Retour sur 5 tendances marquantes des Cannes Lions 2024
Intelligence artificielle, diversité, engagement des marques... Si, comme chaque année, les Cannes Lions ont permis de valoriser et récompenser la créativité des acteurs de la publicité et de la communication, l'édition 2024 leur a aussi donné l'occasion d'aborder plusieurs sujets clés du secteur.
Je m'abonneLe rendez-vous le plus iconique de l'industrie publicitaire a, cette année encore, permis à de nombreux experts venus des quatre coins du globe de se réunir, en juin dernier, sous le soleil cannois. Près de 500 intervenants ont été recensés lors des Cannes Lions 2024, pour un total de... 150 heures de conférences ! La présence d'un invité de marque aura incontestablement marqué cette 71e édition des Cannes Lions. Un peu moins d'un an après sa déclaration injurieuse adressée aux acteurs de la publicité (nous nous souvenons du fameux "go f*** yourself" lancé aux annonceurs), Elon Musk a souhaité se racheter une conduite en acceptant l'invitation des organisateurs. L'occasion pour le fondateur de SpaceX et propriétaire de X d'évoquer plusieurs sujets stratégiques pour le marché, comme celui de l'intelligence artificielle (IA). Retour sur les cinq principales tendances qui ressortent des nombreuses prises de parole organisées lors de cette nouvelle édition du festival international de la créativité.
Intelligence artificielle : enfin du concret !
L'année passée, l'IA était déjà sur toutes les lèvres. Pourtant, les agences publicitaires étaient alors très peu nombreuses à avoir pleinement intégré cette nouvelle technologie dans leur processus créatif. Selon le recensement établi par les organisateurs, seuls 7,3 % des participants exploitaient l'IA en 2023 (et seulement 3,7 % en 2022 !). Cette année, la donne a changé ! Au point que le festival a introduit un "AI disclaimer" qui requiert des agences qu'elles mentionnent si elles se sont appuyées sur l'IA "pour aider le jury à juger le travail de manière équitable, avec tous les détails nécessaires". Entièrement basée sur l'IA, la campagne Adoptable conçue par Nexus Studios et Colenso BBDO, en partenariat avec la marque de nourriture pour chiens Pedigree a, par exemple, remporté le Grand Prix Outdoor 2024. Pour celle-ci, l'IA a permis de transformer des photos de chiens prises par des employés de refuges en véritables images de studio, de qualité professionnelle. Selon Karim Naceur, global head of TV production chez BETC et juré dans la catégorie Film Craft, cet exemple devrait rapidement ne plus représenter un cas isolé : "D'ici 4-5 ans, nous devrions voir beaucoup plus de campagnes autour de l'IA lorsque l'outil sera arrivé à maturité. À terme, il pourrait même y avoir une catégorie dédiée", imagine-t-il.
De son côté, Elon Musk prédit "d'autres nouveaux changements assez radicaux dès l'année prochaine". À condition que l'IA fasse ses preuves. Car au lancement des premiers outils génératifs, le milieu créatif s'est plutôt montré méfiant face à cette innovation. "Les agences craignent que l'IA remplace des métiers dans les agences, voire génère des campagnes créatives", analysait l'an dernier Pierre-Jean Bernard, head of digital de McCann Paris et juré des Cannes Lions 2023. En 2024, le secteur semble plus serein. Si "l'IA rend infini le champ des possibles, avec pour seule limite l'idée, elle ne remplacera jamais l'humain", affirme Karim Naceur. Ainsi, le jury de la catégorie Craft Lions a éliminé la campagne de l'agence The Marcom Engine pour BMW qui mettait en scène l'influenceuse virtuelle Lil Miquela, car "malgré la technologie bluffante, nous avons encore des difficultés à faire passer des émotions par l'IA", rapporte-t-il. De quoi rassurer les agences sur leur rôle auprès des annonceurs, même si elles exploitent déjà les propriétés de l'IA pour gagner en efficacité sur des tâches à faible valeur ajoutée. BETC s'en sert, par exemple, pour modifier sans effort la couleur de voitures Michelin sur des bannières. "Les grandes idées créatives seront toujours générées par des créatifs", résume Clément Scherrer.
Vers plus de diversité dans la pub
Autre limite de l'IA : elle reste trop stéréotypée. "Lorsque nous demandons à ChatGPT de nous montrer une image d'un CEO, un homme blanc d'une cinquantaine d'années apparaît chaque fois. C'est un réel problème de diversité pour la créativité", assure Rebecca Rowntree, directrice de la création de l'agence de publicité Leo Burnett, lors de la conférence F***ing Diversity. Cet intitulé a pu en surprendre plus d'un ! "La raison pour laquelle je veux vous parler de "p**ain de diversité" est que nous devons encore malheureusement débattre autour de cette mer** en 2024 !", lance-t-elle. Comme en 2023, ce thème était au coeur de cette édition du festival international de la créativité. En témoigne l'exposition, au sein du Palais des Festivals, de la campagne de l'ONG française Singa (qui facilite l'intégration des personnes réfugiées et migrantes), récompensée de l'Award d'or de la meilleure campagne Diversité & Inclusion en France remis lors du Sommet de l'inclusion économique 2023. "C'est vrai qu'il y a tout de même de plus en plus de campagnes géniales prônant la diversité", reconnaît Rebecca Rowntree.
