"99 % des actrices et acteurs du marché de l'influence s'autorégulent très bien"

Après avoir été reçu en novembre 2022 à l'Assemblée nationale, aux côtés d'autres acteurs (agences, influenceurs...), pour travailler sur le statut d'influenceur et son encadrement, Cision continue de préempter le sujet de la régulation de l'influence. L'outil de gestion des relations avec les médias a recueilli les témoignages d'experts (juridique, tech, prospective...) et les a condensés dans un livre dévoilé le 24 janvier, au format numérique. Au sommaire, notamment, plusieurs questions : "Confiance, authenticité, proximité, expérience... quels sont les mécanismes qui font que nous "suivons" et "écoutons" un influenceur ?" ; "Quel rôle ont les médias dans la visibilité des influenceurs ?" ; "Quelle responsabilité juridique pour l'influenceur, l'agence, la marque ?" ; ou, encore, "Faut-il distinguer l'influence organique de celle monétisée, les influenceurs "naturels" de ceux "produits" ?" (voir le sommaire de l'ouvrage à la fin de l'interview).

Pour expliquer sa démarche, Cision publie également son Manifeste pour une influence responsable et appelle à l'avènement d'une influence "professionnelle, positive et éthique". Nous avons demandé à Aurélie Siou, directrice Influence & Relations Publics de Cision France, et auteure de ce livre de nous dresser un état des lieux de l'influence en 2023 et de ses échanges avec le monde politique.

Emarketing.fr : Quels sont les enjeux du marketing d'influence aujourd'hui ?

Aurélie Siou : "Avant tout, des enjeux de compréhension et d'acculturation. L'évangélisation sur la compréhension de l'écosystème de l'influence est plus que jamais nécessaire et le chemin est encore long C'est la principale raison pour laquelle nous avons souhaité éditer un livre blanc intitulé "L'influence digitale par celles et ceux qui la font". Qui de mieux que les experts sur le sujet pour apporter un éclairage plus que nécessaire ? Qui dit influence pense téléréalité. C'est un fait établi. Qu'il s'agisse de l'opinion publique, des politiques ou encore des jeunes générations, l'influence est trop souvent appréhendée sous l'unique prisme des Français exilés à Dubaï et des stars de la télé-réalité, qui représente uniquement 1 % du marché de l'influence. Un microcosme surmédiatisé et surexposé. Qui dit influence pense marketing d'influence ou influenceur marketing : c'est un autre fait établi. Mais, l'influence, c'est tellement plus que ça ! L'influence est le fruit d'une stratégie d'influence et du message déployé par le biais de la communication d'influence.

Une régulation du secteur de l'influence vous semble-t-elle indispensable ?

La régulation du secteur de l'influence est devenue indispensable eu égard aux dérives qui sont pratiquées sur les réseaux sociaux - mise en danger de la santé d'autrui, mise en avant de publicités trompeuses et frauduleuses comme la vente de produits, de service, des placements financiers, de la contrefaçon, arnaque au CPF, vente de faux documents administratifs, la désinformation, la normalisation de comportements irresponsables. Néanmoins, il faut rappeler que 99 % des actrices et acteurs du marché de l'influence s'autorégulent très bien depuis une dizaine d'années sans le besoin d'intervention de qui que ce soit.

L'année 2022 - et début 2023 - a été une année charnière et de grandes avancées ont eu lieu comme la création, il y a quelques jours, de l'UMICC (l'union des métiers de l'influence et des créateurs de contenu). Reste à définir le statut d'influenceur (un terme galvaudé) et d'agent d'influenceur, à résoudre le préjudice du manque de transparence dans les modèles économiques et les rémunérations pour les marques et les influenceurs et à interdire la double pratique d'agent d'influenceurs et d'agence conseil en marketing d'influence.

Qu'avez-vous retenu des réunions de travail organisées à l'Assemblée nationale fin 2022 ?

"Le marché de l'influence unique n'existe pas. C'est un marché protéiforme"

Que les choses avancent et que les contours de l'influence professionnelle se dessinent, mais, aussi et surtout, que l'engagement et l'action des acteurs et des actrices de l'influence vertueuse dont je fais partie commencent à faire entendre leur voix ! Nous sommes à un tournant : l'influence organique, vertueuse, positive, d'expertise et d'exemplarité regagne ses lettres de noblesse ! L'influence commerciale, mercantile, monétisée doit quant à elle devenir plus responsable, plus éthique, plus encadrée, plus légale. Nous nous devions en premier lieu de poser la question suivante à Aurélien Taché (député écologiste du Val-d'Oise qui a déposé proposition de loi visant "à encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l'influence sur internet", N.D.L.R.) : de quelle influence parlez-vous dans votre proposition de loi ? Car le marché de l'influence unique n'existe pas. C'est un marché protéiforme. L'influence vient d'un terme anglo-saxon, il y a beaucoup de nuances.

Ce qui choque aujourd'hui c'est le manque de pénalités réelles envers l'influenceur ou l'agent d'influenceur quand il promeut des produits douteux, ou qu'il encourage des pratiques dangereuses. Les arnaques constituent certes un ancrage mais ne doivent pas être l'objectif principal de ce combat. C'est tout l'inverse de l'influence liée au métier de la communication qui est le fait de positionner un message de marque. Une influence organique, positive, durable, transparente, légale, au sein de laquelle le message est repris, apprécié et crée de l'engagement. C'est l'effet d'une bonne communication qui s'inscrit dans le temps, qui est visible et qui est multi-canal. Et, finalement, très éloigné du stream de la télé-réalité.

Nous avons été conviés aux discussions car Cision est partenaire des communicants depuis 150 ans et que nous avons toujours su accompagner les marques, véhiculer et amplifier leurs messages et protéger leur réputation. Chaque jour, nous voyons des stratégies de communication impactantes et positives, qui font sens, et font rayonner les marques. Chaque jour, nous voyons autant de campagnes d'influence infructueuses, frôlant le bad buzz. Messages engagés sans réelle légitimité, partenariats avec des influenceurs déconnectés des valeurs de l'entreprise, cadre légal douteux... Mal ficelées, ces campagnes placent les marques sous le feu des mauvais projecteurs."