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Matière grise et dark data : l'IA va-t-elle piloter votre marketing en 2019 ?

Des fleuves de data hétéroclites non-structurées et jusqu'ici non exploitées, la "dark data", abreuvent votre datalake. Comment éviter la noyade ? Appelez Pam', ou l'IA ?

Publié par Clément Fages le - mis à jour à
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Matière grise et dark data : l'IA va-t-elle piloter votre marketing en 2019 ?

Pour qu'il y ait l'IA, il faut la data. Celle que l'entreprise possède déjà, celle qu'elle produit au quotidien via son activité physique ou en ligne, et désormais celle que l'IA parvient à ingérer, qu'elle soit visuelle, vocale ou autre. "Nous pouvons observer le temps passé par une personne dans un rayon, si elle prend un produit puis le repose ou non. Nous avons beaucoup de données, pas que par la vidéo, et nous commençons à traiter ces informations pour améliorer le merchandising du point de vente", explique Martin Calmels, Head of Innovation du Groupe Casino, qui a récemment ouvert à Paris "4 Casino" , un concept store doté de 150 caméras. Mais pas que : IBM a entre autres installé des capteurs dans les rayons frais pour suivre l'évolution de la température et faire de la maintenance prédictive.

Elle est conciliante

L'enjeu est désormais de réconcilier ces ensembles hétérogènes, de les découper, de les mixer et de voir s'il en sort quelque chose. Mais un data scientist ne pourrait pas manipuler autant de données, et c'est bien sûr à l'IA d'y mettre les doigts. "Avec Watson, nous allons travailler les données non exploitées des datalakes de nos clients, et explorer des champs inconnus, en les mixant par exemple aux informations liées au trafic routier, aux événements à proximité d'un magasin, ou encore à la météo afin d'aider la prise de décision - de l'assortiment de nos clients en anticipant l'affluence en magasin et les potentielles ruptures - jusqu'à l'implantation des nouveaux magasins", détaille Michael Miramond, vice-président et Head of Retail, Luxury et Consumer Products chez IBM, quand on lui demande quels usages sont matures en la matière.

D'autres exemples sont donnés par le Dr. Mehdi Chouiten, CEO de Datategy. Le cas d'usage qui illustre le mieux son travail sur la data est l'exploitation des informations fournies par les compteurs électriques intelligents Linky, pour le compte d'Engie : "Nous mixons les données de consommation avec celles que nous connaissons, comme la surface de l'habitation, l'année de construction, jusqu'au mouvement architectural auquel appartient l'immeuble... Plus il y a de paramètres, et moins l'humain arrive à prendre de décisions. L'IA va donc analyser le mode de consommation des habitants et permettra par exemple à Engie d'affiner sa segmentation. On ne distingue plus manuellement une famille rurale de 5 personnes d'un couple citadin, c'est l'IA qui va dire ce qui est segmentant en analysant des patterns à grande échelle."

Couplée à l'analyse classique du comportement en ligne, elle permet de se rapprocher du trio : bon message, bonne personne, bon moment. "Pour un site de pari en ligne ou pour un opérateur mobile, nous détectons le churn et identifions l'offre nécessaire pour retenir le client, poursuit Mehdi Chouiten. Mais le Graal des marketeurs est un outil qui définit la répartition du budget marketing sur le mix-media en fonction des objectifs. Aujourd'hui, il y a encore beaucoup de manipulations manuelles dans la définition des enchères, mais dans deux ans, on peut imaginer une automatisation des tâches sur l'ensemble des plateformes. Il faut que les acteurs finissent de créer l'écosystème, et que le secteur se soit stabilisé après la mise en place du RGPD."

Une quête du Graal déjà bien avancée avec des outils comme ForePaas ou Watson, qui, tout en définissant l'assortiment idéal d'un magasin, sont capables d'établir le mix-média le plus efficace. Ou encore de faire de l'attribution : c'est la promesse d'YZR, start-up qui vient d'être lancée en septembre 2018 et dont le président, Sébastien Garcin, n'est autre que l'ancien CMO et CDO de L'Oréal. Comme d'autres grands groupes, l'entreprise est impliquée dans le projet, qui doit répondre à la question : quel média et quelle pression publicitaire faut-il pour remplir les objectifs des différentes marques en portefeuille ?

Elle est suggestive...

L'IA plus forte que l'humain ? En matière de publicité en ligne, les résultats sont là. L'exemple le plus récent est celui de Camaïeu, qui a tout simplement triplé le chiffre d'affaires de ses campagnes emailing en utilisant la solution de Tinyclues. Le principe ? Trouver les clientes les plus appétantes pour tel ou tel produit, en laissant l'IA analyser les "petits indices" qui se dégagent des data transactionnelles ou comportementales relatives à ces dernières en possession de l'enseigne. "Nous utilisons Tinyclues pour pousser de nouveaux produits, mais aussi les produits de niche ou ceux qui sont en surstock", explique Mayalis Nabolsi, directrice marketing client de Camaïeu, qui évalue approximativement à 25 % le nombre de campagnes désormais ciblées grâce à l'IA, et veut monter ce chiffre à 75 % après avoir réalisé un A/B test : deux groupes de clientes ont reçu un même emailing, l'un ciblé manuellement par les équipes de Camaïeu, l'autre grâce à l'IA. "Tinyclues a adressé l'emailing à 290 000 clientes que nous n'aurions jamais ciblées manuellement. Finalement, les messages ciblés par l'IA ont eu un taux d'ouverture 44 % supérieur aux autres, mais aussi un taux de clic doublé, et un taux de conversion en hausse de 26 %. Le CA de la campagne était aussi supérieur de 216 %... Nous avons enfin eu un taux de désinscription en baisse de 62 %, et une hausse de trafic sur le site web de 25 %", détaille-t-elle.

