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Comment piloter une stratégie data-driven?

Que se passe-t-il quand huit décideurs marketing mettent carte sur table? On découvre que, tous embarqués dans la même problématique, entre l'instauration du RGPD, la concurrence par les Gafa et face à la révolution du secteur, ils savent tenir le cap.

Publié par Eloise Cohen le - mis à jour à
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Comment piloter une stratégie data-driven?

Une table ronde organisée par Marketing réunissait mardi 29 mai les stratèges data d'Engie, de Michelin, de SoLocal, de JCDecaux, de Louvre Hotels, de Prisma Media et de Seb, accompagnés par l'hôte du jour, Jean-Baptiste Bouzigue, président et cofondateur de la société de conseil en data science Ekimetrics et Éloïse Cohen, rédactrice en chef de Marketing et E-Marketing, animatrice des échanges.

La donnée, précieux asset commercial

Premier thème: où en est-on de l'exploitation de la donnée? Tout au long de cet échange, aucune voix ne viendra remettre en question l'utilité de ce nouvel eldorado, précieux asset commercial. La prise de conscience est effective: demain, tout sera data. Il sera donc plutôt question de sa nécessaire organisation pour faire de cet océan de données un levier business et la rendre plus intelligente. Chez Engie, la feuille de route est claire: "Pour les deux ans à venir, je souhaite transformer Engie en groupe data driven", indique Gérard Guinamand, chief data officer du groupe. Pour quel bénéfice? Dans un groupe composite comme Engie, à la fois commercial et industriel, l'idée est de créer des vases communicants afin que la donnée circule davantage et vienne nourrir de nouveaux cas d'usage.

En tant qu'acteur 100 % B to B, JCDecaux ne possède pas de base de données client, mais le publicitaire français envisage l'analyse des insights commerciaux de ses partenaires comme un vecteur d'amélioration de l'impact de ses campagnes publicitaires. "Le financement de notre modèle se fait via nos clients, les annonceurs. Nous aimerions connaître davantage les attitudes des consommateurs pour mesurer ce qui déclenche la vente dans nos publicités. Pour cela, nous avons trois leviers d'action : les capteurs, l'accès à des bases de données du marché et le partage des données avec nos partenaires, l'ensemble nous permettant d'analyser les comportements", explique Albert Asséraf, directeur général stratégie et data chez JCDecaux. Monoprix vient d'ailleurs de confier au spécialiste de la publicité urbaine les informations de ses cartes de fidélité, tandis que le duty free de l'aéroport de Dubaï lui transmet en temps réel ses données de vente, classées par typologie de produit, nationalité de l'acheteur et autres informations d'achat. Un processus récent: "Si l'on revient 12 mois en arrière, nous avions des initiatives ponctuelles. Il y a peu, nous avons lancé une direction data group pour se structurer", ponctue Albert Asséraf. Une quinzaine de collaborateurs ont été recrutés. JCDecaux en espère 100 d'ici à 2020 pour travailler sur les sujets de data analyse, data science et autres corps de métiers dédiés à la valorisation de la donnée.

La data au centre du modèle

Chez SoLocal, à la fois groupe média et distributeur de solutions publicitaires, la data est au coeur du modèle, avec un portefeuille de marques 100% digitalisées, à l'instar de PagesJaunes.fr. Pour Amaury Lelong, en charge de la programmatique, de la data et du retargeting, la donnée doit rester au service du business. Il loue à ce titre l'arrivée du Règlement général de la protection des données (RGPD) qui impulse un certain pragmatisme dans les entreprises : "Le principe fondamental du texte est d'instaurer un emploi proportionné de la donnée par rapport à l'usage qui en est fait." Un bon motif pour accélérer cette structuration et pour cesser les pratiques contre-productives. Vers la fin de la data pour la data, en somme. Pour SoLocal, l'enjeu est également à la centralisation de l'information en vertu d'un principe d'efficacité. À l'origine, avant que le traitement de la data ne soit intégré comme levier commercial, chaque ligne de métier a eu, à ce niveau, des initiatives propres d'activation pour répondre à des problématiques client. Une accumulation de technologies qui, selon Amaury Lelong, finit par nuire à l'accessibilité du traitement de l'information, réservée à des métiers plus experts.

On constate le même marqueur d'un haut niveau de digitalisation et le souhait commun de parvenir à centraliser l'information dans la ligne de conduite de la chaîne aux neuf enseignes (dont Campanile et Golden Tulip), collecteur de data hôtel et client. "Nous n'avons pas vraiment de soucis de silos, l'information circule d'un service à un autre. C'est un peu notre coeur de métier. Un client qui séjourne dans l'un de nos hôtels nous fournit beaucoup de données personnelles, parfois sensibles", décrit Éléonore Brizay, directrice e-commerce chez Louvre Hôtels. Le souci advient lorsque le groupe travaille avec des agences de voyages. Soudain, la chaîne d'approvisionnement de la donnée se rompt et la relation directe avec le client se perd. Les managers sont formés et intéressés à la récupération de cette information.

Pour Guillaume Planet, VP media et marketing (Groupe Seb), les parcours clients se digitalisent chaque jour davantage. Le processus de décision étant plus impliquant pour le consommateur sur les produits haut de gamme des marques du groupe, l'investigation d'informations et la conclusion de la vente se font de plus en plus souvent en ligne. Un itinéraire incontournable qui fournit au passage de très nombreuses données... Hélas, ces données sont récoltées majoritairement par des tiers: les revendeurs. "Nous sommes face à trois types de situations: Amazon est notre premier client dans le monde. Nous pouvons leur fournir de la data venant de nos systèmes, mais la data n'est activée qu'à leur niveau. Chez les distributeurs, comme Darty, on peut exploiter la donnée de manière plus libre mais on ne peut pas la récupérer. Le seul cas de figure où c'est "open bar", c'est avec le géant chinois Alibaba, qui nous fournit les adresses e-mail des acheteurs qui sont directement embarquées dans le système... Mais ça ne va potentiellement pas durer", raconte Guillaume Planet.