Lors des Cannes Lions 2024, deux Grands Prix ont, par exemple, été attribués à la campagne d'Orange destinée à faire tomber les préjugés autour du football féminin. Orchestrée par l'agence Marcel France, celle-ci met en valeur les compétences et les plus belles actions de l'équipe de France féminine en les déguisant, à travers une technologie de deep fake, en leurs homologues masculins, avant de montrer les vraies images. Une diversité ici aussi bien représentée dans le monde de la publicité que dans celui du sport. Cette évolution positive résulte notamment des aspirations des jeunes générations, désireuses d'inclusion et de diversité. "Une étude publiée par Direct Digital Holdings en avril 2024 montre que 81 % de la Gen Z estiment que les communautés multiculturelles ont un impact important sur leur préférence de marque, contre seulement 57 % pour l'ensemble des consommateurs", relate la directrice de la création de Leo Burnett.
Des marques engagées... mais encore trop prudentes !
"Les entreprises sont trop frileuses !" C'est à partir de ce constat lancé lors des Cannes Lions que Dominique Wolton, président du Conseil de l'éthique publicitaire (CEP), encourage les marques à prendre davantage de risques. "Cette situation est dangereuse, car nous nous dirigeons vers une uniformisation un peu générale des messages publicitaires", prévient, pour sa part, la présidente de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), Christine Albanel. Selon elle, lorsque les annonceurs s'engagent, ils le font sur les mêmes terrains, ceux qui fédèrent. Quitte "à être taxés d'insincérité", comme le note Dominique Wolton : "Les marques qui mettent en publicité (comme on met en scène) leur bienveillance doivent avoir conscience du retour de bâton possible si leurs actes ne sont pas en cohérence avec leurs déclarations", écrit-il. Parallèlement, en plus "d'anesthésier la création" et "d'affadir le discours publicitaire", l'excès de prudence des entreprises a, peu à peu, provoqué l'effacement progressif du caractère amusant que pouvait revêtir la publicité.
"L'humour est nettement moins présent dans les campagnes d'aujourd'hui. Nous ne rions plus", déplore le président du CEP. "Nous travaillons beaucoup l'émotion, mais nous avons, collectivement, peu à peu abandonné le drôle", reconnaît, de son côté, Sandrine Reinert, directrice générale de Jellyfish France. Selon les chiffres d'un rapport publié par Oracle Fusion Cloud Customer Experience (CX) et le cabinet Gretchen Rubin, 95 % des dirigeants craignent effectivement d'intégrer l'humour dans leurs communications. Un constat particulièrement regrettable alors que 8 consommateurs sur 10 déclarent être plus susceptibles d'acheter à nouveau auprès d'entreprises qui osent faire rire. Une prime est donc réservée à ces dernières : la campagne très amusante conçue par Ogilvy PR New York pour la marque de soins pour la peau CeraVe, qui met en scène l'acteur canadien Michael Cera - du fait de la ressemblance de leurs deux noms -, a, par exemple, été récompensée par le Grand Prix Social & Influencer aux Cannes Lions 2024. La marque Pop Tarts et l'agence Weber Shandwick New York ont, de leur côté, reçu le Grand Prix dans la catégorie Brand Experience & Activation pour une campagne hilarante dans laquelle une mascotte comestible met fin à ses jours dans un grille-pain avant d'être dévorée par les spectateurs d'un match de football universitaire.
Moins de purpose pour plus d'efficacité ?
Cet engagement des marques peut-il devenir... contre-productif ? À trop en faire, oui, à en croire Marco Venturelli, président chargé de la création de Publicis Conseil et président de la catégorie Outdoor des Cannes Lions. Pour lui, "ces dernières années, il y a eu beaucoup d'exemples de campagnes dans lesquelles la cause promue l'emportait sur la contribution de la communication à l'écosystème de la marque". Au point de perdre de vue l'objectif initial de la publicité : faire vendre. Les Cannes Lions 2024 ont donc voulu montrer patte blanche sur l'efficacité business des campagnes étudiées. Les jurés des différentes catégories ont ainsi reçu pour consigne de "ne pas récompenser uniquement des cas présentant une dimension de "purpose" qui ne sert pas le business, comme s'il s'agissait d'une campagne humanitaire", se souvient Clément Scherrer, directeur général chargé des stratégies de Buzzman et membre du jury des campagnes shortlistées dans la catégorie Creative Strategy. Selon Marco Venturelli, "les campagnes récompensées cette année sont celles qui ont su trouver la conjugaison magique entre l'utilité et l'efficacité".
Les réseaux sociaux comme partenaires incontournables des annonceurs
Si les influenceurs français ont brillé par leur absence sur le boulevard de la Croisette cette année, il ne fallait pas chercher très longtemps pour remarquer la présence hégémonique des plateformes sociales aux abords du Palais des festivals et des congrès de Cannes. TikTok, LinkedIn, le groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp, Threads), Pinterest... Bon nombre d'entre elles ont souhaité participer à la fête en posant leurs valises sur le sable cannois. À cela s'ajoute l'opération séduction initiée par le propriétaire du réseau social X, Elon Musk, lors du festival. Le symbole du lien toujours plus étroit qui s'est peu à peu noué entre ces applications et les annonceurs. Plusieurs d'entre elles ont justement profité de l'événement pour dévoiler de nouvelles fonctionnalités permettant aux marques d'optimiser les performances de leurs campagnes. À commencer par Meta, qui a annoncé le lancement de l'API Threads et du paid messaging sur Messenger. Tandis que la première solution offre la possibilité aux annonceurs de partager du contenu publicitaire à grande échelle sur Threads, la seconde leur permet de "créer, organiser et envoyer des messages marketing aux consommateurs directement sur Messenger", comme le précise Séverine Six, director of business partners chez Meta. La plateforme Pinterest, quant à elle, a vu en l'événement cannois l'occasion de dévoiler, aux yeux de tous, toutes les nouveautés destinées à optimiser le taux de conversion des marques. Pour Émilie Nguyen, sales director CPG & luxury chez Pinterest France, cela s'inscrit dans la stratégie de l'entreprise de "devenir encore plus shoppable". Et donc une plus grande alliée des annonceurs.