Diversité et inclusion : faut-il s'en emparer ?
Aux États-Unis, le retour en force du mouvement Black lives matter a donné une nouvelle occasion aux marques de s'engager, pour le meilleur et pour le pire. Alors que les enjeux de société sont de plus en plus nombreux, pourquoi et comment s'en emparer ?
" I can't breathe. " Le 25 mai 2020, le meurtre de George Floyd ravivait le mouvement Black lives matter, né en 2013 et amplifié l'année suivante par le meurtre d'Eric Garner, qui lui aussi, n'arrivait plus à respirer sous les genoux d'un policier. Depuis, des dizaines de personnes sont décédées au cours de manifestations virant à l'émeute, comme celles de Charlottesville où, les 11 et 12 août 2017, un suprémaciste blanc venu empêcher le déboulonnage de la statue du général confédéré Robert Lee, fonçait dans la foule, tuant une contre-manifestante et blessant 19 personnes. C'est dire s'il est difficile et dangereux pour les marques de prendre position, dans un contexte où les opinions, notamment en ligne, sont de plus en plus polarisées. Car il ne suffit pas de s'emparer de n'importe quelle cause pour satisfaire ses ambitions RSE. La présidence de Donald Trump, et a fortiori la crise sanitaire liée au Covid, ont considérablement facilité la tâche de marketeurs désireux, et souvent sommés, de s'engager. Mais ceux qui, au sortir de la première vague de la pandémie, ont foncé la tête la première dans la thématique de la diversité, ont toutes les chances de s'être cassés les dents sur ces questions qu'il faut plus que jamais aborder avec humilité. Encore aujourd'hui, les polémiques autour du retrait de la chaîne CNews des publicités de Decathlon le prouvent et posent à nouveau la question : faut-il s'emparer de ces sujets ?
Précurseurs et retardataires
Amélie Aubry, managing director d'Elan Edelman France, nous éclaire : " Suite aux événements survenus aux États-Unis cet été, nous avons publié un rapport spécial du Trust Barometer sur la question de la justice raciale et des implications pour les marques. Des deux côtés de l'Atlantique, 60 % des sondés disent vouloir privilégier les marques qui s'engagent sur le sujet, ou au contraire boycotter celles qui ne le font pas ou qui le font mal. Mais à la question : "Êtes-vous concernés par le racisme systémique et l'injustice raciale ?", 63 % des Américains répondent oui, contre 57 % des Français. Quant à savoir si les marques doivent s'exprimer publiquement sur le sujet, 60 % des Américains sont affirmatifs, contre 49 % des Français. Un chiffre qui monte même à 69 % chez les 18-34 ans (78 % aux US) ! On constate que ces sujets sont déterminants, notamment auprès des plus jeunes, qui orientent ainsi leur consommation. Mais cela ne s'arrête pas là. Ils affirment aussi choisir leur employeur par le prisme de l'engagement en faveur de la diversité : 37 % des Français ne se voient pas travailler pour une entreprise qui échoue à parler publiquement de ses engagements. " Si les enjeux business sur le long terme font pencher la balance en faveur de l'engagement, attention toutefois au manque de sincérité et à l'excès d'opportunisme. " On voit une prise de conscience assez soudaine ces dernières années. Poussées à plus de transparence, les marques sont amenées à revisiter leur passé pour assumer leurs erreurs et nourrir leur action présente ", remarque Jérôme Lhermenier, managing director de FutureBrand Paris, suivi par Manon Paga, brand strategist de l'agence : " Les marques ont été sommées de mener des actions concrètes pour le présent et l'avenir. Mais alors que toutes s'engagent, les consommateurs fouillent leur passé pour voir comment elles se sont construites, et ainsi distinguer les précurseurs des retardataires. D'où la réception critique d'initiatives de marques qui se sont engagées auprès du mouvement "BLM" alors qu'en interne, il n'y avait pas u ne seule personne noire au sein du leadership ! "
Ne pas agir pour agir
Agir pour éviter qu'on vous reproche votre inaction peut s'avérer contre-productif... À moins d'aborder la chose avec méthode : reconnaître ses erreurs et les réparer est un bon début. Ensuite, oeuvrer pour la fin des stéréotypes dans ses communications, et ainsi proposer des " modèles visibles et représentatifs de la société ", selon les termes d'Amélie Aubry, qui remarque : " Beaucoup de marques ont communiqué récemment dans le cadre de la Semaine du handicap. Pour autant, leur représentativité est encore beaucoup trop faible, que ce soit en entreprise ou dans les créations publicitaires des marques... Mais attention ! Globalement, on voit dans la dernière édition du Trust Barometer que les consommateurs sont de plus en plus méfiants, et trouvent que trop de marques s'emparent de ces sujets de société importants dans une approche purement marketing et commerciale. Cela concerne 57 % des Français, sceptiques par nature ! " Alors que la publicité revendique un rôle de " miroir de la société ", il ne s'agit pas de mettre des couples interraciaux homosexuels dans toutes ses publicités, mais agir concrètement pour retrouver le rôle premier des marques : répondre aux besoins de la société, en luttant contre les injustices et les préjugés.
