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Romain Jolivet (La Vie) : "Je mesure depuis longtemps la puissance du marketing"

Élu Personnalité marketing de l'année 2024 par ses pairs, Romain Jolivet, chief marketing and creative officer de La Vie, est un amoureux de la marque. Il mesure le pouvoir d'influence des habitudes de consommation pour les faire évoluer. Explications sur la genèse de La Vie et sur les ambitions de cette nouvelle marque engagée sur le marché des alternatives végétales.

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Romain Jolivet (La Vie) : 'Je mesure depuis longtemps la puissance du marketing'
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Vous avez été désigné Personnalité marketing de l'année 2024 par vos pairs. Qu'est-ce que ce prix représente ?

Romain Jolivet : D'un point de vue collectif, c'est une immense fierté. Dans la sélection, nous étions parmi des marques comme PepsiCo, Lego... Des marques qu'on admire tous chez La Vie. Nous venions de remporter également un prix Effie avec Buzzman. Ce trophée de la Personnalité marketing de l'année a été le point d'orgue de l'année 2024, une reconnaissance de l'industrie. Nos prises de risques créatives et collectives ont payé ! Je suis allé fêter cela avec notre CEO, Arnaud Bachelier, fondateur du groupe MOM, qui est venu déjeuner avec les équipes.

Vous êtes passé d'un poste de directeur marketing global chez Danone à dirigeant de la marque La Vie en 2021, racontez-nous votre parcours et vos choix ?

R. J. : En effet, j'ai fait un choix, j'ai pris des risques personnels, des risques financiers et matériels assez forts. Je pensais que je pouvais avoir un impact individuel plus positif en changeant de trajectoire. Au sein de La Vie, nous sommes au tout début du chemin. Je dis souvent que la marque La Vie est mon quatrième enfant. Je l'ai créée en partant d'une page blanche et je ressens une espèce de sentiment de fierté quasiment paternelle !

Lors de mes expériences, j'ai été habitué assez jeune à avoir un impact personnel fort sur des marques et à mesurer la puissance du marketing. Nous avons, par exemple, fait une campagne de reforestation au Chiapas quand j'étais expatrié au Mexique, au sein du Groupe Danone. Cette campagne est devenue le plus grand programme privé de reforestation au monde ! Cela étant, sur des marques globales, je trouve que le marketeur est un peu dépossédé de son impact personnel. J'ai trouvé chez La Vie cette confiance totale dans la mission du marketing et une réponse à mon goût pour la créativité.

Selon vous, les professionnels du marketing sont-ils nombreux à traverser une quête de sens dans leur parcours et pourquoi ?

R. J. : Nous, les marketeurs, nous devrions être les plus exposés à cette quête de sens. Si l'on en revient aux fondamentaux du marketing, nous parlons d'influence. Selon moi, le marketing est la science d'influencer le comportement des gens. Un bon marketeur avec des moyens peut influencer la société. Et la question est de savoir si l'on met son énergie au service de bonnes influences. Le monde évolue, est de plus en plus complexe, avec des enjeux majeurs. On ne peut plus être dans des injonctions contradictoires. En réalité, je suis même très circonspect de l'absence de quête de sens de certains marketeurs !

La Vie et vous, c'est un peu une histoire de sérendipité, puisque vous avez découvert par hasard un post LinkedIn qui évoquait le bacon végétal d'une start-up...

R. J. : Oui, c'est incroyable et c'est une belle histoire. Il y a eu une espèce d'alignement de planètes. Je vois une tranche de bacon veggie sur LinkedIn, un post de startupeur, et je fais une boutade sur ce post. S'ensuit une conversation avec le fondateur. Quelques jours plus tard, une annonce est diffusée pour recruter un directeur du marketing. Je ne correspondais en rien au profil, alors j'ai postulé... L'aventure pouvait commencer !

J'écris au fondateur. S'engage une conversation passionnante sur LinkedIn, une rencontre, et une flamme commune. Nico­las, le fondateur, me dit que le laboratoire de recherche s'appelle 77 Foods. Parce que 77 % des terres agricoles sont utilisées pour nourrir les animaux, c'est même passé à 80 % actuellement. Nous sommes alors en juin et la marque doit être lancée en octobre chez Carrefour. Il est prévu de l'appeler 77 Foods. Le produit est génial, mais il faut une marque à la hauteur ! Je lui ai proposé de travailler dessus et nous avons lancé La Vie.


Vous avez insufflé un esprit "casseur de codes" avec une communication décalée... Quelle est votre méthode pour y parvenir ?

R. J. : "They read what they love and sometimes it's an ad." Pour moi, la première règle est de respecter les gens. Et de respecter le fait que ton message n'est pas intéressant. La deuxième recette pour moi, c'est de s'entourer de gens qui te challengent. Je peux partager une anecdote qui est intéressante pour tous les marketeurs qui nous liront. En marketing, mon monument, c'est Georges Mohammed-Chérif, le fondateur de Buzzman. C'est l'une des personnes les plus intéressantes avec lesquelles je discute professionnellement, et toute sa team est géniale. Buzzman accepte de prendre La Vie en communication, sachant qu'il ne prend pas beaucoup de clients, surtout des tout-petits.