Des résultats qui font rêver, mais qui ne sont pas à la portée de tous, explique Matthieu Chouard, senior vice-président EMEA de Tinyclues : "Pour pouvoir utiliser notre IA, il faut un volume de données minimum : 100 000 clients embasés, 10 000 transactions mensuelles et un historique de data qui remonte au moins deux ans en arrière. Enfin il faut avoir une profondeur de catalogue suffisante." Des conditions remplies par l'enseigne King Jouet, autre cliente de la start-up. "La segmentation classique RFM ne suffit pas pour répondre à l'équation "bon message au bon moment" , et le cerveau humain non plus !, constate Sandrine Landon, responsable CRM et communication digitale du groupe. L'IA est complémentaire de nos équipes, mais l'humain a des réflexes que la machine n'a pas. Elle seule peut faire parler la donnée pour savoir ce qui intéresse vraiment les clients. Elle permet aussi de réactiver des clients froids ou perdus, des segments sur lesquels les responsables CRM n'ont d'habitude pas envie de se pencher." Grâce aux suggestions personnalisées, Tinyclues veut désormais se positionner sur des budgets d'acquisition et ne pas se limiter au CRM.

De ce point de vue, les usages les plus matures en matière d'IA sont à chercher du côté des GAFA, comme l'explique Guillaume de Lacoste Lareymondie, qui assure par intérim depuis un an la direction du marketing et de la communication de Groupama : "Ce qu'on nous vend comme de l'IA reste encore souvent l'exécution d'algorithmes à grande échelle. Google et Facebook ont sans doute les usages les plus matures, et bénéficient de suffisamment de data. L'utilisation des audiences lookalike sur le réseau social donne par exemple des résultats très pertinents. Mais nous sommes sur un secteur spécifique, moins soumis aux achats compulsifs que la mode" , ironise-t-il, en référence à l'efficacité de la suggestion de produits.

...mais encore limitée

D'autres se montrent encore plus mesurés et alertent ceux qui s'en remettent trop à l'IA : "Prenez l'exemple d'un VPCiste voulant anticiper les achats de ses clientes. L'IA montre que la lingerie est l'achat récurrent par excellence, mais imaginons qu'une cliente achète un manteau tous les cinq ans, et qu'elle souhaite le renouveler. Selon le jeu de données utilisé, vous allez personnaliser votre catalogue avec de la lingerie sur laquelle la marge est faible, et rater la vente du manteau. Jusqu'à quand faut-il remonter dans l'exploitation de la donnée ? Une donnée aussi ancienne est-elle fiable ? Le cadre légal le permet-il ? L'utilisation de l'IA soulève de nombreuses questions" , explique Raphaël Fétique, cofondateur du cabinet Converteo.

Il met en avant la difficulté de concilier l'IA et le fonctionnement normal d'une entreprise : "L'IA coûte cher, et une entreprise par nature a du mal à lâcher-prise sur ce type de projet. Or c'est tout ce dont a besoin l'IA, il ne faut pas la contraindre. Vous pouvez par exemple lui dire de ne pas pousser des produits épuisés. C'est un raisonnement humain logique, mais l'IA pourrait trouver que pousser ce type de produit dans une newsletter est le meilleur moyen de provoquer des achats compulsifs sur d'autres produits ! Plus un algorithme est puissant et précis, moins il est compréhensible par l'humain."

Et ce n'est pas la seule limite pointée du doigt par les experts. "On parle beaucoup de la quantité de data, mais la qualité de celle-ci est aussi essentielle et les conclusions qu'en tire l'IA peut impacter la prise de décision. Il faut que tous les métiers soient sensibilisés aux réalités de l'IA et de son fonctionnement" , alerte Jean-Michel Franco, Product Marketing Director chez Talend, qui rappelle que l'IA apprend à partir d'une somme de décisions humaines et peut donc reproduire ses biais. Laissez une IA décider de votre recrutement, et vous voilà entouré d'hommes blancs...

Reste une dernière limite : la maturité du grand public selon Douglas Willcoks, CDO de l'agence Artefact : "Cortana, Siri et Google Assistant existent depuis des années, mais leur adoption n'est pas encore massive chez les consommateurs dont ce n'est pas la culture de parler à un smartphone comme à un humain. L'IA, c'est une révolution au compte-goutte, il n'y a pas vraiment un avant et un après comme avec le smartphone. Regardez Gmail et les réponses automatiques aux e-mails. Il y a 4 000 projets ou produits chez Google qui intègrent actuellement une dose minime d'IA pour fluidifier au maximum l'expérience client, sans que ça ne choque le consommateur. C'est pareil dans la publicité ou le retail : faire ses courses, c'est fastidieux. Recevoir un mail qui nous propose une sélection de produits que nous sommes susceptibles d'aimer, ça aide. Mais recevoir uniquement LE produit dont vous rêvez secrètement, ça a de quoi être vécu comme une intrusion."

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