DossierLes nouveaux grands-parents, génération transmission
1 - À quoi ressemblent les nouveaux grands-parents ?
Allongement de l'espérance de vie, familles recomposées, crises... les grands-parents d'aujourd'hui n'ont rien à voir avec ceux d'hier.
Envolée, l'image du grand-père autoritaire et de la grand-mère gardienne de la morale et des bonnes manières. En 2009, Findus jouait encore (au second degré !) sur cette image négative, avec sa campagne "Les frites de mamie sans aller voir mamie". Deux ans plus tard, la psychologue clinicienne et thérapeute familiale Anne-Solenn Le Bihan éditait un ouvrage au titre éloquent : "Si tu dis non, je vais chez mamie !" (éditions Larousse Pratique). Augmentation des familles recomposées, allongement de l'espérance de vie, "vieilles" mamans et "jeunes" grands-mères... Dans notre société en mutation accélérée, les aïeux représentent la force du lien. Avec la cohabitation de trois, quatre, voire cinq générations, ils sont au coeur des solidarités familiales. Ils doivent, de ce fait, encaisser le choc d'être promus au rang "d'ancêtres", alors qu'ils n'ont plus rien de commun avec cette représentation.
Il n'y a jamais eu autant de grands-parents en France(1), une évolution due tout à la fois au vieillissement des nombreux individus nés après la guerre et à l'allongement de la durée de vie. Cependant, même si la majorité des grands-parents ont 70 ans et plus, on en trouve de plus jeunes en âge et surtout dans leur tête et dans leur corps (on a gagné 15 ans en deux générations !). Et ce n'est qu'à partir de 75 ans, en général, que l'on bascule dans ce que l'on appelle le quatrième âge, avec son cortège de problèmes de santé et le manque d'envie de consommer. Les Mamie Nova et Papy Brossard ont donc disparu. Les nouvelles icônes s'appellent Carole Bouquet (55 ans), Jim Carrey (grand-père en 2010, à 47 ans). Cécilia Attias, grand-mère pour la première fois à 50 ans, Christine Bravo, à 53 ans...
Mais la société et les médias sont encore timides face à cette nouvelle donne. Grand-parent signifie encore trop souvent senior +. Alors que les nouveaux aïeux représentent la génération des baby-boomers (devenus "papy et mamie boomers"), qui s'implique différemment auprès de ses petits-enfants. Les mamies contemporaines de mai 68 ont vécu la révolution des moeurs des années soixante-dix. Sur les 6,3 millions de femmes âgées de 50 à 64 ans, 56 % sont actives(1). Et, avec le recul de l'âge de départ à la retraite, les grands-parents sont, pour certains, encore actifs et doivent jongler entre leur vie, celle de leurs enfants, de leurs petits enfants... Ils sont plus "branchés", partagent davantage de choses, ou en tout cas de façon différente, avec leurs petits enfants, aident leur progéniture... mais peuvent aussi faire preuve d'égoïsme, soucieux de profiter de la vie. Pour ceux qui le peuvent, car il existe bien sûr des inégalités sur ce point également. La cible transgénérationnelle des grands-parents étant, à l'instar de la famille, polysémique.
Les aïeux sont en première ligne de la solidarité intergénérationnelle. " Imagine-t-on une grève des grands-parents ? Rien ne marcherait plus ", interrogeait Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'autonomie, lors du colloque du 19 novembre dernier organisé par l'ÉGPE (École des grands-parents européens), qui milite pour la reconnaissance de ce statut dans la collectivité.
