Emma Recco : "Ikea travaille à réduire l'impact environnemental de ses activités en France"
28 ans après son arrivée chez Ikea, Emma Recco dirige la stratégie et le développement de l'enseigne en France. Sur sa riche feuille de route, cette année : l'ouverture, le 12 septembre, d'un magasin parisien dans le centre commercial Italie 2, la baisse massive de prix des produits, mais aussi la poursuite des efforts pour limiter l'empreinte écologique de la marque.
Je m'abonneLe marché de l'ameublement a été marqué, en 2023, par une baisse des ventes de meubles aux particuliers de 2,5 % (en valeur). Comment se porte Ikea ?
Emma Recco : Le marché de l'ameublement est de façon générale très lié au marché de l'immobilier qui a connu une chute du volume de transactions en 2023 (de l'ordre de -20 %, selon la plateforme d'évaluation immobilière Meilleurs agents, NDLR). Avec une baisse des ventes de 2,5 %, le marché de l'ameublement, malgré l'inflation, a été relativement résilient. Cela signifie que si les Français ont moins déménagé, ils ont quand même continué à investir dans leur chez-soi, toujours considéré comme une valeur refuge. La baisse des ventes s'est plutôt fait sentir au deuxième semestre de 2023, ce que nous allons constater dans nos résultats annuels de 2024, puisque notre année fiscale court sur la période de septembre à août. Sur l'exercice 2022-2023, nous avons réalisé une très belle année. À la fin août 2023, le chiffre d'affaires d'Ikea France, de 3,8 milliards d'euros, était en progression de 16 % par rapport aux résultats de l'exercice 2022. Ikea a aussi gagné 2 points de part de marché dans l'Hexagone. Et même si nous percevons un ralentissement de la consommation, les signaux sont positifs. La catégorie de la grande distribution d'ameublement - dont fait partie Ikea - est en croissance de 1,4 % et représente désormais 38 % du marché total.
Ikea a investi 200 millions d'euros pour réduire le prix de ses produits. Pourquoi ce choix ?
E. R. : Nous avons été contraints, lors de la période de forte inflation, il y a deux ans, de répercuter sur nos prix de vente la forte hausse des prix des transports et des matières premières. Or, l'un des piliers d'Ikea est de proposer des produits d'ameublement à des prix abordables, pour permettre au plus grand nombre de les acheter et d'améliorer son quotidien. Dès que les coûts des transports et des matières premières ont légèrement baissé, nous avons effectué des arbitrages sur nos marges et décidé de diminuer, de manière significative, le prix de nos produits. Pour que l'impact de cette réduction soit plus fort sur le pouvoir d'achat des consommateurs, nous ne nous sommes pas contentés d'une baisse sur des objets de décoration, nous avons sélectionné des modèles phares de l'enseigne sur l'ameublement. Nous avons commencé il y a plus de 6 mois et 1 650 références sont déjà concernées. Nous mettons l'accent en marketing sur ce sujet, cette année, pour signifier aux citoyens que ce ne sont pas des promotions, mais bien des baisses pérennes.
La France est le 3e marché pour le groupe Ikea dans le monde. Quelles sont les ambitions de développement dans l'Hexagone ?
E. R. : La France est effectivement le troisième marché d'Ikea dans le monde après l'Allemagne et les États-Unis. Ce poids de la France se traduit par des investissements importants. Ikea a ainsi annoncé, en mai 2023 (à l'occasion du Sommet Choose France, organisé par Emmanuel Macron, NDLR), un investissement d'environ 1,2 milliard d'euros en France, pour la période 2023-2026, afin de poursuivre son développement. Cette enveloppe va servir à ouvrir de nouvelles unités de vente et à renforcer notre réseau logistique. Malgré un contexte économique incertain, nous investissons également beaucoup dans la transformation du modèle d'affaires, pour réduire notre impact écologique, ainsi que dans le digital.
Cet investissement va-t-il permettre à l'enseigne de poursuivre ses efforts sur l'omnicanalité ?
E. R. : Le deuxième pilier de notre stratégie - le premier étant d'être abordable - est d'être "accessible", c'est-à-dire facile d'accès. Et cela passe effectivement par une transformation omnicanale pour satisfaire le client qui veut acheter quand il veut, où il veut et comme il veut. Ikea est une enseigne qui a plus de 70 ans, dont plus de 40 ans en France. Pendant toutes ces années, nous avons travaillé le grand magasin de périphérie comme l'élément clé de notre maillage de ventes. Or, au cours des 10 dernières années, et plus encore depuis ces 5 dernières années, les habitudes de consommation ont fortement évolué. Le canal e-commerce a notamment explosé. Les clients viennent en magasin après avoir préparé leur visite en ligne et finalisent, parfois, leurs achats sur le Web, une fois en magasin. Mais ils sont aussi très attachés aux magasins pour découvrir les univers ou être conseillés. Cela nécessite de développer une panoplie de services (bornes, click and collect...) et de considérer l'écosystème omnicanal comme un grand puzzle composé de pièces, complémentaires, qui s'imbriquent pour créer l'expérience client la plus fluide. Finalement, nous essayons de gommer les frontières entre les différents canaux en insufflant davantage de digital dans le parcours du client et plus d'humain dans l'expérience en ligne.
