révolution.
Quel est l'ADN, l'esprit de BETC dans la galaxie des agences de pub ? Publicis, de son côté, revendique un « esprit challenger »...
Je dirais l'invention. On est confronté à de tels changements rapides, et ça se confirme tous les jours un peu plus, que si l'on n'est pas capable d'inventer des nouveaux usages de la technique, des nouveaux modes d'expression, d'aller chercher des nouveaux réalisateurs, le sujet étant d'émerger dans un monde saturé de messages, on ne peut pas trouver de bonnes idées. Idée et invention sont dans l'ADN de BETC. Et je pense que c'est salutaire aujourd'hui. Surtout à une époque où le déferlement technique devient un sujet qui cache un peu le vrai sujet, à savoir comment vraiment toucher les gens, leur parler joliment, poliment... Il y a mille manières.
Les annonceurs sont-ils, selon vous, suffisamment courageux dans leurs campagnes ?
Je parlerais plus d'ambition que de courage, dans la mesure où, je pense que la communication, est un actif extraordinaire dans une entreprise pour les marques. C'est un actif aussi tangible que le produit lui-même. Ce qui compte, c'est la façon dont on en parle. Et j'aime bien sentir que les annonceurs ont une ambition maximum sur les sujets qu'ils nous confient. Quelquefois, ce n'est pas toujours le cas, sans doute parce qu'ils ne se rendent pas compte de l'outil qu'ils ont à disposition - par manque de lucidité - qui peut les emmener beaucoup plus loin que ce qu'ils imaginent. C'est notre savoir-faire.
À quelles marques rendez-vous hommage dans votre livre ?
Je n'ai pas trié, mon livre n'est pas un concours de beauté... mais c'est vrai qu'il y a des marques avec lesquelles on a fait du chemin. Lacoste est une marque très intéressante parce qu'elle est en mouvement. C'est une très grande marque. On n'est pas encore dans la « big brand » à l'américaine, mais on n'est pas loin et c'est une marque française. C'est hyper intéressant avec un positionnement qui se situe un cran au dessous de l'univers du luxe, quelquefois très cher. Même pour les gens qui ont beaucoup d'argent, le luxe devient un peu cher. Et donc, les marques premium sont très bien placées. BETC accompagne la stratégie de Lacoste en essayant de trouver à chaque fois l'expression la plus forte du mouvement qu'elle est en train d'opérer. Sentir, prédire, accompagner, voir... C'est une marque qui agrège des publics complètement différents qui ne se rencontreraient jamais dans la vie. Sauf dans nos publicités, saluées d'ailleurs dans l'univers, si clivant, de la mode. Il n'y a pas beaucoup de marques qui peuvent avoir cette puissance-là. Puis, nous avons iconisé le crocodile - mondialement connu - de manière assez spectaculaire. C'est un travail au plus près de la marque pour la faire évoluer.
Quelles sont vos sources d'inspiration pour rester en éveil sur le monde et ses transformations ?
On me pose souvent cette question. Ce que j'aime dans la pub, c'est qu'elle s'inspire de la rue ou l'équivalent de la rue maintenant, à savoir internet. Ces endroits où tout se mélange. Il suffit de regarder les gens, comment ils s'habillent, comment ils se parlent, comment ils se déplacent. Je n'ai pas de source d'inspiration plus précise. D'ailleurs, la bonne création publicitaire n'est jamais inspirée par un canal de prédilection. Ce ne sont jamais les goûts personnels qui orientent nos choix, mais plutôt des inputs, une capacité de synthèse de nombreux sujets. Comme mon livre, on peut le trouver dans de nombreux rayons des librairies : culture, art, économie, société, média...
Comment votre livre est-il accueilli ?
Je ne m'y attendais pas, nous allons lancer la troisième édition du livre, qui sera prête pour les Cannes Lions en juin prochain. Une version américaine sortira en en septembre. Il a été très bien accueilli et de plein de manières différentes. Les publicitaires saluent un livre qui raconte enfin ce métier méconnu.
*BETC a été élue 30 ans plus tard, agence la plus créative du monde au classement World Advertising Research Center (WARC)
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