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[Dossier] Seniors: une cible à plusieurs visages

Avec un pouvoir d'achat supérieur de 38 % à celui des autres générations, les seniors sont dans la ligne de mire des marques.

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[Dossier] Seniors: une cible à plusieurs visages

Entre un fringant quinquagénaire et une personne flirtant avec le quatrième âge, il y a un monde. Et pourtant, ces deux personnes types appartiennent à la vaste catégorie des "seniors". Une convention publicitaire qui ne?reflète pas la réalité. Frédérique Aribaud, directrice de l'agence Senior Agency, spécialiste du marché des 50 ans et plus, l'affirme sans ambages: "Il n'y a pas un, mais des seniors. Lorsqu'un annonceur vient me voir pour adresser cette cible, ma première question porte sur le type de seniors auquel il désire adresser sa campagne, ses produits ou services."

La Senior Agency a ainsi défini sa propre segmentation qui, s'appuyant sur la variable de l'âge, reflète des comportements de consommation différents. Il y a les "masters" (50-64?ans), qui possèdent un fort pouvoir d'achat mais refusent toute représentation d'eux-mêmes, ce qui en fait une cible délicate à travailler. Arrivent ensuite les "libérés" (65-74 ans), ces retraités affranchis des contraintes profession­nelles et familiales: une tranche d'âge qui, au-delà des "endormis" et des "hyperactifs", comporte des profils de consommation très hétérogènes (cf. l'étude de MediaCom "Go old : le passage à la retraite, un nouveau départ ?"). Enfin, viennent les "aînés" (75-90 ans) et les problématiques de santé et de dépendance. C'est un marché qui croît ces dernières années, à la faveur du vieillissement de la population mais aussi du fait des nouvelles technologies, qui offrent à cette tranche d'âge et à leurs aidants familiaux et médicaux des possibi­lités d'autonomie renouvelées.

Les "masters" (50-64 ans): une cible délicate, mais de choix

Issus de la génération de Mai 68, ceux qui ont mis le pied dans la vie adulte à l'ère matérialiste des années quatre-vingt sont friands de consommation. Parce qu'ils sont les plus aisés et les plus nombreux (50 % des seniors, selon Frédérique Aribaud, la directrice générale de la Senior Agency), les 50-64 ans ont la faveur des annonceurs.

" Cette population intéresse fortement les marques car elle possède un fort pouvoir d'achat et se situe à un moment de vie propice à la ­consommation ", explique Frédérique Aribaud. La cinquantaine correspond en effet à une période de vie marquée par de forts changements psychosociaux: c'est l'âge où les enfants partent définitivement du domicile familial, où l'on note l'arrivée du premier héritage. Dans le même temps, les cinquantenaires sont au zénith de leur carrière professionnelle. Ils sont, de fait, dans la ligne de mire des annonceurs, aux premiers rangs ­desquels l'automobile et la banque-assurance.

"L'âge moyen auquel on achète un véhicule neuf est de 59 ans", souligne Patrice Angot, fondateur de "Planet", magazine en ligne dédié aux seniors. "Avec 800000 personnes qui fêtent leurs 60 ans chaque année, la problématique de la préparation à la retraite et au vieillissement prend tout son sens", souligne l'éditeur. "C'est la cible la plus sollicitée", confirme Frédérique Aribaud. Mais c'est aussi celle qui est la plus difficile à convaincre, tant ses comportements de consommation sont invariables. Le signe distinctif de ces seniors ? Ils détestent être perçus comme tels. La sémantique propre à ce marché est révélatrice de cette tension: les mots "vieux" et "âgés" étant proscrits, on leur préfère celui de "seniors", perçu comme moins stigmatisant, ou bien celui de "personnes matures" qui, en mettant l'accent sur l'expérience vécue, véhicule une image plus positive.

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Car les seniors ont évolué: "Les personnes de 60 ans d'aujourd'hui possèdent les mêmes capacités physiques et cognitives qu'une personne de 40 ans il y a 20 ans", souligne Christophe Pradère, dirigeant de BETC Design. De son côté, l'agence MediaCom recommande de "­proposer des ­campagnes aspirationnelles et stimulantes, trouver le bon équilibre dans la représentation de la cible: ne pas traiter le consommateur comme un vieux ni comme un jeune". Elle conseille de miser sur des discours liés au dynamisme, à l'action ou à la mobilité.