Retour vers le futur
Comment s'y prendre ? D'abord, en réparant ce qui ne va pas, à l'image de ce qu'a fait Mars Food, en rebaptisant sa célèbre marque Uncle Ben's en Ben's Original, ou Eskimo Pie en Edy's Pie. Idem pour le nom de la marque Aunt Jemima ou Rapsus, la mascotte de la marque Cream of Wheat. Des termes jugés insultants pour les minorités visées, dont la disparition est un premier pas vers une approche plus inclusive. Outre-Atlantique, on peut également citer l'initiative de la marque de glace Good Humor, qui a collaboré avec le rappeur RZA pour changer le mythique jingle des camions de glace, inspiré de " Turkey in the Straw ", chanson du XIX e siècle tirée du " minstrel show ", un spectacle où les acteurs blancs pratiquaient le blackface. Ces legs invisibles du passé peuvent être considérés comme inoffensifs. Mais en parler sans les renier permet d'interroger d'autres héritages, et de prendre conscience du poids des préjugés dans la persistance de nombreuses inégalités. Mais identifier des références racistes pour les déconstruire et les supprimer, est-ce suffisant ?
En France, la suppression du slogan "Y'a bon" et la transformation de "L'ami Y'a bon", la mascotte de la marque Banania, n'ont pas pour autant redonné aux tirailleurs sénégalais leur place légitime dans notre histoire... On soulignera alors l'action, au Royaume-Uni, des entreprises comme le brasseur Greene King ou l'assureur Lloyd's of London, qui ont réagi au mouvement "d'épuration" des symboles (drapeaux, statues), en reconnaissant avoir profité de la traite négrière à l'époque où elle était autorisée. Au-delà de financer des associations luttant contre les discriminations, elles se sont engagées à plus de diversité dans leurs équipes et à être plus transparentes sur leur passé. Manon Paga cite également Disney ou HBO, qui accompagnent des contenus polémiques comme Autant en emporte le vent d'une notice expliquant le contexte dans lequel le film a été tourné et mettant en avant les stéréotypes et représentations tronquées véhiculés. " Je pense aussi à des entreprises comme Gucci qui, suite à une polémique autour d'un col roulé " blackface" , ne s'est pas contenté de demander pardon et de retirer le produit, mais a aussi lancé le programme Gucci Changemakers, pour intégrer dans la société plus d'étudiants issus de la diversité via des bourses, tout en finançant des associations communautaires et en permettant aux employés de s'engager via du bénévolat pour des causes. " Après avoir donné de la visibilité à ces causes et s'être ouvertes à plus de diversité, les entreprises peuvent aussi agir pour donner les moyens à ces personnes de se faire entendre : " La marque Glossier a par exemple mis en place un programme de mentorship de 500 000 dollars pour former les minorités à la prise de parole et aider les entrepreneurs à lancer leurs marques. "
De multiples causes
Si les actions des marques visant à mettre en lumière leur passé trouble et à réparer leurs erreurs sont louables, elles ne doivent pas occulter les nombreux problèmes restant à régler. Peut-on parler de la traite négrière et oublier que 83 marques sont indirectement impliquées, à travers leurs fournisseurs chinois, dans l'exploitation de prisonniers Ouïghours, à commencer par Nike, Adidas ou Gap, autant de marques "engagées" ? Et il y a d'autres chantiers : la représentation et l'acceptation de toutes les identités sexuelles, l'intégration de l'ensemble des classes sociales, mais aussi des personnes handicapées, des malades ou encore de laissés-pour-compte du numérique... " Dans la beauté, des marques se distinguent en développant des gammes unisexes ou des produits et des packagings destinés aux malvoyants. Je pense aussi aux jouets pour enfants, avec le lancement de solutions pour apprendre à coder destinées aux autistes ", avance Manon Paga, l'adoption par les entreprises d'une approche plus inclusive permet aux entreprises de changer de regard, d'être plus innovantes et donc plus performantes. Ou différemment : levier de business incontournable, le digital est un autre terrain d'engagement, comme l'explique Pascal Gayat, entrepreneur du numérique qui vient de lancer Soleinn, une marketplace sourçant les solutions françaises. " Lors du confinement, beaucoup de services se sont digitalisés, tandis que le télétravail s'est généralisé. Mais près de 20 % des Français sont concernés par ce que l'on appelle l'illectronisme. Et cela touche aussi des cadres de grandes entreprises, qui ont beaucoup de mal à s'emparer d'outils électroniques ou à faire face au management à distance. Les enjeux RSE du numérique dépassent la simple empreinte carbone. La protection des données et de la vie privée des jeunes générations est aussi primordiale ! En ce sens, le RGPD doit devenir l'ADN du nouveau marketing digital. " De quoi amener un changement de philosophie, alors que le marketing et la com' sont à la fois de plus en plus jugés sur la performance, et de plus en plus en charge des sujets RSE.
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