Ouvrir le dialogue entre métiers

Pour avancer sur le sujet, Prisma Media s'est doté d'un chief data officer et a modifié son approche autrefois segmentée. "On a cassé les silos pour que les équipes se parlent", décrit Virginie Lubot, directrice exécutive adjointe de la régie chez Prisma Media, en charge de l'innovation via le contenu, le social, la data et la vidéo. Elle n'hésite pas à faire des allers-retours entre le business et l'IT pour obtenir une vision d'ensemble des stratégies à enclencher. Une équipe de data scientists a été recrutée il y a moins de deux ans. Une stratégie qui a tardé à se mettre en place, comme chez ses pairs autour de la table. Une explication? "Avant, on ne savait pas que l'on avait cette richesse-là", confie-t-elle. En ce sens, il semble clair que les derniers doutes qui pouvaient subsister autour de l'intérêt de la data ont été effacés. Tous les acteurs savent qu'elle va prendre un intérêt croissant au fur et à mesure que vont se densifier leurs stratégies marketing respectives. Prisma Media a lancé pour accélérer le projet Prisma Connect, qui permet d'accéder à l'ensemble des sites du groupe avec un identifiant unique.

L'hégémonie des Gafa en question

Avec en toile de fond, le souhait de s'émanciper des Gafa. Pour Ekimetrics, les Gafa ont justement un rôle à jouer dans la fourniture d'insights business, ainsi que dans la construction de relations privilégiées avec les annonceurs: "Ce qui compte, pour les Google et Facebook, c'est d'être en relation directe avec les annonceurs. Ils ont donc développé des partenariats autour de la mesure statistique appliquée au marketing (portails marketing mix modeling), autour desquels ils essayent de rassembler annonceurs et experts en data. Un certain nombre de cas de ces programmes partenaires sont d'ailleurs décryptés sur Think with Google."

Data chaudes et data durables

"Aujourd'hui, nous devons réfléchir avant de prendre des décisions très engageantes. Nous en sommes encore à un état des lieux global, même si on commence à signer des partenariats mondiaux et locaux autour de la collecte de données", rapporte Albert Asséraf (JCDecaux). Plus le temps se raccourcit, plus les outils technologiques se diversifient. Pour Amaury Lelong (SoLocal), les étapes à franchir ont l'air simple, sur le papier: être capable de collecter, exploiter et activer la data. "Il y a deux orientations : la collecte de data "chaude" à utilisation immédiate avec un enjeu de collecte rapide et important. Et la data plus durable, qui va servir sur le long terme." Est-ce à dire qu'il en est fini des projets longs?

Pas vraiment. Pour Jean-Baptiste Bouzigue (Ekimetrics), il ne suffit plus de brancher un tuyau sur un flot de données et de voir ce que cela peut donner. La donnée qualifiée est une donnée activée qui va générer des gains impressionnants et beaucoup d'économies : "Un gros constructeur auto a dépensé plus de 40 millions d'euros pour un projet... Et le dernier million a servi à le tuer. Les pays refusaient l'outil, il était pensé par l'IT, pour l'IT..." Les entreprises ne veulent plus de cet effet "usine à gaz" technologique.

Ne pas négliger le contenu

Pour Albert Asséraf, c'est justement l'humilité qui est de mise : "Au quotidien, en vous déplaçant dans Paris, vous voyez des dizaines d'affiches JCDecaux. Mais le calcul de la mémorisation de l'impact et de la contribution a l'efficacité globale est un sujet stratégique, insiste Albert Asséraf. J'ai le sentiment qu'il faut mettre de l'humilité dans les modèles économétriques et leur capacité à extraire des informations définitives sur l'efficacité publicitaire. On met parfois un peu de côté le contenu de la communication elle-même."
"Il ne faut pas oublier de construire sa love brand", appuie Virginie Lubot (Prisma Media). Pour Amaury Lelong, les nouvelles technologies publicitaires remédient à cette difficulté de faire remonter quels stimulus ont déclenché l'acte d'achat ou le simple fait de se rendre en magasin (le drive-to-store). Les campagnes par SMS, les messages ciblés déclenchés au passage à proximité ou en boutique... D'après lui, "il y a une réconciliation à trouver entre le stimulus publicitaire et l'accueil en magasin". Et sur ce sujet, il y a encore un boulevard à paver d'intelligence marketing...

L'exploitation de la data arrive à maturité

En regardant ce qui se profile à l'horizon, chacun des décideurs voit se dessiner un avenir certes complexe, mais qui se clarifie à mesure que sont dimensionnés des projets moins exhaustifs et plus itératifs autour de l'exploitation de la donnée: la pratique du "test & learn" a de beaux jours devant elle! Le mot de la fin? Pour Albert Asséraf, de JCDecaux, c'est que "la data va transformer les usages en profondeur." "On voit bien que nous avons tous mûri en faisant des choix plus avisés en termes de dimensionnement de l'investissement et en fonction des finalités. On sent qu'il y a des opportunités ¬astronomiques autour de la data", s'enthousiasme Amaury Lelong (SoLocal). Pour Prisma Media, le groupe Seb (Guillaume Planet) et Sophie Desroseaux, directrice marketing chez Ekimetrics, il y a quelque chose de rassurant à se voir ainsi dans le même bateau et à avoir opté pour une logique d'itération.

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