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"L'innovation est le moteur de la croissance vertueuse de L'Oréal", Céline Brucker

Directrice générale de L'Oréal France depuis janvier 2023, Céline Brucker érige la beauté comme un "droit fondamental". Au sein d'un groupe aux résultats financiers spectaculaires, elle souhaite participer à la croissance en soignant autant la connaissance client que le bien-être des collaborateurs.

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'L'innovation est le moteur de la croissance vertueuse de L'Oréal', Céline Brucker

Vous avez commencé votre carrière au sein du groupe L'Oréal en 1997, aux États-Unis, et gravi les échelons jusqu'aux postes de directrice générale (DG) de L'Oréal Paris en France, en 2009, et de L'Oréal France, depuis janvier 2023. Comment avez-vous vu le groupe se transformer ?

Céline Brucker : Depuis toujours, L'Oréal se veut un groupe pionnier et en constant mouvement. Au fil des ans, le groupe s'est emparé de trois grands sujets de transformation. L'Oréal a identifié que le digital allait être un tsunami et qu'il fallait rapidement "saisir ce qui commence" - une expression que nous utilisons souvent au sein du groupe. L'Oréal a également eu la volonté de prendre très tôt et de manière déterministe, le virage de la RSE, avec un premier suivi des indicateurs dès 2005 et un 1er programme d'engagements concrets dès 2013. Enfin, sur le plan managérial, notre entreprise a pris conscience des évolutions des modes de travail et des envies des collaborateurs. Et a lancé, dès 2016, le programme "Simplicity" pour favoriser, notamment, la prise en compte des feedbacks des collaborateurs et en faire un moteur de l'amélioration de notre culture managériale.

Vous avez été la première femme à occuper la fonction de DG de L'Oréal Paris en France et également la première à accéder au poste de DG de L'Oréal France : la politique d'égalité femmes-hommes de L'Oréal peut être qualifiée de volontariste ?

C.B. : Le groupe L'Oréal a la volonté d'être excellent en matière de diversité - et pas seulement dans l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Mais si l'entreprise a depuis longtemps fait le choix de l'exemplarité dans le rapport femmes-hommes, et veille à un bon équilibre, c'est bien la méritocratie que L'Oréal a à coeur de placer comme facteur principal de promotion. Je suis très sensible à cette question (Céline Brucker est notamment à l'initiative du forum Elle Active en 2012, dédié au travail des femmes, NDLR) et j'aime à croire que ma nomination est le résultat de ces deux mouvements.

Quels défis avez-vous inscrit à votre feuille de route ?

C.B. : Après des années fortement marquées par des aléas tels que la crise du Covid-19 ou la guerre en Ukraine, nous avons pris conscience que nous sommes dans un monde très volatile et plus que jamais marqué par les incertitudes. Mon enjeu, dans ce contexte, est de poursuivre la transformation du groupe et d'accélérer notre contribution à la croissance sur le marché français, troisième pays du groupe L'Oréal en termes de chiffre d'affaires après les États-Unis et la Chine. L'Europe est d'ailleurs, en 2022, le premier contributeur à la croissance du groupe. J'ai donc inscrit trois grands sujets en tête de ma feuille de route. Le premier, que j'ai appelé "One consommateur", tourne autour la connaissance client et de l'activation et a pour moteur la data. Grâce aux données, nous sommes en capacité d'avoir une relation plus personnalisée avec nos consommateurs, et c'est une immense transformation qui s'opère pour passer, dans les années à venir, à des modèles d'activation plus individualisés. Il s'agit d'avoir les moyens de suivre les 40 millions de consommateurs que nous touchons tout au long de leur cycle d'achat, de nouer avec eux une relation sur la durée, et de pouvoir les faire naviguer au sein de notre portefeuille de plus de 50 marques.

Est-ce que cet enjeu de connaissance client induit le développement d'une stratégie de distribution "Direct to consumer" (DtoC) ?

