[Paris retail week] Vous avez dit Responsive Retail ?
Hédoniste, impatient, ne supportant aucune contrainte ... le consommateur est un être difficile ! Philippe Moati, cofondateur de l'ObSoCo, dans son étude "Vous avez dit Responsive Retail ? " livre quelques clés pour mieux le comprendre.
Je m'abonnePhilippe Moati, co-fondateur de l'ObSoCo (1), présentait, à l'occasion du lancement officiel du salon Paris Retail Week (21-23 septembre prochain) une étude sur le " Responsive Retail " ... Une expression (de plus) pour désigner la profonde et rapide mutation du commerce. Une mutation comparable, selon Philippe Moati "à la révolution industrielle ". Il s'agirait donc pour ce secteur clé de l'économie d'être : souple, à l'écoute, capable de répondre à l'instantanéité et être en capacité de décrypter les paradoxes inhérent à l'exercice de la consommation.
" Dans notre société hédoniste nous ne supportons plus les contraintes et les modèles issus de la grande distribution nous irritent " poursuit Philippe Moati "75% des consommateurs vivent les courses dans les grandes surfaces comme une corvée par exemple ". Autre comportement actuel (et directement lié à nos usages digitaux ) : l'impatience. Le Responsive Retail pourrait être une réponse...
L'étude complète en Slide Share
L'étude "Responsive Retail" : Étude ad hoc sur le panel Respondi de menée en mai 2015. 1000 personnes interrogées sur un échantillon représentatif de la population nationale, avec des quotas pour garantir la représentativité de (âge, sexe, CSP, région UDA9 et taille d'agglomération).
Extraits de l'étude
Le secteur du retail est engagé dans une nouvelle révolution commerciale, d'une ampleur sans doute équivalente à celle qui a fait naître la grande distribution dans le courant des années 1960. Au diapason du reste de l'économie, le commerce est en train de passer d'une " orientation produit " à une " orientation client ". Les raisons de cette révolution copernicienne sont multiples et puisent à la fois du côté de la technologie, des mutations sociétales et de la transformation des mécanismes de création de valeur à l'oeuvre dans le capitalisme contemporain. En particulier, l'approfondissement du processus d'individualisation conduit à la démoyennisation des comportements de consommation et fait émerger la figure d'un shopper plus autonome, qui élabore des stratégies, qui revendique d'être maître de la relation commerciale, et qui dispose aujourd'hui de nouveaux outils numériques qui renforcent sa capacité d'agir et accroissent son pouvoir de négociation à l'égard des marques et des enseignes.
La montée de cette nouvelle figure et, plus généralement, d'une véritable intelligence collective des consommateurs induite par leur mise en réseau, rééquilibre le rapport de force entre l'offre et la demande et constitue un puissant stimulant de l'orientation-client dans le commerce : les enseignes doivent mettre le client, la compréhension et l'anticipation de ses attentes, l'obsession de sa satisfaction, au coeur de leur organisation et de leurs stratégies. Le commerce entre dans l'ère du " responsive retail " et s'adapte à des clients devenus tout à la fois plus experts, plus mobiles, plus volatiles.
De l'hédonisme à l'impatience
Les enseignes sont donc incitées à se montrer beaucoup plus attentives et réactives aux attentes des clients. Des attentes qui se sont complexifiées car, dans les pays riches où les besoins de base sont couverts, les ressorts du désir d'acheter et de la disposition à payer débordent largement du registre utilitariste et fonctionnel pour faire la place belle aux dimensions symboliques et expérientielles et aux valeurs, bref aux fondements socio-psychologiques de la consommation.
L'argument du prix bas ne suffit plus. Créer de la valeur dans le commerce aujourd'hui suppose d'entrer dans l'ère du " responsive retail " : un commerce qui prend acte de l'hétérogénéité et de la diversité des attentes des consommateurs, qui s'adapte à des comportements d'achat marqués par une agilité croissante et qui s'inscrit dans les tendances sociétales qui portent les ressorts immatériels de l'acte d'achat.