Les "libérés" (65-74 ans): les retraités, une cible hétérogène

Comme le révèle l'étude de l'agence MediaCom (GroupM / WPP) "Go old : le départ à la retraite, un nouveau départ", cette tranche d'âge se caractérise par une diversité de profils, tant dans le rapport aux marques que dans les comportements de consommation. Reste toutefois un marqueur générique: le passage à la retraite. Cette période charnière de la vie est, pour la majorité, vécue comme un moment libérateur et une source d'épanouissement. "La retraite n'est pas un retrait mais une opportunité, un moment pour s'engager dans le bénévolat, la cité ou l'entreprise. L'évolution des seniors montre qu'aujourd'hui, on ne veut plus s'enfermer dans une identité unique mais, au contraire, jouer sur des registres multiples: je peux être à la fois senior, bénévole, nouveau pratiquant d'un sport, amoureux, entrepreneur...", explique Serge Guérin, professeur à l'ESG-MS, et sociologue du vieillissement.

Affranchis des contraintes professionnelles et familiales, "ces seniors cultivent l'hédonisme dans leur rapport à la vie et à la consommation", relève Bettina Frohlich, créatrice de la Luxury silver conference, qui s'est déroulée le 24 juin dernier, dans le cadre des Rencontres internationales de la silver economy. Conscients d'avoir dépassé la moitié de leur existence, ils veulent en profiter pleinement: une fois leur patrimoine matériel préservé, l'épargne n'est plus leur première préoccupation. Au contraire, ils entendent dépenser leur argent et utiliser intelligemment leur temps libre.

Avec quelque 50000 visiteurs, le Salon des seniors de Paris affiche ainsi une progression de sa participation de 30 % en trois ans. Et les marques, aux premiers rangs desquelles les secteurs du bien-être, des loisirs, des nouvelles technologies et de l'équipement, l'ont bien compris. Ici, pas de produits ou de services surmédicalisés: la question de l'autonomie ou du maintien à domicile est encore loin. Le Salon des seniors met en avant une offre de biens et de services dédiés à des seniors actifs et épicuriens.

Pour aller plus loin:
C'est quoi être vieux?

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Deux types d'industriels peuplent ce marché: d'un côté, des marques généralistes développent des segments de produits pour les seniors, à l'instar de Pierre et Vacances avec son offre "Les Senioriales". Les marques alimentaires se sont aussi emparées de ce créneau (pain sans sel, produits anticholestérol) : la marque Charal a ainsi lancé, en 2012, une gamme "Petit appétit", pour répondre notamment aux attentes des plus âgés. Trois de ses ­références sont ainsi proposées en portion de 80?g. En effet, on observe chez les seniors une diminution de la consommation de viande de boeuf: 55g/jour pour les 55-64 ans et 47g/jour pour les plus de 65 ans(1). De l'autre côté du spectre, certaines marques se sont entièrement consacrées aux aînés: c'est la carte que joue l'appareilleur de correction auditive Audika avec son égérie Robert Hossein.

Le challenge? "Construire des offres adaptées aux seniors mais qui n'en ont pas l'air", analyse Christophe Pradère. Son conseil: "Se concentrer sur les valeurs d'usage en évitant toute connotation médicale." Ainsi, pour le téléphone mobile de Doro Matra, BETC Design a, en amont, analysé les usages et les besoins afin de définir un design qui soit pertinent sans être stigmatisant: "Si les plus de 70 ans plébiscitent le téléphone mobile, ils n'aiment pas la tactilité qu'impose le smartphone. Ils apprécient par ailleurs les coques pour leur solidité. Toute la difficulté de ce travail a été d'insuffler une esthétique contemporaine sans tomber dans l'ultramodernité", conclut l'expert ès design.

(1) Source: étude Crédoc "Comportement et consommations alimentaires en France", 2010.

Zoom : une population connectée?

Si les seniors ne sont pas des "early adopters" des nouvelles technologies, ils ne les repoussent pas pour autant, bien au contraire: les plus de 65 ans représentent, aux États-Unis, le segment en plus forte croissance chez Facebook. Friands de télévision, ils consomment volontiers la catch-up TV. Pour Frédérique Aribaud (Senior Agency), "il ne faut pas hésiter à explorer cette opportunité comportementale: utiliser le digital comme un levier complémentaire et synchrone de la télévision". Le cross canal offre aussi un fort potentiel. "Combiner un spot télévisé avec du display sur le Web offre des possibilités de mix-media intéressantes pour les annonceurs, a fortiori si on complète le dispositif avec des actions ciblées de retargeting."

