[Tendance] Bienveillance, une arme à double tranchant pour les marques?
Un mot, une tendance, huit images : tous les mois, l'agence InnovativeWay by OpinionWay analyse un grand courant qui traverse notre société, et ses répercussions sur le marketing.
Je m'abonneCe mois-ci, dans sa rubrique One word, One trend, 8 pictures, Delphine Sirven, co-directrice d'InnovativeWay by OpinionWay, se penche sur "la bienveillance". Définition et analyse.
#Bienveillance :
[Définition] Volonté qui vise le bien et le bonheur d'autrui. Disposition généreuse d'esprit inclinant à la compréhension, à l'indulgence envers autrui. Traiter les autres d'une façon favorable en oeuvrant pour leur épanouissement aux dépens, parfois, de ses propres intérêts.
[Mots associés] #Bonté #Gentillesse #Altruisme #Indulgence
[Antonymes] #Sévérité #Dureté #Acrimonie #Animosité
La bienveillance est l'une des traductions usuelles de maitri en sanskrit, qui signifie à l'origine amitié, fraternité. Elle est comptée parmi les " quatre incommensurables " : les quatre grandes qualités affectives pratiquées dans le bouddhisme. Maitreya, le Bienveillant, est d'ailleurs le nom du prochain Bouddha attendu. Au Japon, Confucius affirme que la qualité fondamentale d'un chef est la bienveillance et qu'il est impossible à quiconque de devenir monarque d'un peuple qui ne lui aurait pas fait au préalable, allégeance de son coeur.
Vertu du coeur, proche de l'amour, la bienveillance a néanmoins ceci de spécifique qu'elle est la volonté de faire le bien d'autrui - non de manière générale, mais detelle ou telle personne particulière car ce qui lui advient ébranle, affecte et oblige à agir. Elle procède ainsi d'une qualité d'attention généreuse, où entrent en jeu l'empathie, la sympathie et la compassion. L'inverse, en quelque sorte, de la critique systématique, forme de jugement froid, stérile voire destructeur en ce qu'elle peut être volonté de rabaisser et diminuer l'autre.
8 exemples d'actualité
Dans l'actualité, un certain nombre d'exemples illustrent la montée en puissance, ou tout du moins la montée en part de voix, de cette vertu. Nous en avons retenu huit qui semblent éminemment emblématiques de cette tendance :
1) L'attrait massif pour la spiritualité bouddhiste en tant qu'ouverture à l'amour et à l'autre, dont témoigne le succès des cours dispensés par Matthieu Ricard chez HEC et son célèbre " Plaidoyer pour l'altruisme ".
2) La revendication d'un regard apaisé et généreux sur son corps dans les magazines mode & beauté (féminins ou non). Un corps que l'on doit aimer comme un tout, même dans ses imperfections, sans chercher à les camoufler ni les trafiquer . Une recherche du " Mieux de moi " et non plus d'un " Moi en mieux " que permet artificiellement chirurgie esthétique et retouches Photoshop.
3) La promotion des bénéfices de la coopération au-delà des différences de personnalités et d'histoires individuelles. Les Avengers, super-héros qui savent mettre leurs dissensions de côté pour s'unir autour d'une cause commune (sauver la terre), savent oublier leurs intérêts propres pour ceux d'autrui : l'humanité.
Lire aussi : Juliette Mutel (agence Babel) : "La com corporate doit être simple, sincère et excitante"
4) La (re)mise à l'honneur de la gentillesse au travers de la " journée de la gentillesse ". Hors de toute lecture niaise ou naïve, cette journée, lancée par Psychologies Magazine en 2009, promeut prévenance et délicatesse dans les rapports humains pour plus d'harmonie et de bonheur pour tout un chacun.
8 exemples d'actualité (suite)
5) Le développement des nouvelles formes de pédagogie valorisant les progrès faits ou à accomplir plus que la sanction et le constat de la faute. En témoignent les réformes (et débats) successifs sur les méthodes et pratiques d'apprentissage à l'école jusqu'aux différents projets de " notation bienveillante " du Ministère de l'éducation nationale.
