Les clés de la réussite
Comment choisir la cible, sélectionner des gammes de produits, créer un discours de fidélisation vers les clients ? D'un catalogue à l'autre, les recettes du succès ne se ressemblent pas. D'autant que, face aux généralistes, les spécialisés doivent affûter leurs armes. Démonstration avec des catalogues issus de l'univers du grand public.
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Comment réussir un catalogue spécialisé ? Face à l'importance des
généralistes, quelles sont les stratégies gagnantes ? Nous avons posé la
question à cinq responsables de catalogues dans des domaines aussi différents
que la gastronomie, les produits culturels, le jardinage, les jeux. Ils ont
accepté de nous livrer ici quelques-uns de leurs secrets. « Il n'y a pas de
différence opérationnelle avec les catalogues généralistes, sinon que nous
apportons plus de valeur sur un nombre de références inférieur.
Cendrine Martinez (La Comtesse du Barry)
: "Des cadeaux plutôt que des
réductions, pour préserver notre image de marque".
Nous devons donc être plus productifs », lance Guillaume Motte, directeur
général adjoint d'Eveil & Jeux. Pour lui, le concept gagnant commence par une
offre particulière : « Le choix des gammes de produits nous a permis
d'instaurer une différenciation forte. Et, à partir de là, nous avons été
capables d'identifier une population réceptive à notre segment de produits. » A
son avis, les échecs au lancement proviennent souvent de l'impossibilité
d'identifier la cible adéquate par rapport aux gammes de produits. Cette
situation provoque une augmentation en flèche des coûts marketing. Eveil & Jeux
a démarré avec l'idée de proposer une alternative aux circuits de grande
distribution, y compris des spécialisés comme Toys'R'Us. De trouver des
produits qui puissent intéresser les enfants et aussi les parents, de renforcer
la dimension amusement et éveil. Ce qui demande une grande connaissance du
marché et une capacité organisationnelle, car il faut faire appel à un grand
nombre de petits fournisseurs français. La marque concentre des efforts
conséquents sur la sélection des produits, sur la manière de les faire tester
par des parents pilotes. L'ensemble de ces actions génère chez Eveil & Jeux des
coûts d'achats supérieurs à ceux des majors du marché. Mais qui ne semblent pas
pénaliser le vépéciste auprès des consommateurs. Côté fichiers, Guillaume Motte
affirme avoir bien déterminé les caractéristiques démographiques et
comportementales de sa cible. « Notre idée est que certains parents veulent
s'investir particulièrement dans l'éducation de leurs enfants, leur proposer
autre chose que ce qu'ils voient à la télé. Nous essayons de cibler ce marché
par le biais des fichiers d'origine similaire mais pas concurrente. Par
exemple, j'ai trouvé que les abonnements à la presse jeunes collaient à cette
idée. Une famille qui investit 45 euros dans un abonnement fait preuve d'un
effort pour l'éducation de l'enfant. Cela correspond assez à l'état d'esprit
que nous recherchons, et en plus ces fichiers sont déjà segmentés. » Quant au
discours développé auprès des clients, la communication chez Eveil & Jeux est
avant tout tournée vers les produits. « La manière de communiquer doit être en
correspondance avec notre proposition de valeur. Nous devons démontrer la
cohérence des produits avec notre thèse », poursuit Guillaume Motte. Le site
internet du vépéciste permet d'épauler cette démarche. Sur le Web, la marque
développe des contenus proches de son idée fédératrice, par exemple des
dossiers sur l'apprentissage de la lecture, et s'efforce de fournir toutes les
informations qu'elle ne pourra pas intégrer dans le catalogue à cause des frais
postaux. « Les coûts postaux n'aident pas les catalogues spécialisés. Dans
d'autres pays comme les Etats-Unis, il n'y a pas de seuil tarifaire au poids et
les catalogues spécialisés y sont bien plus nombreux », remarque Guillaume
Motte.