De plus, l'e-commerce est désormais entré dans les habitudes des seniors. Alors que l'augmentation globale n'est que de 13,5% entre 2012 et 2013, les cyberseniors ont, eux, bien plus progressé, puisqu'ils sont +44 %, sur la même période, à s'être convertis aux achats en ligne (Fevad, chiffres 2013). Aujourd'hui, 80,9% des 50-64 ans sont acheteurs sur le Web, contre 89,3% des 25-34 ans. La plateforme marchande PriceMinister-Rakuten le confirme: "Les plus de 50 ans représentent, cette année, 18% des utilisateurs, 20% des acheteurs, 16% de nos vendeurs particuliers pour, au final, drainer 22% du CA", souligne Odile Szabo, directrice marketing et communication. La place de marché avait, en effet, mené une vaste étude en juin 2014 auprès de ses 20 millions de membres. Si le panier d'achat des seniors est ­inférieur à la moyenne, leur fréquence d'achat est, elle, plus élevée.

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Les "aînés" (75-90 ans) : autonomie et dépendance

Nés durant l'entre-deux-guerres, les "aînés" ont connu les privations et le rationnement. Aussi se montrent-ils peu sensibles aux sirènes des messages publicitaires. Et pourtant, cette tranche d'âge représente un marché à fort potentiel: le rapport "Innovation 2030", signé d'Anne Lauvergeon, identifie la silver économie comme l'un des sept leviers majeurs de croissance. Le baby-boom, qui a caractérisé l'après-guerre, se transforme mécaniquement en papy-boom. Parallèlement, l'espérance de vie s'est accrue de 27 ans ces 100 dernières années. Pilulier connecté, téléassistance en cas de chute... Parce qu'elles offrent des possibilités augmentées d'autonomie et d'indépendance, les nouvelles techno­logies sont au coeur de ce marché. La forte présence des leaders informatiques et de start-up au salon Silver economy expo en témoigne.

Le Japon, pays technophile et possédant une forte population âgée, joue un rôle d'éclaireur dans ce domaine. "C'est un tube à essai grandeur nature, même s'il faut garder à l'esprit le fossé culturel qui nous sépare et qui explique, entre autres, l'enthousiasme du Japon pour la robotique, alors que l'Occident perçoit cette évolution comme une perte d'humanité", note Jérôme Pigniez, expert en gérontechnologies et animateur du portail de la silver économie. Celui qui est également à l'initiative de la création, en 2010, de l'Asipag, syndicat professionnel fédérant les acteurs industriels de la silver économie, trace un parallèle entre le boom du "green business" et celui du marché du vieillissement: "L'intégration des normes écologiques et responsables a obligé les industriels à repenser leurs produits, et ils en ont par la suite fait un argument marketing. À terme, je suis convaincu que les acteurs économiques prendront systématiquement en compte les données du grand âge dans leur stratégie produits et de communication."

Le projet Newton du groupe La Poste s'inscrit dans cette démarche: en plus d'assurer une protection du domicile et une maîtrise des consommations énergétiques, le projet de box domotique qu'elle a lancé vise aussi à développer une offre de services et d'équipement couvrant les besoins en matière de télésanté et de maintien à domicile.

Zoom : quel traitement ­médiatique pour les seniors?

Du côté de la création publicitaire, si quelques annonceurs commencent à rompre avec le jeunisme, la plupart continuent d'afficher des jeunes personnes pour vendre leurs produits destinés aux femmes matures. "Parce qu'il existe un fossé croissant entre l'âge biologique et l'âge psychologique au fur et à mesure que l'on vieillit, l'effet miroir ne fonctionne pas", note Frédérique Aribaud, directrice générale de Senior Agency. "Pour être efficace sur cette cible, une marque, qu'elle soit média, cosmétique ou de prêt-à-porter, doit éviter de la représenter. Il?faut dissocier la consommation des seniors de leur représentation", corrobore Patrice Angot, fondateur du magazine en ligne "Planet", dédié aux plus âgés.

On observe toutefois un glissement vers des représentations plus positives de l'âge: "De plus en plus de seniors assument leur âge, voire le revendiquent. On peut assumer son âge sans se sentir vieux", revendique Christophe Pradère. L'agence média ComMedia conseille, pour sa part, de miser sur des discours autour du dynamisme, de l'action ou de la mobilité. Les publicités et les magazines véhiculent de plus en plus d'images de seniors épanouis et bien dans leur peau. Bettina Frohlich, organisatrice de la Luxury silver conference, en atteste: "Nous observons un réveil des marques, qui se mettent à utiliser des icônes plus âgées: c'est le cas de Vuitton, Dolce&Gabbana, Céline ou encore Yves Saint Laurent."

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