6) Le développement sans précédent du marché de l'Impact Investing en France et dans le monde (en 2012, 481 fonds d'investissements européens étaient dédiés au financement des entreprises sociales, pour un encours total de €37.2 milliards). Au-delà des approches traditionnelles de l'économie sociale et solidaire, l'Impact Investing vise à réconcilier performance financière élevée et réponse à un besoin social (pas de " trade-off ") pour résoudre plus efficacement les problématiques d'intérêt général.
7) Le refus d'ajouter un bouton " dislike " dans Facebook. Bien que les rumeurs de l'apparition d'un tel bouton (ou de sa prétendue suppression peu de temps après la création du réseau en 2004), Selon Mark Zuckerberg, dans une session de questions / réponses en 2014, " Le bouton "J'aime" est très utile parce que c'est une façon [...] d'exprimer très rapidement une émotion positive [...] Et, vous le savez, des gens ont demandé un bouton "J'aime pas" parce qu'ils veulent avoir la possibilité de dire "ceci n'est pas bien". " Ce n'est pas une chose que nous pensons bonne pour le monde ".
8) La valorisation positive du capital humain au travail, au travers d'indicateurs de bien-être et de respect des personnes (et non plus de risques comme les RPS). L'Appel à plus de bienveillance au travail (lancé en 2011 par Psychologies magazine et le réseau Entrepreneurs d'avenir) rassemble plus de trois cents entreprises souhaitant améliorer les résultats collectifs et la satisfaction de leurs salariés. L'institut Great Place to Work qui décerne chaque année les meilleures entreprises au monde où il fait bon travailler, pense par ailleurs que " le changement s'opère mieux si on encourage les organisations à aspirer à devenir meilleures plutôt qu'exiger qu'elles corrigent ce qui ne va pas ".
Lire en page 3 : quel impact pour les marques?
Des fonctions intemporelles
À bien considérer ces formes d'expressions et de manifestations actuelles, l'appel à la bienveillance semble répondre à quatre grandes fonctions :
- Une fonction éthique, au sens de la recherche de ce qui me fait du bien, me donne de la joie...à rebours des difficultés à vivre dans un monde en mutation, mouvant et " liquide ". On ne peut s'empêcher ainsi de songer à la magnifique découverte des neurones miroirs (à la source de l'empathie et de la compréhension d'autrui) ou aux études scientifiques récentes qui montrent que la générosité rend tout simplement plus heureux.
- Une fonction sociale, en forme de dévouement à son groupe, pour (re)tisser du lien et réaffirmer une " solidarité mécanique ", ou plus simplement faciliter les relations dans ses cercles sociaux.
- Une fonction métaphysique, soit un pur dépassement de soi et de l'égo, une quête de sens et au-delà de transcendance dans un monde à jamais bouleversant (Siddharta déjà chez Hermann Hesse...).
- Et enfin, pour paraphraser Romain Gary-Emile Ajar dans L'angoisse du roi Salomon : " une authentique protestation contre la cruauté de l'ordre du monde, la brutalité imbécile des hommes et le silence incompréhensible de Dieu ".
Marques, bienveillance et éthique sociale
Plus prosaïquement, si pour une marque vouloir le bien de son client semble une promesse assez basique, la question est de savoir comment les directions marketing et communication peuvent s'approprient la bienveillance sans être (trop) directement taxées de "kind-washing " ?
Quatre voies d'exploration semblent intéressantes de ce point de vue. Des voies qui empruntent davantage aux fonctions éthiques et sociales de la bienveillance qu'aux fonctions métaphysiques et protestataires.
1) Démontrer la nécessité de l'estime de soi et éviter le cliché de la beauté intérieure
Exemple : Dove et la campagne #lapenseequirendbelle
Dove réussi la belle performance de rendre les femmes voyantes sur le regard qu'elles se portent, et de devenir le miroir de ce regard. La mise en récit du théâtre de la cruauté intérieur devenant enfin visible de l'extérieur, la marque peut alors mettre en place la dynamique cathartique censée libérer les femmes de leur esprit (de) critique.