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L'hédonisme est l'un de ces ressorts. Il renvoie, bien sûr, à la recherche du plaisir (petit ou grand), à la valorisation des émotions, des sensations. Dans la société d'hyperconsommation, " être " devient plus important qu' " avoir ".
Le marketing ne s'y trompe pas et le mot d'ordre depuis plusieurs années, dans le commerce et ailleurs, est " l'expérience " : acheter et consommer doit générer des émotions positives, mémorables. Et comme l'expérience a naturellement tendance à se banaliser, à s'affadir, avec l'habitude, les marques et les enseignes sont incitées à rechercher les moyens de son renouvellement permanent. Dans l'habillement, cela se traduit par ce que l'on nomme la " fast fashion " qui a mis un terme aux sacro-saintes saisons au rythme desquelles vivait la profession. Dans une société devenue hyper-individualiste, où les attentes des consommateurs sont hétérogènes, chacun vibre à sa manière. Autant il est relativement facile de trouver des consensus sur les fonctionnalités de base attendues d'un produit, autant dès que l'on aborde la dimension hédonique de la consommation, la diversité règne et encourage la personnalisation des offres et la stimulation de l'acte d'achat.
Rejet de la contrainte
Le revers de cette quête du plaisir est le rejet de la contrainte. De très nombreuses enquêtes ont mis en évidence que faire ses courses alimentaires dans une grande surface est perçu comme une contrainte par plus de 60 % des consommateurs français, en particulier pour les familles dont le temps est souvent compté. Le succès du drive témoigne en creux qu'il existait une demande latente pour des solutions permettant d'alléger la contrainte. Un boulevard pour les formules d'abonnement ou de réapprovisionnement automatique actuellement expérimentées, par exemple, par Amazon ou Danone ?
Cette recherche du plaisir et cette fuite devant la contrainte génèrent de l'impatience. Le plaisir, c'est ici et maintenant. Et la diffusion du numérique encourage le phénomène. Connectés comme nous le sommes aujourd'hui, nous avons pris l'habitude d'obtenir instantanément les réponses à nos questions. En bref, nos modes de vie en général et nos habitudes de consommation en particulier sont marqués par le phénomène général d'accélération. Un phénomène que le commerce, qu'il soit physique ou en ligne, ne peut plus ignorer.
Qu'est-ce qui influence les achats ?
Cette impatience et ses effets sur la réactivité attendue des enseignes sont illustrés par les résultats de notre enquête. Ainsi, il a été demandé à un échantillon représentatif de consommateurs d'évaluer l'importance qu'ils accordent à différents critères susceptibles d'influencer leurs achats, que ce soit en ligne ou en magasin.
On n'est pas étonné de voir le prix arriver - largement - en tête des critères testés :
- 74% des consommateurs considèrent le prix comme " très important ". Une relation avec le niveau de revenu du ménage est logiquement observée : si le prix est considéré comme " très important " par plus de 77 % des personnes déclarant un revenu mensuel inférieur à 2 500 €, cette part tombe à 47 % chez ceux qui disposent d'un revenu supérieur à 6 500 €. Nul doute que l'accumulation de mauvaises années sur le front du pouvoir d'achat, en renforçant le niveau de la contrainte budgétaire, a aiguisé la sensibilité de nombreux consommateurs à l'égard des prix.
- Le critère qui se classe en deuxième position est moins convenu : il s'agit de la disponibilité des produits, qui est considérée comme un critère " très important " par 38 % des répondants et " assez important " par 48 %. Il y a là une expression directe de l'impatience dont il vient d'être question. Ne pas pouvoir disposer immédiatement du produit désiré est source de frustration, voire de mécontentement. Cette fois, ce sont les hauts revenus qui se montrent les plus allergiques à l'indisponibilité des produits (95 % des " très " et d' " assez important " chez les répondants dont le revenu mensuel du ménage dépasse les 5 000 €).