C.B. : Pas nécessairement. Même si nous avons quelques boutiques physiques NYX Professional Makeup, ainsi que des «flaghips » Carita et Lancôme pour la division luxe, sans oublier des sites e-commerce pour plusieurs marques de notre portefeuille (L'Oréal Paris, La Roche-Posay et Kérastase, par exemple), nous misons plutôt sur des partenariats data avec des retailers ou avec des régies média pour adresser les consommateurs, de manière nominative ou non. Nous pouvons ainsi nous appuyer sur l'ensemble des circuits de distribution (grande consommation, parfumeries, grands magasins, pharmacies et parapharmacies, salons de coiffure, boutiques de marque, e-commerce), soit un peu plus de 60 000 points de vente en France.

Revenons aux deux autres sujets en tête de vos priorités...

C.B. : Mon deuxième enjeu est d'oeuvrer à une croissance responsable et vertueuse. Ce n'est pas un sujet nouveau, mais il demeure important, notamment pour générer l'engagement des collaborateurs qui, habités par des valeurs environnementales et sociétales, ont très envie d'être acteurs de la transformation. Une dynamique interne incroyable se créé. Mon troisième enjeu est managérial. Nous enclenchons à présent la deuxième vague du programme Simplicity, dans l'optique que le temps travaillé soit pour nos collaborateurs un temps de plaisir, de créativité, d'innovation et de partage.

Les résultats financiers du groupe, rendus publics en février, montrent une part du e-commerce de 28 % du chiffre d'affaires en 2022 - le CA global étant de 38,26 milliards d'euros. Quelle place prend ce canal dans votre stratégie retail ?

C.B. : L'e-commerce est un moteur de croissance très important et aussi un levier incontournable de nos stratégies d'activation individualisées. Il est aussi vécu comme un canal de services par les consommateurs. Pendant les années Covid, l'e-commerce a connu une forte accélération aux alentours de 25%. Pour autant, le brick demeure très important et les résultats de l'année 2022 confirment un rééquilibre en sa faveur. Le magasin physique retrouve de son importance, sur un plan expérientiel en particulier, avec la possibilité de conseils, d'une théâtralisation des innovations et de davantage de storytelling de marques. Il garde toute sa place pour continuer à apporter, au-delà de l'expérience, du plaisir et de la spontanéité - cruciaux, puisque la beauté reste une catégorie d'impulsion. Nous constatons que la plupart de nos consommateurs utilisent tous les circuits (sites e-commerce, magasins en propre, distributeurs et salons de beauté). Nous devons donc travailler de façon omnicanale afin que l'expérience client soit cohérente, d'un circuit de distribution à l'autre.

À l'occasion du CES de Las Vegas 2023, L'Oréal Groupe a dévoilé Hapta, un applicateur de rouge à lèvres pour les personnes en situation de handicap. OEuvrer à plus d'inclusivité dans la beauté est crucial ?

C.B. : Effectivement, cette innovation est très représentative de notre volonté d'être inclusif. Nous sommes habités par une conviction profonde : l'accès à la beauté est un droit fondamental et un moteur d'épanouissement personnel très fort. Il est donc très important pour nous de pouvoir contribuer grâce à la technologie à lever une barrière pour les personnes en situation de handicap. S'il s'agit encore d'un laboratoire qui permet de sonder l'intérêt du marché et les modalités de déploiement, en tant que leader, nous nous devons de montrer le chemin.

Comment les innovations nourrissent-elles les différentes marques du groupe ?

C.B. : L'innovation est le moteur de la croissance vertueuse de L'Oréal, avec l'enjeu sous-jacent de la démocratiser et de la rendre accessible à chacun. Et, notre raison d'être, née il y a trois ans, « créer la beauté qui fait avancer le monde » le résume bien. Plus largement, qu'il s'agisse de la réalité augmentée ou du métavers... Ces incursions technologiques représentent des laboratoires à explorer pour saisir les nouvelles tendances, expérimenter et apprendre. Actuellement, nous sommes solidement ancrés dans l'accélération du Web2.

L'Oréal est la seule entreprise au monde récompensée par un "Triple A" du CDP, organisation à but non lucrative, pour la 7ème année consécutive. Quels sont les engagements environnementaux pris par L'Oréal France ?