Si la société a du mal à prendre en compte la cible des grands-parents, c'est que, contrairement à celle des seniors, elle n'a aucune existence légale. " Les grands-parents ont un rôle social, économique et culturel primordial mais ne sont pas reconnus ", assène Pascal Bluteau, président-directeur général de WSA, institut quali qui a, depuis plus de dix ans, un partenariat avec Notre Temps. La triple caractéristique d'une partie de ces nouveaux grands-parents est d'avoir du temps, de l'argent et d'être en forme. " On peut vraiment parler de grand-parentalité active, affirme Pascal Bluteau. Beaucoup ont un pouvoir d'achat non négligeable. L'âge de fin des prêts immobiliers se situe entre 54 et 57 ans, âge où seulement une personne sur deux est en activité professionnelle. Les enjeux de vie sont différents : l'avenir professionnel est derrière, ou en tout cas, on n'est plus dans la performance à tout prix ; la famille devient le point central et on veut réussir cette étape de vie. "
Une population en forte évolution
Les grands-parents sont le pivot de la famille, entre leurs enfants (souvent une source d'inquiétude), leurs parents (une veille), leur couple (en quête de nouvel équilibre) et leurs petits-enfants (moments de joie). Le nouveau grand-parent se veut aimant et aidant. Une preuve de cette évolution : les appellations traditionnelles ont laissé place à des petits noms, symboles d'une relation personnelle et d'une complicité partagée. " Ils apportent un nouveau mode de relation enrichissant, commente Pascal Bluteau. Mais il faut se méfier de l'image idyllique des grands-parents. Ils n'ont pas d'existence légale, sont parfois interdits de voir leurs petits-enfants et instrumentalisés comme un "service de conciergerie". Et ils peuvent aussi avoir des problèmes d'adaptation avec l'âge de leurs petits-enfants. Beaucoup sont mal à l'aise avec les adolescents. "
Même si certains professionnels restent sceptiques sur la naissance d'une cible, les grands-parents représentent un vivier d'investigation. Au niveau social déjà, car, pour l'instant, rien n'est fait pour favoriser leur statut et les aider dans leur rôle. Certaines innovations commencent cependant à naître, comme la création d'agences mettant en relation grands-parents et petits-enfants et valorisant les expériences, bénévoles ou non. Une "main-d'oeuvre" qualifiée et stable : gardiennage pendant les vacances, cours de langues, etc. L'idée d'un congé grand-parental est aussi dans l'air du temps : elle a séduit Areva, Alstom et Rhodia. Certaines entreprises réfléchissent également à la possibilité d'ouvrir leur crèche aux grands-parents.
Du point de vue du marketing, WSA décrypte six univers porteurs : les services, les activités de loisirs / culturelles (près d'un tiers des abonnements presse jeunesse est offert par les grands-parents), les voyages, les nouvelles technologies (ils adoptent les SMS, les réseaux sociaux, Skype, les tablettes, copiant les comportements de leurs petits-enfants), le secteur financier (ils recherchent des "produits de transmission sécurisés") et le "relationnel" (le courrier est mort, vive les e-mails). " Les grands-parents veulent apprendre avec leurs petits-enfants mais elles ont besoin d'être aidées dans leurs choix car elles veulent la garantie de faire plaisir et de se faire plaisir lorsqu'elles investissent. L'offre est souvent pléthorique et elles n'ont pas toujours les codes, explique Pascal Bluteau. Ainsi, concernant les nouvelles technologies, elles restent réticentes : mobile, ordinateur... des cadeaux considérés comme concurrents de la lecture et des sorties. Elles ne veulent pas entrer dans le débat. "
Le temps, une valeur essentielle
Quel est l'avenir de cette cible ? Comment va-t-elle évoluer avec le report de l'âge de la retraite ? Des grands-parents actifs plus tard et moins aisés ? " Les changements sont longs. Il faudra deux décennies avant d'en sentir les effets ", répond Pascal Bluteau. En attendant, il serait nécessaire de leur faire une vraie place dans la société du XXIe siècle. À la question de l'étude ÉGPE /OpinionWay "qu'aimes-tu le plus chez les grands-parents ?", 49 % des sondés répondent : "ils ont du temps pour nous" ; 46 %, "ils nous apprennent beaucoup de choses" ; 40 %, "ils nous font des cadeaux" et seulement 29 %, "ils nous donnent de l'argent"... Le temps, un bien si précieux ! Laissons la conclusion au pédopsychiatre Marcel Rufo, intervenant lors du colloque de l'ÉGPE : " Si les parents sont porteurs d'espace, les grands-parents, plus disponibles, sont porteurs de temps. "
(1) Source : Insee, "15 millions de grands-parents", octobre 2013.