- L'attente d'un traitement personnalisé s'illustre ici tout d'abord par l'importance accordée aux promotions personnalisées comme influençant l'achat : 70 % des consommateurs interrogés les considèrent comme importantes (dont 25 % " très "). L'octroi de promotions personnalisées, issues du " big data " et diffusées via les technologies mobiles, a certainement un bel avenir devant lui. Les femmes se révèlent plus sensibles à leur égard que les hommes (respectivement, 73 % et 67 %), de même que les classes de revenu intermédiaires comparativement à la fois aux bas et aux hauts revenus. De manière un peu moins marquée, la proposition d'offres de produits personnalisées rencontre l'adhésion d'une majorité de consommateurs : à 55 % ils s'accordent à y voir un facteur " très " (15%) ou " assez important " (40%) influençant leurs actes d'achat. Ici, un net effet d'âge est perceptible, cette part s'élève à 61 % chez les 18-24 ans pour tomber à 51 % chez les 55-64 ans.
Et la marque ?
Bien sûr, la marque est un facteur qui influence l'acte d'achat, souvent d'ailleurs bien plus que ce que les consommateurs veulent bien reconnaître dans les enquêtes. Ils sont 59 % à considérer comme importantes leurs affinités avec la marque et la façon dont elle s'adresse à eux. Cette part est particulière forte chez les jeunes (plus de 63 % chez les moins de 35 ans, contre 50 % chez les 55-64 ans).
Enfin, les services associés se classent en dernière position des critères soumis à l'évaluation des consommateurs. Seule une courte majorité d'entre eux (51 %) y voient un facteur " très " ou " assez important " (mais cette part s'élève à 59% chez les plus hauts revenus).
La livraison des achats en ligne : toujours plus vite ?
Les acteurs du commerce ont dans l'ensemble pris conscience de cet état d'impatience qui caractérise leurs clients. Dans le commerce en magasin, il induit le souci d'éviter à tout prix les ruptures de stock. Dans le e-commerce, il nourrit une concurrence, non seulement sur la disponibilité des produits, mais aussi sur le délai de livraison. Accéder plus vite à ses achats (et en s'épargnant les frais de livraison) est l'un des ressorts de la diffusion à grande vitesse des diverses formules de click & collect. La livraison en 24h est l'un des arguments des formules Premium d'Amazon ou Express+ de la Fnac. Aux Etats-Unis, Amazon, Google et eBay sont engagés dans une compétition féroce pour la livraison à domicile en quelques heures... Mais quelles sont en réalité les attentes des consommateurs en matière de délai de livraison ?
Les réponses fournies par nos répondants viennent tempérer cette fuite en avant dans le raccourcissement des délais. Certes, seulement 19% des consommateurs interrogés estiment que la livraison en une semaine (à domicile ou en point relais) est la formule qui correspond le mieux à leur besoin (auxquels il convient d'ajouter les 26 % qui retiennent cette formule comme leur second choix) ; mais il n'y a que 11 % de répondants qui retiennent la livraison en moins de 4 heures (27 % si on y ajoute ceux qui en font leur second choix) ! C'est encore la formule de la livraison en 48 heures qui recueille le plus grand suffrage (37 %), suivie de près de la livraison en 24 heures. L'impatience à ses limites, surtout lorsqu'elle a un prix !
Mais gardons-nous de tirer de ces résultats des conclusions définitives : les préférences déclarées sont souvent le reflet de ce qui constitue à un moment donné une convention, une norme. Il conviendra de vérifier dans l'avenir la stabilité de cette norme, notamment lorsque, avec l'entrée du e-commerce en phase de consolidation, la réduction des délais de livraison (et la maîtrise de son coût) s'installera au coeur des modalités de la concurrence sur le marché du e-commerce.