Une alchimie gastronomique
« La réussite d'un
catalogue gastronomique tient de l'alchimie, plaisante Cendrine Martinez,
directrice marketing chez La Comtesse du Barry. Nos clients sont des seniors,
provinciaux et ruraux. Notre ciblage est articulé entre la boutique destinée à
générer du trafic et le catalogue qui doit amener le volume des commandes. »
Les clients de la boutique et du catalogue se ressemblent, mais ne sont pas les
mêmes. Ils sont plus jeunes et plus urbains en boutique. Mais pas assez
différents pour créer deux gammes distinctes de produits. Encore que la
boutique permette à l'enseigne de vendre des surgelés, impossibles à acheminer
dans le circuit de VPC habituel. Les deux circuits bénéficient des mêmes
animations commerciales autour des nouveaux produits du mois, avec des
réductions et des cadeaux. « Nous privilégions des cadeaux dans l'univers de la
table, des accessoires, des assiettes, plutôt que des réductions qui sont moins
compatibles avec notre image de marque, poursuit Cendrine Martinez. Mais, de
temps en temps, il nous arrive aussi de proposer de bonnes affaires. » Les
clients sont recrutés par mailing, presse et asile-colis. Avec, dans un premier
temps, un critère discriminatoire : le comportement face à l'achat à distance.
Tous les 100 000 clients de La Comtesse du Barry ne reçoivent pas les douze
éditions du catalogue. Quelques-uns recevront aussi des mailings. Mais le
catalogue reste la vitrine principale de la marque. Ce qui l'oblige à chercher
un équilibre raisonnable entre l'esthétique et l'efficacité du support. Cette
recherche va jusque dans les couleurs utilisées. « Pas trop de couleurs fortes
pour ne pas donner l'impression d'une démarche promotionnelle », explique
Cendrine Martinez. Même le timbre de voix des téléopératrices est important -
l'accent du Sud-Ouest est de rigueur. Au-delà de la dimension anecdotique des
accents chantants, le vépéciste cultive sa marque en soulignant volontiers le
choix rigoureux des produits. « L'éthique est notre meilleur argument de vente.
Dans nos produits il n'y a ni additifs chimiques ni colorants. Et notre foie
gras est d'origine uniquement française », clame Cendrine Martinez. Des
recettes traditionnelles font la réputation de ce catalogue. Pourtant ses
cuisiniers ne négligent pas la cuisine nouvelle, la "fusion". L'assortiment
s'est enrichi avec le "couscous gascon" ou le "chili au magret de canard". Le
mélange de tex-mex et de Gers est censé séduire une clientèle plus ouverte sur
le monde.
L'adéquation produits-clients
« La
connaissance de la cible commence par un fichier bien identifié en termes
d'habitudes d'achat vis-à-vis de la marque et des produits, par des moyens de
data mining et par des études qualitatives et quantitatives », analyse Liliane
Manent, directrice marketing de France Loisirs. Chez ce spécialiste des
produits culturels, ceux-ci sont choisis par des "directeurs de programmes"
livres ou multimédia. « Ils ne recherchent pas seulement les meilleurs produits
mais aussi les meilleures adéquations entre les produits et les clients »,
précise Liliane Manent.
Olivier Joannes (Junca)
: "Le catalogue est un format plus valorisant
qu'une simple lettre".
Parmi les sélections de France Loisirs, on trouve aussi bien des prix Goncourt
que des romans à suspens ou du sentimental. Avoir trois millions et demi
d'adhérents signifie aussi savoir se plier aux goûts différents. « Nous ne
cherchons pas à proposer nécessairement une lecture facile mais surtout une
lecture agréable, des ouvrages bien écrits et qui offrent des moments de
détente », ajoute Liliane Manent. Parfois le vépéciste propose des livres
inconnus en France, et enregistre d'excellentes ventes. Sa mission est aussi
celle de découvreur et de sélectionneur. On admet que ses sélections ne sont
pas celles d'un libraire parisien, et qu'elles ne sont pas élitistes. Mais
l'audience de France Loisirs est aussi différente. Avec un tel nombre de
clients, on ne peut pas viser une niche, encore que la lecture à suspens ou les
bons polars soient déjà une niche en soi. Quant aux produits multimédias, ils
sont considérés comme une diversification intéressante. Ces gammes permettent
surtout d'augmenter le chiffre d'affaires par adhérent, de fidéliser. Et,
occasionnellement, de recruter de nouveaux clients. Le spécialiste des produits
culturels contacte ses clients quatre fois par an avec des catalogues majeurs
complétés par deux éditions saisonnières, à la rentrée et avant Noël. « La
rentrée est une borne dans la tête des Français, un événement, une date,
explique Liliane Manent. Le catalogue diffusé en août nous permet de relancer
les produits du trimestre en cours et aussi de présenter un certain nombre de
produits nouveaux du catalogue suivant. » Ce catalogue de rentrée bénéficie
d'une mise en scène tournée autour des dictionnaires. Le catalogue de Noël
correspond à la même logique de date festive. Sa mise en scène est davantage
orientée vers les livres pour enfants. La mise en scène, justement, est-elle
essentielle pour un catalogue de produits culturels ? Non, car un livre ne se
vend pas par son visuel. La partie rédactionnelle compte pour beaucoup dans le
catalogue. Le résumé de l'ouvrage, les avis des libraires, les critiques parues
dans la presse, tous ces éléments sont importants. La qualité de l'écriture de
cette partie rédactionnelle est essentielle pour le succès. Et il ne faut pas
oublier toutes ces petites astuces qui permettent de rythmer le catalogue, par
exemple ce par quoi on attaque, ce qui va être mis en 2e et 3e de couverture.
