Data visualisation, l'art de montrer la data
Malgré la démocratisation des technologies de traitement du big data, sa représentation reste une problématique majeure. Infographie statique compréhensible du plus grand nombre ou smart app interactive nécessitant un background technologique ? Regards croisés sur la data visualisation.
Fin 2015, Nicholas Feltron publiait son dixième et dernier "Feltron Annual Report", un document compilant un an de données personnelles, du nombre d'heures de musique écoutées au classement des quartiers new-yorkais les plus visités. Si le designer américain, à l'origine de la timeline Facebook, poursuit avant tout un but artistique, le rapport atteint tout de même les 16 pages, bien loin du nombre, vertigineux, d'informations produites en réalité. Selon le Planétoscope, 29000 gigaoctets de données seraient publiées sur le web chaque seconde. Des données certes quantifiables mais tellement nombreuses que leur volume reste difficile à appréhender pour le cerveau humain, comme l'explique Damien Cludel, chef de marché plateforme applicative chez Microsoft France : " Le big data a une quantité quasiment infinie de propriétés, que l'on appelle dimensions, alors que l'homme n'est pas capable de matérialiser plus de 3 dimensions. Ces jeux de données sont tellement complexes que les êtres humains ne peuvent en saisir la quintessence."
La data visualisation comme outil stratégique
La data visualisation permet de transformer le big data en outil opérationnel d'aide à la décision en temps réel.
Matérialiser le big data pour le rendre compréhensible, c'est là tout l'enjeu de la data visualisation. La discipline à la fois d'étude, de science et d'art est pourtant loin d'être récente, souligne Damien Cludel : "On pense à tort que la dataviz est née avec l'avènement du big data. Or, la représentation graphique des données a toujours existé..." C'est, par exemple, l'essence même de la cartographie, apparue dès l'Antiquité. Quant à la forme moderne de la data visualisation, elle remonterait à 1786, date de parution d'un ouvrage intitulé "The Commercial and Political Atlas", oeuvre de l'économiste écossais William Playfair, qui manie les trois principaux types de représentation graphique, à savoir le diagramme circulaire, le graphique à barres et la courbe statistique.
Plus de deux siècles plus tard, les outils de data visualisation permettent de représenter des données " créées en plus grand nombre que ce que l'on est actuellement capable d'analyser ", dixit Fabrice Starzinskas, directeur de création du studio Bright, spécialisé dans l'art numérique. A l'ère de l'infobésité, le principal enjeu de la discipline est de transmettre des informations à des individus qui n'ont pas le temps de les lire. Un outil qui s'avère être très utile dans une volonté de fact-checking, notamment dans un contexte de course à la présidentielle.
Cependant, il serait réducteur de cantonner la data visualisation à son rôle de restitution des données. Pour Damien Cludel (Microsoft), " ce n'est que la partie émergée de l'iceberg : derrière la data visualisation, se cache bien sûr le big data." "Data viz et big data sont indissociables", renchérit Guillaume Bourdon, co-fondateur et directeur général de Quinten, qui conseille aux entreprises d'acquérir " la maîtrise de toute la chaîne de valeur, depuis l'extraction de la donnée brute jusqu'à son exploitation ". Car la data visualisation permet de transformer le big data en outil opérationnel d'aide à la décision en temps réel, en " dégageant des tendances pour réduire le cycle de décision, et ainsi faire l'économie d'un processus long qui fait habituellement intervenir l'humain ", détaille Damien Cludel. Quinten bâtit ainsi, à partir de la data, des modèles prédictifs (déterminer la probabilité qu'un évènement se produise) et prescriptifs (expliquer pourquoi cet évènement aura lieu) à destination des entreprises. Ces applications sont par exemple utilisées au sein de régies média pour optimiser l'efficacité des campagnes publicitaires des annonceurs grâce à des algorithmes de mesure de la performance.
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Du big data à la smart data, il n'y a qu'une app ?
Quand une image vaut mille mots, une data visualisation vaut cent images.
Les contours de la data étant par essence insaisissables, la data visualisation repose sur la capacité à donner une traduction visuelle aux données. " Quand une image vaut mille mots, une data visualisation vaut cent images ", estime Fabrice Starzinskas. L'infographie fut un temps le support emblématique, si ce n'est privilégié, de la data visualisation, avant d'être aujourd'hui décriée par les spécialistes. Pour Guillaume Bourdon, l'ère de l'infographie est représentative de la première génération de la data visualisation, est donc révolue. En cause notamment, la forme de ce support qui a tendance à prendre le pas sur le fond. " La data visualisation est devenue de plus en plus complexe en matière d'esthétique, sans pour autant améliorer la compréhension des informations ", selon le directeur de création de Bright. Faisant ainsi fi des règles énoncées par Edward Tufte, surnommé le "Léonard de Vinci des données", dans son ouvrage " The Visual Display of Quantitative " (1983) comme le data-ink ratio, à savoir la proportion d' "encre" utilisée pour représenter une donnée rapportée à la quantité totale d' "encre" utilisée dans le document. "L'infographie est lue en 30 secondes mais créée en plusieurs heures", résume ainsi Fabrice Starzinskas. Au nom d'une volonté ludique, la data visualisation se rend parfois coupable d'érosion de la réalité, en utilisant des systèmes de représentation qui s'affranchissent des proportions et des échelles. " La data visualisation est son propre ennemi ", regrette le spécialiste de l'art numérique.
"Un livrable intelligent, intuitif, évolutif, personnalisé, sécurisé, peu coûteux et simple d'utilisation" ; la définition plus qu'élogieuse faite par Guillaume Bourdon est celle de la smart app, qui prend la forme par exemple d'une application mobile de banque ou d'un logiciel de prédiction des ventes. Un support de la data visualisation combinant à la fois la représentation visuelle et le background data, et qui répond avant tout à l'impératif d'instantanéité induit par le big data. "A partir du moment où les données changent constamment, la data visualisation doit devenir interactive avec toujours un volet visuel mais surtout une machinerie en arrière-plan qui traduit l'information en temps réel", indique Guillaume Bourdon. La smart app a également pour avantage de s'intégrer dans n'importe quel environnement de travail, permettant ainsi à n'importe qui de pratiquer la data visualisation, quelles que soient ses compétences en data science ou en informatique. Chez Microsoft, le SaaS Power BI (pour Business Intelligence) se connecte ainsi à 62 sources de données différentes (suite Adobe, Google ou encore Saleforce). Si les experts interrogés s'accordent pour faire de la smart app le support idéal actuel de data visualisation, le directeur général de Quinten nuance tout de même son utilisation : les smart apps ne seraient pas (encore ?) rentrées dans les moeurs des entreprises, principalement en raison du manque de collaboration entre les départements IT et les autres services.
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