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[Tribune] Sobres aujourd'hui, sobres demain ?

Le confinement engendre un changement d'attitude chez les consommateurs et de nouvelles envies dans le quotidien des Français. Le lien social sera-t-il le même après le déconfinement ? Une tribune de Valérie Guillard, directrice de Dauphine Recherches en Management.

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[Tribune] Sobres aujourd'hui, sobres demain ?
© CHOAT.PHOTOGRAPHER

Confinés chez eux, boutiques et restaurants fermés, les Français ont été forcés à la sobriété ces dernières semaines. Tenus à l'abri des tentations habituelles, inquiets aussi pour leur avenir, qu'ils soient en télétravail ou le plus souvent en chômage partiel, ils ont réduit drastiquement leur consommation, acheté souvent des produits locaux, cuisiné, bricolé, regardé la télé, échangé des vidéos, redécouvert les jeux de société et les plaisirs simples, ... Mais que feront-ils demain lorsque le confinement prendra fin ?

Nous avons demandé à plusieurs familles et à leurs groupes d'amis, en ville et dans des zones rurales, de tenir des journaux de bord de "consommateurs confinés". L'échantillon n'est pas représentatif de l'ensemble des Français, mais des classes moyennes et moyennes supérieures, dont le comportement est particulièrement intéressant car on sait qu'il déteindra à terme sur la population générale.

Le journal d'un confiné

"J'ai déjà décidé comment je vais m'habiller le jour du déconfinement. Je rêve de retourner chez le coiffeur. J'ai hâte de pouvoir à nouveau faire les boutiques, d'aller boire une bière en ville. Je n'en peux plus d'être enfermée", ... Des consommatrices -et consommateurs- de ce type, sur les starting-blocks, désireux de reprendre aussi vite que possible leurs habitudes, peuvent être regroupés dans une première catégorie. Les entreprises traditionnelles rêvent que celle-ci rassemble autant de monde que possible pour assurer un rebond rapide de la consommation capable de compenser le manque à gagner de ces derniers mois.

Mais la majorité des personnes que nous avons suivies ont été intimement ébranlées par cette période de confinement, qu'elles aient des craintes ou non concernant l'évolution de leur pouvoir d'achat. "J'ai pris conscience ces dernières semaines du plaisir de réaliser des choses moi-même, par exemple de faire de la cuisine maison au lieu d'acheter des plats tout préparés". "J'ai repeint mon salon". "J'ai profité de ce temps pour trier mon garage et me débarrasser de tout le bric à brac qui ne me servait à rien. Ça m'a fait réfléchir à mes achats inutiles". "J'ai trouvé du tissu par des amis d'amis du quartier et cousu des masques de toutes les couleurs" ...

Le confinement, pour eux, a été l'occasion de se sentir plus autonomes, capables de faire par eux-mêmes, avec le soutien éventuel d'amis, toute sorte de choses qu'ils confiaient auparavant à d'autres, en les payant pour cela. Ils ont coupé les cheveux de leurs proches, fabriqué à la main de petits cadeaux pour un anniversaire, fait le ménage en famille. Ils ont découvert d'autres facettes d'eux-mêmes, et pu s'imaginer heureux avec une vie quotidienne moins tournée vers l'extérieur qu'auparavant.

La perception du lien social

Beaucoup de ces "consommateurs confinés" disent avoir revu ainsi leurs priorités, se déclarant prêts à abandonner certaines de leurs activités habituelles à la sortie du confinement afin de conserver une partie de leur temps vraiment " libre ". A quoi bon payer ces cours de dessin ou cet abonnement à la salle de sport ? Obligés de stopper ce type d'activités socialement valorisantes, certains se sont rendu compte qu'ils s'en trouvaient finalement très bien.

En vivant quelques semaines en pyjamas ou en jogging, puis en s'habillant à nouveau, mais cette fois-ci pour eux-mêmes, ils ont réalisé aussi l'importance du regard social dont ils dépendaient et de l'injonction à consommer qui allait avec. Les personnes les plus extraverties ont particulièrement souffert de ce moment d'enfermement dans leur propre regard. S'est alors posée pour certains de ces êtres extrêmement sociaux, la question de leur identité personnelle, hors du groupe. Qui suis-je si personne ne voit que j'ai un pull, un sac de marque, une voiture puissante ?

Le changement, une utopie ?

Devant la splendeur de ce printemps qui semblait nous narguer, au-delà des murs, beaucoup de confinés ont également ressenti un puissant désir de nature. Coincés dans des appartements exigus, certains citadins réfléchissent désormais sérieusement à partir s'installer dans des maisons avec jardin, voire à partir vivre à la campagne.

Mais parmi ces confinés ébranlés par la crise sanitaire, tous ne pensent pas changer demain de comportement au quotidien. Certains ont dès à présent l'intuition que le retour au travail les ramènera très probablement à leur mode de vie d'avant, sous pression, entre maison, bureau, transports et consommation. Ils ont vécu la crise, comme une sorte de pause, de "récréation" dans leur vie frénétique, mais ils imaginent qu'ils renoueront vite avec celle-ci, comme s'il s'agissait d'une fatalité.

Penser que ces quelques semaines vont constituer le point de départ d'une conversion massive à la "sobriété heureuse" prônée par Pierre Rabhi est sans aucun doute utopique. Les témoignages que nous avons recueillis comportent pourtant une multitude de signaux faibles annonciateurs de changements. Pour beaucoup, il s'agit pour l'instant d'une fissure dans le train-train quotidien, du début d'un cheminement, pour se construire un autre rapport au monde, davantage tourné vers l'essentiel, les proches, la nature, avec moins de déplacements, moins d'activités, moins d'agitation, moins de bruit.

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