Le catalogue contient en moyenne 1 200 produits dont 800 livres, avec 150 à 200
nouveautés dans chaque édition. France Loisirs le considère comme un des canaux
de vente et de communication, à côté de la boutique, du téléphone et
d'Internet. Alors, le catalogue lui-même ne contient pas d'animation
commerciale, mais il est envoyé avec des encarts sur les produits de dernière
minute, des incitations commerciales, des offres de services supplémentaires,
des opérations spéciales, glissés dans le colis. En dehors des dates d'envoi,
au cours du trimestre, deux ou trois mailings viendront proposer aux abonnés
des mises en avant d'un produit et des offres spéciales, par exemple un livre
offert pour un acheté.
Un catalogue dans mon jardin
Les Comptoirs des Jardiniers de France gèrent un catalogue de graines avec un
statut bien particulier, celui d'une filiale d'une association loi 1901.
L'association-mère, les Jardiniers de France, a été reconnue d'utilité
publique, ce qui n'est pas sans incidence sur sa manière de communiquer. Ce
statut l'oblige à restreindre les actions de marketing direct pour préserver
l'image associative auprès des adhérents. Exit les formules magiques des
mailings promotionnels : "Bravo ! vous avez gagné..." Ce qui n'empêche pas les
Comptoirs de recruter par actions d'échange de fichiers ou par asilage des
catalogues dans les colis des partenaires. Mais l'essentiel du recrutement est
réalisé parmi les adhérents de l'association mère, lors des réunions de
jardinage, notamment en partenariat avec l'enseigne Jardiland. Les Comptoirs
dénombrent aujourd'hui quelque 200 000 clients actifs, dont 20 000 qui sont
approvisionnés en direct. Le gros des ventes passe par un réseau de 5 000
correspondants locaux dans des villages. La sélection des produits est réalisée
par un partenaire distributeur qui se charge aussi du stockage et de
l'ensachage, des tests de germination. Les graines sont vendues en sachet avec
un prix unique, de 1,80 euro pour la gamme estampillée Jardiniers de France.
Les Comptoirs développent un argumentaire basé sur le poids du sachet : chaque
emballage contient entre 120 et 200 grammes suivant la variété. « Par exemple,
pour les haricots rouges il y en a assez pour faire une "route" », explique
Florence Balleux, responsable du catalogue Comptoirs des Jardiniers de France.
Quant au rapport prix-quantité par sachet, le vépéciste s'estime bien placé sur
le marché dès lors qu'on calcule la moyenne sur une dizaine de variétés diffé-
rentes. « Et en plus du prix et de la quantité par sachet, nous argumentons sur
un taux de germination assez élevé », précise Florence Balleux. Edité une fois
par an, le catalogue de 64 pages propose aux adhérents les descriptifs des
variétés avec les précisions sur les périodes de semis et de récolte. Un
"flyer" apporte une touche de personnalisation avec une offre printemps ou
automne. Imprimé à 250 000 exemplaires, le catalogue est envoyé aux clients
directs et à un certain nombre de clients actifs. Le reste est déposé chez les
correspondants, qui se chargent aussi de sa diffusion.