2) Faciliter chez ses clients le passage de l'intention délicate à l'action véritable... à l'inverse des comportements transgressifs "si bon qu'on en devient méchant" : Milka et la campagne " Le dernier carré "
Si Dove avait décidé de ne pas rester les bras ballants face à la dureté du regard des femmes sur elles-mêmes; la marque Milka se place, elle, comme un facilitateur de bienveillance. Elle encourage à faire fleurir la graine de la générosité, parfois endormie en nous, l'envoi du carré manquant activant notre potentiel de bienveillance à moindre coût tout en ajoutant " quelques grammes de douceur....".
3) OEuvrer pour la prévention solaire sur les plages en offrant un contrat gagnant-gagnant évitant paternalisme et moralisation
Exemple : Simond's - Lockers Protectores
La marque de crèmes solaires Simond's est soucieuse de la santé de ses clients par nature, mais elle s'en soucie d'une manière tout à fait moderne à l'heure où les consommateurs veulent être considérés comme des adultes et gâtés comme des enfants. L'objet d'une transaction bienveillante entre celui qui veut se baigner mais n'a pas d'amis pour lui garder ses affaires et celui qui ne veut plus garder les affaires de celui qui veut se baigner ... reste le même : la crème solaire. La crème est délivrée gratuitement dès lors que l'on déverrouille les casiers montés sur la plage par la marque, et une fois de la crème plein les mains, on est bien obligé de s'en oindre ! Tout le monde prend donc soin de tout le monde par nécessité librement consentie... et organisée par la marque pour le bien de tous et de son produit.
4) Inciter ses clients à porter un regard sur l'autre et participer à une geste de bienveillance est également l'objectif louable de l'opération #CokeDrone by Coca-Cola en association avec Singapore Kidness Movement. L'opération permet de délivrer aux travailleurs "invisibles" des bâtiments (d'en haut) une canette accompagnée d'une photo de remerciements des futurs utilisateurs (d'en bas). Une opération plus pertinente que l'opération " Hello Happiness Phone Booth " où le souci de bienveillance semble se prendre un peu les pieds avec l'éthique de la bienséance !
Si la bienveillance a manifestement le vent en poupe dans un monde dont l'âpreté nous submerge, les marques doivent pour autant rester vigilantes à ne pas se commettre dans des maladresses qui pourraient être interprétées comme une forme de pur opportunisme cynique.
Retrouvez les précédentes chroniques :
L'ancrage, une base solide de stratégie marketing?
EgoTic, culte du moi et marketing
La transgression, source d'inspiration pour les marketeurs?
L'auteur : Delphine Sirven, titulaire d'un DEA de lettres modernes et d'un Mastère en Marketing de l'Essec, a intégré le département des études qualitatives d'OpinionWay en 2007 où elle occupait jusqu'en décembre dernier le poste de Directrice Adjointe avant de prendre la co-direction d'InnovativeWay.
Pendant ces sept années, Delphine a initié et enrichi les process d'études inscrits dans des logiques co-construction, notamment via des plates-formes collaboratives et participatives. Elle est à l'origine d'une nouvelle posture de travail avec les consommateurs-citoyens basée sur la transparence, l'horizontalité, le plaisir et l'engagement : GénérationW.
- Crée en 2000, OpinionWay s'est développé à partir d'une idée simple : rendre plus innovant le marché des études. L'institut intervient dans de nombreux domaines (compréhension des marchés, problématiques de marques, développement de produits et de services...) auprès de cibles BtoB ou BtoC pour des clients à forte notoriété.
- InnovativeWay est un pôle d'OpinionWay dédié à animer la créativité et à accompagner la recherche de solutions innovantes, ainsi que l'émergence de nouveaux concepts, au sein des entreprises.