Comment faites-vous concrètement ?
E. R. : Nous ajoutons, par exemple, de l'humain dans la conception à distance. Il est ainsi possible de prendre rendez-vous en ligne avec un vendeur Ikea et, depuis chez soi, sur son écran d'ordinateur, de concevoir, avec son aide, sa cuisine, son dressing ou sa salle de bain. En magasin, nous apportons du digital, notamment pour simplifier la visite. Puisque le temps du consommateur est contraint et que nos magasins sont grands, nous utilisons le digital pour permettre au client d'aller à l'essentiel : nous avons, ainsi, installé des bornes interactives depuis lesquelles les clients peuvent, si aucun vendeur n'est disponible, obtenir des informations précises sur les produits, mais, aussi, imprimer ou récupérer un bon de commande, sous forme de QR code, pour passer directement en caisse. En cas de retour produit, le client peut aussi préparer en amont, sur son téléphone, son dossier de retour. Dans le cadre de notre dispositif de seconde main, il est possible d'estimer le prix de reprise de ses meubles et accessoires par Ikea, via un simulateur en ligne et, là encore, de préparer son dossier en amont pour n'avoir plus qu'à récupérer le bon d'achat en magasin. Ou, de mettre une option, en ligne, sur un produit de seconde main que l'on récupère en boutique.
Vous avez également imaginé une expérience "immersive" en magasin. De quoi s'agit-il ?
E. R. : Nous avons introduit une expérience en 3D immersive à destination de nos magasins de petits formats et des ateliers de conception, comme celui de l'avenue Daumesnil à Paris. Ces espaces ne mesurent que quelques centaines de mètres carrés et ne permettent pas de montrer l'étendue de notre offre. Aussi, dans une pièce de 9 m², nous reconstituons, via une projection sur les murs, les ambiances que l'on retrouve dans un magasin standard. Le client a accès, depuis une borne, à l'intégralité du catalogue Ikea et choisit le type de pièce qu'il veut voir, les produits en taille réelle, les couleurs. Il peut aussi retrouver un projet de conception déjà entamé pour le projeter et réajuster ses choix en fonction du rendu.
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Ouverture de petits points de vente, expériences immersives... Vous accordez finalement une place toujours importante au commerce physique ?
E. R. : La part de nos ventes en ligne a fortement progressé entre 2019 et 2023, passant de 10 à 23 %. Cette hausse est significative et nous avons encore gagné deux points sur l'e-commerce ces derniers mois. Néanmoins, cela signifie que les trois quarts de nos ventes se font encore dans nos magasins physiques, car il y a toujours en France cette notion de "touch and feel", de voir et toucher le produit avant de l'acheter, mais aussi de conseils. D'où notre volonté de continuer à investir dans les magasins existants et dans de nouveaux points de vente. Nous avons des magasins dans les périphéries de toutes les grandes agglomérations françaises et, depuis 2019, nous avons investi les centres-villes, avec des points de vente "hyperurbains", dont le premier a été celui de la Madeleine à Paris. À date, nous avons 43 magasins : 36 standards et 7 petits formats, dont 5 ateliers de conception - que nous comptons développer de plus en plus en province.
Quels enseignements tirez-vous du magasin de la Madeleine à Paris, premier format "city" ? Et à quoi ressemblera le magasin de la place d'Italie qui va le remplacer en septembre prochain ?
E. R. : Ce point de vente nous a confortés dans notre volonté d'ouvrir des magasins de proximité. Son trafic est incroyable : en moyenne, 10 000 visiteurs se pressent chaque jour dans cet espace de 5 000 m². Nous avons pu constater que les clients attendaient, notamment, d'avoir des articles à emporter immédiatement - de la décoration, mais aussi, de petits meubles. Or, nous manquions d'espaces de stockage pour ces derniers. Nous avons aussi pris acte que les opérations logistiques en centre-ville sont évidemment plus complexes qu'en périphérie. Fort de ces enseignements, nous avons décidé de fermer le magasin de la Madeleine, le 8 septembre, quelques jours avant l'ouverture d'un magasin dans le centre commercial Italie 2, à Paris, le 12 septembre. Dans ce nouvel Ikea, nous aurons davantage de place (3 000 m²) pour le stockage de petits meubles. L'endroit a aussi pour avantages d'avoir été acquis par Ingka Centres - qui en a donc la maîtrise foncière - et de bénéficier de vrais quais de livraison pour acheminer les marchandises. Autres nouveautés : un espace 3D immersif et un espace de seconde vie. Pour les Parisiens de la rive droite, le magasin ouvert rue de Rivoli - qui ne proposait initialement que des articles de décoration - a été retravaillé et propose, depuis janvier, également des meubles, de l'inspiration, de la conception, de l'épicerie.
