[Tribune] "Communicants, vous avez raison d'avoir peur !"
7,6 % de publicités liées à l'environnement ne seraient pas conformes, selon un bilan de l'ARPP et de l'Ademe. De quoi questionner plus d'un annonceur à l'idée de communiquer autour du développement durable... et mobiliser tous les contributeurs pour remettre à plat les pratiques et diffuser de nouveaux récits en phase avec les attentes d'audiences plus exigeantes.
Le 11ème bilan conjoint de l'ARPP-ADEME intitulé "Publicité et Environnement" qui vient de paraître révèle un taux de non-conformité des publicités liées à l'environnement particulièrement élevé, à 7,6 %, par rapport aux bilans précédents. Parmi les reproches faits aux marques en conclusion de ce rapport, rien de nouveau : un usage publicitaire inapproprié du vocabulaire du développement durable et non proportionnel au regard des propriétés du bien ou du service, mais aussi des engagements de l'annonceur. Alors que la réglementation a été renforcée et que les Français sont plus sensibles à l'écoblanchiment, connaître, s'approprier et appliquer les dispositions de la Recommandation "Développement durable" est devenu incontournable pour les marques selon l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP).
Quand nous avons souhaité, en tant qu'école, sensibiliser nos étudiants aux enjeux de l'urgence climatique et les doter d'outils pour pratiquer leur futur métier de façon responsable, nous avons surtout entendu des réserves, des inquiétudes et des mises en garde. Certains ont crié au loup face aux soupçons de greenwashing, dans une école qui a encore des progrès à faire sur son propre bilan carbone, au risque d'aggraver l'éco-anxiété d'étudiants déjà profondément fragilisés par la récente crise sanitaire, au choix des entreprises partenaires si elles ne sont pas certifiées B corp, ...
Oui, ces risques peuvent faire peur. Oui, nous avons bien failli reculer. Et comme beaucoup de marques, nous avons hésité à mettre en jeu notre réputation. Mais il y a l'urgence. Et le sens des responsabilités.
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Demain ne peut plus attendre
Les communicants ont une immense responsabilité, pour hier mais surtout pour demain. Certains ont aggravé la situation dans laquelle nous nous trouvons, en contribuant à l'illusion collective d'une consommation sans limites, d'un monde sans fin. Toutefois, les mêmes ont un rôle évident à jouer dans les grandes transitions en cours : mettre leur talent au service de la construction de nouveaux imaginaires et récits où la sobriété sera désirable, où les comportements vertueux deviennent la norme, où l'écologie est comprise de tous... Jamais le métier de communicant n'aura eu autant de sens, autant de poids, autant d'importance. Certaines agences, collectifs, ou think tanks comme Imagine 2050, tentent déjà d'insuffler l'idée d'une écologie populaire, joyeuse, et d'une sobriété heureuse, en s'infiltrant dans les récits existants.
Il y a là un enjeu majeur, et même vital, de formation des professionnels de la communication pour ne pas céder à la tentation, parfois involontaire, du greenwashing. Et il ne suffira pas d'apprendre par coeur les recommandations « Développement durable » mais de comprendre les enjeux du dérèglement climatique en profondeur, car on ne manipule pas à la légère des notions scientifiques complexes. D'abord, s'emparer d'outils comme la Fresque du climat ou la Climate School, pour pouvoir dans un second temps agir, changer ses pratiques et proposer de nouveaux récits. Il s'agira de revoir de fond en comble nos pratiques professionnelles. Une révolution copernicienne de la formation est nécessaire : ce n'est plus la RSE qui tournera autour de la communication, mais elle sera le centre gravitationnel des métiers de la communication.
Alors, communicants, "n'ayez pas peur" serait un mauvais conseil à vous donner. Ayez peur, au contraire, car la peur est saine. La peur stimule l'action, et elle nous incitera à travailler de façon plus sincère, transparente et efficace.
Les marques ne sont pas des enfants dont il faudrait applaudir chaque premier pas sur le chemin de la RSE. Et si elles craignent le faux pas, soyons prêts, communicants, à leur tenir la main. C'est le nouveau sens de notre métier.
L'auteure : Mélanie Viala, directrice générale d'ESP - ESD. Diplômée de Sciences Po Paris, et après une première expérience à la direction de la communication chez L'Oréal Paris, Mélanie Viala réalise un parcours de consultante en agence jusqu'à devenir la plus jeune associée du groupe Hopscotch à l'âge de 30 ans. Spécialiste des stratégies d'influence et de communication digitale, elle a notamment développé son expertise dans les secteurs de la grande consommation d'une part (L'Oréal, PepsiCo, Procter & Gamble, Danone) et du numérique et des nouvelles technologies d'autre part (transformation digitale, web marketing, start-ups, data, SAAS...) auprès de clients comme Microsoft, fifty-five, Société du Grand Paris, Talentsoft, Axiome, LiveRamp, Mailjet, eFounders, Unowhy, etc. Mélanie Viala est aujourd'hui la directrice générale de l'École Supérieure du Digital (ESD) et de l'École Supérieure de Publicité (ESP), et aussi la directrice de l'innovation du groupe AD Education auquel appartiennent les 2 écoles. Son parcours et son choix de rejoindre le secteur de l'éducation sont racontés dans l'ouvrage Quelle Audace ! de Maxime Fourny (éd. Eyrolles).
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