La (big) data au pays de Big Apple
Aux États-Unis, les marques croquent à pleines dents dans la data. L'enjeu : se constituer un solide capital de données, tout en apportant de nouveaux services aux consommateurs. Data is the new money.
Uber serait-il le nouveau prescripteur de bons plans de restaurants? Surprenante, la démarche est pourtant bel et bien une réalité aux États-Unis. Depuis la mi-novembre 2016, le service de VTC recommande à ses clients une liste de restaurants et de bars populaires, regroupée dans des city guides digitaux, et, ce, dans 12 villes américaines : New York, bien sûr, mais aussi, Boston, Dallas, Los Angeles, Miami, Atlanta, Phoenix, Pittsburgh ou, encore, San Francisco. Une prescription non pas basée sur les goûts de ses collaborateurs... mais, sur la data de ses clients.
"Chaque mois, des millions de personnes utilisent Uber pour se déplacer", explique la société sur son site Web. "Sans surprise, beaucoup de ces trajets commencent ou finissent dans des restaurants ou dans des bars." La marque annonce, ainsi, avoir collecté quotidiennement, entre le 1er novembre 2015 et le 1er octobre 2016, les données de trajet de ses utilisateurs, par type de véhicules, notamment. Et d'en avoir tiré des insights sur les "spots les plus populaires". "Certains de ces restaurants pourraient être les meilleurs choix pour la critique, mais notre guide révèle également quelques endroits inattendus", poursuit Uber.
En pratique, les carnets du mastodonte américain se déclinent en six catégories, des établissements les plus prisés - qui comptabilisent le plus grand nombre de personnes déposées devant ses portes - aux plus prometteurs - dont le nombre d'arrêt à son entrée est en forte augmentation -, en passant par une classification plus fine : ceux préférés par les locaux ; idéals pour un brunch ; très fréquentés les vendredis et les samedis soir ; ou, encore, sur le perron desquels s'arrêtent les utilisateurs d'une option Uber premium.
Des services clients autour de la data
Uber, mais, aussi, Facebook, Amazon, Netflix... Ces géants américains de la nouvelle économie partagent plus qu'une bonne capitalisation boursière : tous ont fondé leurs stratégies de développement sur l'analyse des data. "Les grands acteurs digitaux sont arrivés sur le marché américain avec des business cases data centric", confirme Reda Gomery, associé responsable data & analytics du cabinet Deloitte, l'exemple d'Airbnb à l'appui. La plateforme de location et de réservation de logements de particuliers, dont la valorisation des données prend une part croissante dans son business model, "commence à tester des logiques de service clients autour de la data", poursuit l'expert.
Une appétence culturelle
En 2014, la data driven compagnie a, ainsi, lancé Airdna (Airbnb Data & Analytics), une offre de services autour de la data à destination des loueurs. Les données de taux d'occupation des pied-à-terre, de demande saisonnière, de pricing par rapport à la localisation, possédées par Airbnb, sont notamment mises à la disposition des particuliers et des entreprises.
"Les marques qui performent dans une démarche data driven sont orientées client, approuve Arnaud Monnier, directeur Google Analytics et Measurements de Google EMEA. Netflix, qui est un partenaire de Google dans le monde, réussit bien ce pari de la connaissance client. Le pure player personnalise l'expérience des internautes sur son site de diffusion de séries et de films, en fonction de leur historique et de leurs goûts", illustre-t-il.
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Les mastodontes américains auraient-ils donc tout à apprendre à leurs homologues français quant à l'utilisation de la data? "Il existe une vraie appétence culturelle des États-Unis pour la data, analyse Reda Gomery, à l'instar du mouvement d'open data initié par la ville de New York pour mettre à disposition des internautes des jeux de données sur la santé, l'alimentation, l'éducation, ou encore, les transports." Comment s'en inspirer? "Les marques en pointe sur la data, aux États-Unis, combinent une mission de services proposés à leurs consommateurs aux données qu'elles captent, relève Reda Gomery. En fait, le cheminement pour la capture des données est si habile qu'il donne aux individus l'impression de devoir transmettre leurs données pour avoir la possibilité de bénéficier du service de la marque."
Penser, en amont, à l'usage de la donnée
La bonne pratique tiendrait donc en une "simple" incantation : penser, en amont, sa stratégie data, et, donc, l'usage qui sera fait de l'information collectée. Une approche que les entreprises traditionnelles françaises n'ont pas encore complètement adoptée, selon le spécialiste de la data. "Si, en France, les marques ont récemment pris conscience, il y a trois à cinq ans environ, de leur capital data, il leur manque une stratégie structurée sur ce qu'elles souhaitent faire des données qu'elles possèdent et de celles qu'elles pourraient acquérir."
Pour changer la donne, l'associé responsable data & analytics conseille aux marques "de se demander si elles n'ont pas tout intérêt à lancer de nouveaux services à partir des data, afin d'accélérer leurs stratégies." À l'instar de Starbucks : la chaîne de café a, en 2016, utilisé les données de consommation glanées dans ses boutiques, combinées à celles d'instituts d'études, afin de concevoir une ligne de produits complémentaires (des boissons en bouteille, notamment).
Mais les Frenchies pourraient tout aussi bien s'inspirer d'Adore Me. La plus française des marques new-yorkaises se définit comme data driven... depuis toujours. Ingénieur diplômé de l'École des Mines, son fondateur, le Marseillais Morgan Hermand-Waiche témoigne de sa prise de conscience, dès la création du site de lingerie en 2012, de l'importance de se constituer un "patrimoine de data". "Je n'envisageais pas de ne pas mettre les données au coeur de chacune de mes décisions pour l'entreprise, explique-t-il. Car elles permettent une remise en question permanente." En pratique, les données sont intégrées à deux niveaux de la société : le marketing et la gestion logistique.
De l'art de l'A/B testing
"Les data nous aident dans les démarches d'acquisition et d'engagement, commente Morgan Hermand-Waiche, afin d'attribuer, par exemple, l'influence d'un canal sur l'acquisition d'un client, ou de réaliser des segmentations et de mieux cibler les consommateurs." Car, là est la clé : avec ses 10 millions d'adresses e-mails en sa possession, et les millions de visites par mois sur son site, Adore Me se doit de posséder une solide base de données. "Nous avons déjà changé trois fois de système de data management, et cela reste pour nous un grand challenge", glisse son fondateur.
Côté logistique, un an s'écoule entre le moment de commande des collections de soutien-gorge et leur réception... D'où la nécessité de deviner à l'avance les ventes des saisons à venir. Pour réaliser ses prédictions, Adore Me mixte "les données des modèles les plus vendus avec les tendances "mode" repérées et la typologie de nos clientes, dont la proportion de tailles larges augmente", révèle le CEO.
Le spécialiste de la lingerie pousse la logique data jusqu'à A/B tester ses mannequins, afin de comprendre la performance de ses produits sur des modèles différents, ou, encore, de comparer toutes les pages de son site web. Avec succès, à en croire les résultats communiqués par l'entreprise: en 2015, le principal concurrent de Victoria's Secret a réalisé un chiffre d'affaires de 16 millions de dollars. En 2016, la marque compte non moins d'un million de clients sur l'année et a intégré le classement des 20 sociétés en plus forte croissance aux États-Unis, tout secteur confondu, réalisé par le magazine économique Inc. La data mania a encore de beaux jours devant elle.
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