Georges tombe amoureux de la marque. Je fais le "pitch", je lui fais goûter le produit... et il est d'accord pour qu'on travaille ensemble. La semaine d'après, je fais un brief que je prépare avec 50 slides au cordeau... Je m'en souviendrai toute ma vie. Georges arrive : c'est un personnage ! Il arrive au milieu de la réunion et pose deux questions hyper pertinentes. Je présente mon brief avec mes templates que je trouvais très bien fichus, et Georges dit... "Très bien, en gros, tu as le brief, tu as l'idée de campagne [...] Et moi, je fais quoi ? Tu as tout, là !"

L'histoire ne s'arrête pas là, puisque vous avez collaboré. Comment avez-vous rectifié le tir ?

R. J. : Deux jours après ce meeting, je reçois un message de Buzzman qui me dit "nous sommes vraiment désolés, mais le brief est trop fermé, je ne vois pas ce qu'on peut vous apporter." Je rappelle Georges Mohammed-Chérif, avec le coeur qui bat, en lui disant, on va procéder différemment. "Tu as compris ce qu'est La Vie. Je lance dans trois mois. C'est toi qui lances. ­Dis-moi ce qu'il faut faire !" Et il me répond : "Voilà, ça, c'est un brief !" L'agence a imaginé la fameuse campagne où un juif, un musulman, un viandard et un végan sont à la même table, présentée en format géant sur le palais de la Conciergerie. Cette bâche était disponible pour un coût de 280 000 euros, soit l'ensemble de mon budget de lancement... Nous avons suivi la recommandation !

Plus globalement, il faut partir du principe que les gens n'ont pas d'intérêt pour ton message de marketeur, donc il faut que tu trouves une solution pour rendre le message engageant émotionnellement, essayer de casser les codes, de faire les choses différemment. Le deuxième conseil est de s'entou­rer de gens qui te challengent. Nous sommes entourés de gens qui veulent faire plaisir à l'annonceur. C'est le piège des marketeurs. Il vaut mieux s'entourer de gens qui ont des convictions fortes et savent être en désaccord avec toi !

Comment vous positionnez-vous face au lobby de la viande industrielle ?

R. J. : Le lobby de la viande nous a mis très tôt une pression énorme. Les stratégies des lobbies pétroliers, pharmaceutiques et d'élevages industriels sont liées. Il faut savoir que le premier client de la pharmacie, c'est l'élevage intensif, les antibiotiques et les médicaments pour les animaux. Pour les lobbies, la stratégie, c'est la réponse disproportionnée. On s'est fait attaquer sur la dénomination de "lardons végétaux". Nous avons été attaqués pour parasitisme économique, arguant que nous nous contentions de reproduire en tout point le goût, l'odeur et la texture des traditionnels lardons de porc. Nous avons eu quelques nuits blanches, la police au bureau, la répression des fraudes.

Nos partenaires, les afficheurs et notre agence média ont reçu une plainte avec une mise en demeure d'arrêter les communications de la marque La Vie ! Nous avons été défendus par le syndicat des alternatives végétales, Protéines France. Mais le premier client des protéines végétales dans le monde, c'est aussi l'élevage intensif ! Une situation très complexe, donc. La meilleure réponse que nous avons apportée, et qui peut-être une leçon pour les marketeurs de "marques challengers" est de ne pas fuir ! Nos campagnes qui nous ont rendus célèbres étaient des réponses directes au lobby de la viande. À notre tour, nous avons attaqué au motif que les lardons de porc se contentaient de reproduire en tout point le goût des lardons végétaux et tout est rendu public sur nos différents réseaux...

Vous avez coutume de dire que le marketing a le pouvoir d'influencer le comportement des consommateurs... Les modes de consommation évoluent-ils assez rapidement ?

R. J. : La Vie a mis le doigt sur un sujet très intéressant en tant que marketeur. Si 80 % des Français sont contre l'élevage intensif et un tiers pour son interdiction, tout ce qu'on consomme est issu de l'élevage intensif, à 98 %. Le secret est bien gardé. Le fait d'être un révélateur de cela a porté la marque en matière de notoriété, de popularité. Aujourd'hui, des marques comme Herta, Fleury Michon, Charal vont vers plus d'alternatives végétales. Ces marques ont un pouvoir de démocratisation que La Vie n'a pas. Cela confirme notre impact positif sur ces transformations et nous en sommes fiers...

Quelles vont être les grosses orientations de La Vie en 2025 ?

R. J. : Nous avons deux enjeux aujourd'hui. 30 % de notre notoriété se positionnent sur les 18-34 ans. En revanche, 70 % des consommateurs ne nous connaissent pas. Le premier enjeu est donc de continuer à nourrir une communication très forte autour de la vidéo, de l'affichage et du social media, actionnés ensemble, pour accélérer notre développement. Le second sujet est notre grosse déficience de conversion. La marque n'est pas suffisamment disponible et nous devons davantage la faire goûter dans les plus grands magasins de France. Je m'y suis rendu pour des séances de tests pour voir la réaction des consommateurs et c'est carton plein !


DATES CLES

2016 : Membre du comité exécutif. Directeur marketing, Danone Nordics

2018 : Membre du comité exécutif. Directeur marketing, médias, RP et innovation Danone, Pologne

2020 : Directeur de la marque mondiale, Danone Essential Dairy and Plant-Based International

2021 : Directeur marketing et création de La Vie (77 FOODS)


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