Le showrooming
L'équipement numérique des consommateurs couplé au désir de maîtrise de la relation marchande et à une mobilité croissante dans l'espace virtuel aussi bien que physique nourrissent une pratique qui ne manque pas d'inquiéter les distributeurs : le showrooming, c'est-à-dire le fait de faire son choix dans un point de vente physique (en bénéficiant du contact avec le produit, des conseils du vendeur...) pour finalement conclure l'achat ailleurs. Notre enquête révèle que le showrooming est d'ores et déjà bien installé :
52 % des personnes interrogées reconnaissent s'y être adonnées au moins à une occasion au cours des 12 derniers mois !
Si cette pratique est relativement bien partagée au sein de la population, elle est particulièrement présente chez les jeunes (57 % chez les 25-34 ans, et 69 % sur les 18-24 ans) que l'on sait particulièrement appétants à l'égard des nouvelles technologies et prompts à adopter de nouveaux usages. Cet effet d'âge n'est probablement pas étranger au fait que le showrooming soit très répandu auprès des bas revenus (plus de 80 % chez les moins de 2 500 € par mois), mais on peut aussi voir là l'effet d'une contrainte budgétaire particulièrement tendue sur la propension à déployer des comportements d'achat malin.
Le showrooming profite essentiellement au e-commerce, la démarche la plus courante consistant à passer commande, après la visite au magasin, sur un site internet concurrent. 5 % des répondants, soit un peu moins de 10 % des " showroomeurs ", reconnaissent même avoir commandé en ligne sur un site concurrent du magasin même à l'aide de leur smartphone ! Cette part s'élève à 9 % chez les 18-25 ans. Notons néanmoins que le showrooming alimente également la concurrence entre points de vente physiques : 12,5 % des répondants (soit près d'un quart des personnes qui se livrent au showrooming) ont finalisé leur parcours d'achat dans un magasin concurrent.
Il y a tout lieu de penser que le showrooming est une pratique destinée à se diffuser encore : l'équipement des Français en smartphone s'impose comme une norme, l'accès au wi-fi ou à la 3 ou 4G au sein des espaces commerciaux se généralise, et l'effet d'âge observé dans cette pratique laisse attendre un mécanisme classique de contagion. On comprend l'effet potentiellement dévastateur que la diffusion de telles pratiques pourrait avoir sur le modèle économique traditionnel du commerce de détail : quel distributeur consentira encore à subir les coûts de mise en scène de l'offre et de conseil des consommateurs si c'est pour que la vente se fasse auprès d'un concurrent qui, n'ayant pas engagé ces coûts, serait en mesure d'afficher des prix plus compétitifs ? Il y donc urgence à mettre en place la parade.
La mauvaise réponse est très certainement celle qui consiste à brouiller l'accès à Internet du point de vente. Une voie plus prometteuse réside dans l'amélioration de l'expérience dans le point de vente, visant notamment à favoriser un état émotionnel chez le client de nature à désamorcer sa pure rationalité économique, mais aussi dans l'action d'un personnel de vente capable de mener la transaction jusqu'à son terme. Mais l'arme fatale contre le showrooming est ailleurs : elle réside pour l'enseigne dans une offre exclusive qui lui assurera la maîtrise de ses prix sur l'ensemble des canaux. Le showrooming, et plus généralement l'intensification de la concurrence par les prix induite par la transparence apportée par Internet, vient ainsi renforcer une tendance également nourrie par d'autres forces : le dépassement du modèle traditionnel du distributeur qui vend les marques de ses fournisseurs que l'on retrouve à l'identique chez ses concurrents, en faveur du modèle de la marque enseigne dans lequel chaque enseigne élabore son offre dont elle s'assure le monopole.
S'adapter aux comportements d'achat malin, répondre sans délai et de manière multicanal aux attentes de consommateurs impatients et zappeurs, reconnaître l'hétérogénéité des attentes et réussir la " démassification " de la relation commerciale au profit d'une plus grande personnalisation qui prend en compte les ressorts symboliques de la consommation... voici quelques-uns des formidables défis que notre époque lance aux enseignes. Le mouvement vers un " responsive retail " est engagé... mais la route est longue et elle conduira à une réinvention du commerce.
Philippe Moati