Vous êtes également responsable de la politique RSE d'Ikea. Comment l'enseigne adopte-t-elle plus de circularité ?
E. R. : Nous travaillons à réduire l'impact de nos activités sur l'environnement, et cela passe, notamment, par la circularité. D'ici 2030, nous avons pris l'engagement de ne proposer que des articles écoconçus, fabriqués à partir de matériaux recyclés ou renouvelables. Quant à la conception des produits, nous réfléchissons aux types de bois que nous intégrons et à des alternatives, comme le bambou, qui pousse vite... Nous investissons aussi dans le recyclage. Le groupe Ingka, la holding d'Ikea, a décidé d'ouvrir, fin 2024, une usine de recyclage de matelas dans le sud de la France. En lien avec l'éco-organisme Ecomaison, nous allons collecter des matelas usagés de toutes marques, les démanteler et en recycler les matériaux. Enfin, la circularité, c'est évidemment la seconde vie. Depuis sa création, Ikea a installé des espaces de "bonnes trouvailles" dans ses magasins, des articles à prix réduits qui étaient des produits d'exposition, issus de colis légèrement abîmés dans le transport ou de retours client... Avec pour principe de ne pas gaspiller les ressources de la planète et de donner une seconde chance à des produits déclassés. Depuis 2014, à l'initiative du magasin Ikea de Strasbourg, nous avons développé le rachat de produits Ikea. Aujourd'hui, les revenus issus de ces espaces de seconde vie présents dans nos magasins s'élèvent à un peu plus de 1 % de notre chiffre d'affaires total, soit 38 millions d'euros.
Sur quel autre volet "écolo" souhaitez-vous vous mobiliser ?
E. R. : Le volet de la mobilité est très important pour réduire notre impact. Nous travaillons à livrer, d'ici 2025, tous nos clients avec des véhicules électriques. Cela implique notamment d'investir dans des bornes de rechargement ou de changer la flotte des véhicules de nos prestataires. Nous avons également démarré, depuis décembre 2022, la livraison fluviale à Paris pour les clients parisiens. Nous sommes les premiers à entreprendre cette pratique. Les containers débarquent quai de Bercy, puis le dernier kilomètre est assuré par des véhicules électriques. Ce schéma fluvial permet de décongestionner les routes franciliennes, en supprimant 300 000 kilomètres de circulation par an, et d'assurer une fiabilité sur les créneaux de livraison. Plus de 70 000 clients parisiens ont ainsi été livrés par la Seine. Un autre volet de notre politique durable est l'investissement important dans la décarbonation de nos bâtiments, avec l'idée de ne plus utiliser d'énergie fossile d'ici 2027. Les deux tiers de nos magasins et dépôts sont équipés de toitures photovoltaïques et nous avons investi dans une ferme solaire dans la Nièvre. Nous avons également des parcs éoliens en France. Nous produisons ainsi plus d'énergie renouvelable que nous en consommons.
Un sujet très fortement discuté ces deux dernières années est celui de l'intelligence artificielle. Quelle est votre vision de cette technologie et de ses éventuelles opportunités ?
E. R. : L'intelligence artificielle est certainement ce qu'on appelle un game changer. Nous travaillons avec des algorithmes d'intelligence artificielle depuis longtemps déjà pour proposer, par exemple, des recommandations de produits à nos clients. Grâce à l'IA, nous avons aussi développé, il y a un an environ, un outil nommé Ikea Kreativ sur l'application. À partir d'un scan d'une pièce dans l'app, l'IA permet de gommer des meubles et autres produits non souhaités en un clic, puis d'aller choisir dans le catalogue les produits Ikea qui apparaissent à l'échelle sur son écran. Il est possible de changer les couleurs du mur ou du sol et de se projeter complètement dans sa pièce avec les nouveaux produits. Nous sommes pour le moment dans une phase d'analyse des cas d'usage permis par l'intelligence artificielle, avec la conviction que l'IA, si elle n'est pas la solution à tout, peut faciliter le parcours client (se repérer en magasin, avoir des recommandations...), mais, aussi, être mise au service de l'opérationnel, du quotidien des collaborateurs (simplifier les tâches, trouver plus rapidement des informations...) dans une logique d'efficacité.
Le parcours d'Emma Recco
En 1996, Emma Recco intègre Ikea en contrat étudiant pendant ses études de droit.
En 1999, elle débute aux RH, dans plusieurs magasins successivement (Lille, Nantes, Saint-Étienne).
En 2008, elle prend la direction du magasin Ikea de Toulouse.
En 2014, elle devient directrice de l'immobilier et de l'expansion.
En 2019, elle est nommée directrice de la stratégie et du développement.