Alain Afflelou: "Le digital, je n'en vois pas forcément l'intérêt"
35 ans après la création de son magasin bordelais, Alain Afflelou continue d'étendre son enseigne de 727 boutiques. Et entend bien mettre au profit d'Alain Afflelou Acousticien les méthodes qui ont fait son succès dans l'optique.
- Le groupe Afflelou, c'est 727 boutiques, pour 376 franchisés... Et à Afflelou Optique s'ajoutent les 50 points de vente Afflelou Sun et les 200 Afflelou Acousticien. Sur ce segment des aides auditives, vous appliquez les recettes qui ont fait le succès de l'optique: Tchin Tchin et Win-Win. Pensez-vous y provoquer le même raz-de-marée?
Comme les lunettes il y a 35 ans, les aides auditives sont vécues comme un drame. Quand on en a besoin, on se considère comme sourd, souffrant d'un handicap. Mon approche est donc la même qu'alors: dédramatiser cette situation, en montrant que j'en porte et que je m'en moque.
- Vous permettez-vous les mêmes libertés qu'à l'époque?
Oui, car la publicité, pour être efficace, nécessite recul et second degré. Si elle est dramatique, le produit le sera tout autant. À partir de 60 ans, on entend mal... et alors? C'est banal. À 40 ou 45 ans, souvent, on est presbyte. Ce n'est pas pour ça qu'on est aveugle ou handicapé. Et tout l'art de communiquer, c'est de dire, pas sérieusement, des messages qui, pourtant, le sont.
- Pensez-vous que vos offres commerciales agressives secoueront autant le marché de l'audition que celui de l'optique?
Aucun de nos concurrents ne nous a emboîté le pas. Et je ne m'explique pas pourquoi. Notre arrivée a cependant brassé le secteur. Déjà, en contraignant le marché à réduire la voilure en termes de prix, mais surtout en élargissant le marché en rendant les appareillages plus abordables.
- En 2006, interviewé par Marketing, vous disiez: "Si on ne communique pas, on disparaît." Face à la mutation des pratiques marketing, croyez-vous encore que la publicité revêt une telle importance?
Je maintiens. À l'époque, j'utilisais l'image d'un bateau qui coule. Celui qui crie le plus est sauvé le premier, tandis que celui qui attend qu'on le secoure se noie. Il faut dire, montrer et ne pas avoir peur de se vanter. Si vous ne dites pas que vous êtes le meilleur, ce n'est pas vos concurrents qui vont le faire ! Alors, on peut passer pour immodeste, mais c'est ça, la pub. Regardez le slogan "Omo lave plus blanc"... En quatre mots, les consommateurs ont été convaincus!
- Et "il est fou Afflelou?, les gens l'ont cru aussi?
En tout cas, ils l'ont accepté. Certains ont dû se dire: "Quel con! Pour qui il se prend?", mais je crois que la majorité a pensé que j'étais sympa!
L'innovation au sein du groupe Alain Afflelou
- En tant que fondateur en prise directe avec votre stratégie de communication, vous avez pu assurer la continuité de votre message. Ce qui n'est pas le cas avec le turnover des directions marketing...
Le propre des agences et des directeurs marketing dans les boîtes, c'est qu'ils se sentent obligés de tout le temps innover. Or, quand on change, on désarçonne le consommateur. Il faut donc capitaliser sur les forces de la marque, sans les ébranler... Et ne pas forcément se fier aux agences. Nous avons démarré "Il est fou Afflelou" avec RSCG, qui a commencé à faire et refaire tout le temps les mêmes campagnes... Jusqu'à celle de trop où j'étais censé être porté par des filles, sur leurs épaules. Et là, j'ai pensé... "On est fous de quoi ?" On ne savait même plus ce que l'on proposait. J'ai donc voulu, tout en gardant humour et légèreté, revenir à quelque chose de plus profond... Ce que refusait l'agence. Depuis quatre ou cinq ans, nous faisons donc tout seuls. Et cela ne change pas grand-chose finalement. On ne veut plus s'embêter avec des agences qui ne faisaient qu'exécuter ce qu'on leur demandait.
- Comment êtes-vous organisés en interne?
Je travaille avec Bénédicte Vignon, ma directrice de la communication. Je propose souvent des idées, et si on trouve qu'elles sont bonnes, on se lance. Tous les films faits avec Sharon sont sortis de la tête des gens autour de moi.
- En février 2018, vous ferez un nouveau spot publicitaire avec Sharon Stone. Va-t-elle être votre ambassadrice pour Afflelou Acousticien?
Il ne faudrait pas lui dire qu'elle travaille pour l'acoustique. Elle ne voudrait pas qu'on apprenne qu'elle entend mal... mais je ne désespère pas de lui faire dire sans qu'elle le sache! [rires]. Déjà, pour les verres progressifs, au début, elle ne savait pas... Je lui fais dire "De près comme de loin"... Mais elle est très cool, elle s'en fout, elle a l'âge qu'elle a, l'assume et est très professionnelle. D'ailleurs, c'est nous qui lui fournissons ses verres et des lentilles progressifs... Gratuits! [rires]
- Quel est le principal vecteur de diffusion de vos campagnes publicitaires?