C.B. : Nous avons un programme officiel de développement durable, "L'Oréal pour le Futur", nous permettant d'avoir une feuille de route ambitieuse et publique à réaliser d'ici 2030. Nous voulons atteindre la neutralité carbone de nos sites d'ici 2025. Et nous mettons l'accent sur la réduction de l'usage du plastique. Concrètement, en France, les équipes ont travaillé sur des innovations produit : depuis plus de deux ans, tous les flacons de shampoing et de douche sont en plastique 100 % recyclé. Cela représente 200 millions d'unités. Toutes nos divisions - Grand Public France, Produits Professionnels France, Cosmétique Active France et Luxe France, NDLR - sont également très engagées dans la réutilisation du packaging primaire afin de réduire son empreinte environnementale.

Une initiative de recharge est ainsi menée sur des produits de douche et de shampoing, mais aussi sur nos grandes franchises de parfum. 40 % du volume des flacons de la marque Angel de Thierry Mugler (racheté à Clarins en 2019, NDLR) est désormais rechargeable, grâce aux concepts de fontaines de parfum déployés dans des magasins distributeurs comme Sephora et Marionnaud. Le groupe a aussi pris le virage de la "green science" il y a quelques années, ce qui nous permet d'avoir des formules composées à plus de 90 % d'ingrédients d'origine naturelle. Et nous avons aussi souhaité démocratiser des formules bio de grande qualité, en créant notamment la marque La Provençale Bio en 2018.

Vous avez également apposé un éco-score sur vos produits...

C.B. : Oui, il s'agissait d'inventer une mesure de bout en bout de l'empreinte environnementale (carbone et eau) des produits des marques Garnier, L'Oréal Paris, Biotherm, La Roche Posay et Vichy, et de l'ouvrir à l'ensemble des acteurs du marché, via le consortium Eco Beauty Score. De manière générale, nous oeuvrons à des packagings qui contiennent moins de plastique - un EcoPack représente 80 % de plastique en moins qu'un flacon classique, par exemple - ou aucun, à l'instar des shampoings solides Dop et Ultra Doux. Au passage, ces produits, qui nécessitent moins d'eau à l'usage, ouvrent également à la problématique de la préservation de l'eau. En ce sens, nous continuons à déployer en 2023 l'innovation "L'Oréal Water Saver". Il s'agit d'un pommeau de douche qui permet aux salons de beauté partenaires de la marque L'Oréal Professionnel de réduire la consommation d'eau de plus de 69 %. L'eau est une matière précieuse et nous devons tous agir pour la préserver. L'innovation a été présentée au CES de Las Vegas et figure dans la liste des 100 Meilleures Inventions relevée par le Time en 2021.

La RSE infuse aussi au sein de L'Oréal par le biais sociétal ?

C.B. : Nous sommes très fiers de l'initiative menée aux côtés de l'association Emmaüs avec laquelle nous avons ouvert deux boutiques pour accueillir des personnes en situation précaire et leur donner accès, gratuitement, à des produits de beauté et de soins essentiels pour l'entretien et pour l'estime de soi. Nous avons veillé à ce que l'expérience d'achat soit très qualitative, en proposant des services adaptés à chaque personne grâce au diagnostic de soins mené par une socio-conseillère. Il est très émouvant de voir le bien-être que les personnes ressentent et qui leur permet d'avancer dans leur vie. Pour poursuivre cette initiative, nous inaugurons un truck dans la région d'Angers.

Y a-t-il des temps forts publicitaires prévus pour L'Oréal France en 2023 ?

C.B. : En 2023, ce sont surtout les communications corporate autour de la raison d'être du groupe L'Oréal qui vont trouver une place plus permanente dans notre communication. Notre objectif est de renforcer la connaissance du grand public sur nos engagements.

Biographie :

1997

Céline Brucker entre au département Marketing de L'Oréal aux États-Unis.

2009

Elle est nommée directrice générale de L'Oréal Paris.

2019

Elle permet à la division Grand Public de L'Oréal de renouer avec la croissance.

2023

Elle est la première femme à occuper le poste de DG de L'Oréal France.


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