La télévision, sans conteste. Sur Canal +, notre campagne "On est foot d'Afflelou", sur tous les matchs du championnat, comprend six passages de 30 secondes par match. Et à chaque but marqué, notre publicité passe et repasse au ralenti. C'est un sacré média d'image! Quant à la presse quotidienne, surtout en province, elle ne vaut plus rien car plus personne ne la lit. L'affichage a disparu des villes. Il y a 30 ans, chaque coin de rue avait son 4 par 3... auxquels étaient destinées les premières créations des agences. Aujourd'hui, c'est fini. À Paris, il ne reste plus que le métro... Et tant pis pour ceux qui ne le prennent pas! Et en province, ils sont tellement concentrés en périphérie que votre campagne est noyée. Bref, ce n'est pas forcément le support le plus intéressant pour porter notre message et en termes de rapport qualité/prix, ce n'est pas le plus efficace.
- En termes de rapport qualité/prix, les annonceurs misent plutôt sur le digital...
Ce n'est pas le cas chez nous. Aujourd'hui, on est pris dans un étau et si on ne fait pas de digital, on est à côté de la plaque.
- Vous n'êtes pas d'accord?
Non, je ne suis pas d'accord. On peut vivre sans faire de digital. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas rester attentif, mais aujourd'hui, ce n'est pas encore indispensable. Dans l'optique, on n'en a pas fait du tout. On a fait un choix. Je ne suis pas contre le digital. Mais on n'a pas de budget extensible à l'infini. Et on utilise l'argent sur les supports et les médias qui sont les plus efficaces et les plus performants.
- Aujourd'hui, ne croyez-vous pas que la différenciation marketing ne se fait plus vraiment sur l'offre, sur les produits ou les services... mais plutôt au niveau technologique, notamment dans la maîtrise des outils de ciblage?
En ce qui concerne la communication, les publicités ciblées sur Internet ont pour nous des résultats infimes. Et tous ces nouveaux supports ne sont pas près de supplanter la puissance de la télé.
- L'explosion des capacités des outils marketing de mesure, de collecte de data, a-t-elle modifié votre vision du marketing?
Pas vraiment. Certes, pour l'audio, on a tenté des campagnes de SMS orchestrées autour de la prévention: "Vous êtes sûrs de bien entendre ? Allez vérifier." Et on fait également des newsletters sur les promotions. Je suis sensible à ces nouvelles formes de communication, mais je n'en vois pas forcément l'intérêt... Peut-être est-ce parce que nous le faisons mal ou que nous sommes mal conseillés, mais aujourd'hui, je crois en ce qui marche et la télé, ça marche!
Ce que l'explosion des outils n'a pas modifié non plus, c'est le discours de vérité qu'attendent les consommateurs, qui ne supportent plus d'être baladés, et donc refusent la publicité fausse et mensongère.
Lire aussi : Picard, enseigne de l'année 2014
- Vous avez dirigé les Girondins de Bordeaux, de 1991 à 1996, cela vous tenterait de reprendre la présidence d'un club ?
Peut-être pour ma prochaine vie!... Mais en attendant, c'est fini. J'ai vécu ça passionnément, et comme toutes les passions, quand elles se terminent, on ne se souvient même plus de leur existence.
- Cela vous a servi en tant que chef d'entreprise?
Non, pas du tout. Je n'ai rien appris! Je me suis fait insulter sur les stades, porter aux nues. On m'a reproché de ne pas trouver assez d'argent pour acheter certains joueurs. J'ai arrêté quand j'ai trouvé cela pesant d'aller à Bordeaux. Et c'est arrivé après la finale de la Coupe d'Europe, un match exceptionnel contre le Bayern de Munich, l'un des cinq moments les plus mémorables du foot. Il y avait Zidane, Lizarazu, Dugarry... Des joueurs que, d'ailleurs, certains m'avaient reproché d'être allé chercher !
- Quelle enseigne retail vous inspire?
Ce qui m'intrigue, c'est le succès de Zara qui ne fait pas de pub et qui mise sur la qualité de ses emplacements et sur la cadence quinzomadaire de ses créations. Ce sont des réussites incroyables basées sur des concepts forts... Mais qu'après, il faut déployer!
- Justement, vous avez inauguré votre nouveau concept de magasin aux Halles...
C'est une manière de montrer à nos usagers, nos franchisés et à la presse que nos magasins sont à la pointe de l'innovation. Bornes interactives, tables tactiles, scan mirror... Nous essayons d'aller au bout de l'expérience cross canal.
Sur le même thème
Voir tous les articles Retail