Le foie gras en toute saison
Le catalogue Junca est un spécialiste dans un
domaine bien à part. Avec ce lobe de foie gras de canard entier mi-cuit qui
fait toujours sa fierté et son produit phare, il ne craint pas l'imitation. Ce
charcutier a ouvert sa boutique à Dax en 1949. Les curistes de passage se sont
avéré une clientèle fidèle. A tel point qu'ils souhaitaient commander les mêmes
produits le reste de l'année et surtout pour les fêtes de Noël. D'où la
stratégie qu'Olivier Joannes, Dg de Junca, définit aujourd'hui comme une valse
à deux temps, un recrutement en boutique suivi de fidélisation par
correspondance. « Les clients dans notre fichier sont, en grande majorité,
passés par la boutique un jour ou l'autre. Certains ont même été servis par
Roger Junca en personne. » Les gammes de produits de cette enseigne gourmande
ont récemment été élargies. Le foie gras et les produits du canard ont été
complétés avec des produits de négoce, des vins et des alcools, de la
confiserie. Junca propose aussi des plats cuisinés issus de la tradition
culinaire landaise. Une stratégie à toute épreuve, même si la marque a dû
récemment adapter sa tactique. Jusqu'en 1999, elle communiquait avec des outils
classiques - un mailing simple avec une offre de coffret et un bon de commande.
En absence de segmentation, cette communication se résumait à 7 - 8 000 envois
par an. A partir de l'an 2000, Junca a revu son approche. Désormais, le
vépéciste communique avec un catalogue deux fois par an, à Pâques et à Noël, en
mettant à chaque fois l'accent sur la saison. Les mailings sont aujourd'hui
segmentés en récence-fréquence-montant (RFM). Ils comportent des offres
spéciales personnalisées selon la saison et la cible. « Le catalogue est un
format plus valorisant qu'une simple lettre, estime Olivier Joannes. C'est un
support à conserver, imprimé sur un papier plus épais et qui apporte une
dimension graphique avantageuse. Pour des produits chers, comme le foie gras,
il est important d'avoir une vitrine beaucoup plus spectaculaire avec des
photos de gros plan. » A l'intérieur du catalogue, des tribunes libres avec les
interventions des cuisiniers apportent une touche d'animation. « Nos clients ne
sont pas sensibles aux jeux et autres cases à gratter, observe Olivier Joannes.
Alors nous investissons davantage dans le support, dans la prise de vue. » Le
catalogue, avec sa durée de vie bien supérieure à celle d'un simple mailing,
permet aux clients de Junca de faire appel à ses prestations pour des fêtes de
famille, des anniversaires etc. Pour la marque, c'est une occasion de
s'affranchir de la contrainte de forte saisonnalité et de lisser ses activités
commerciales tout au long de l'année. Côté recrutement, Junca fait maintenant
appel aux fichiers des seniors segmentés avec les critères de géomarketing,
habitant les grandes villes de préférence éloignées du Sud-Ouest. Autre critère
appliqué : l'achat des articles festifs, que ce soit du vin ou d'autres
produits alimentaires haut de gamme. Le vépéciste, qui recrutait
essentiellement grâce au curisme et au tourisme, fait désormais des efforts de
segmentation. Ce qui inspire cette réflexion à Olivier Joannes : « Lorsque l'on
recrute en boutique ou bien par parrainage, on arrive beaucoup mieux à la
transformation que lorsque l'on recrute sur un grand fichier. » La recette de
Junca serait-elle reproductible ailleurs ? « Non, affirme Olivier Joannes, qui
pense que même un autre spécialiste en foie gras qui ne le vend pas entier
comme nous, mais au détail, en blocs avec des morceaux, n'aura pas la même
clientèle, et alors notre stratégie ne lui sera pas applicable. » Junca a aussi
ouvert un site web, qui propose une sélection de coffrets destinés aux comités
d'entreprises et aux cadeaux d'affaires. Une rupture manifeste avec la
clientèle traditionnelle de ce vépéciste. Et un exemple de la manière de
choisir les outils adaptés à la cible. Car le couplage catalogue
spécialisé-site web n'est pas adapté à tous les cas de figure. Lorsque l'on
s'adresse à une population de seniors ou encore à une population ouvrière, on
optera de préférence pour le Minitel. En analysant les réponses des
responsables des catalogues, on peut remarquer que chacun a sa propre manière
de mettre les accents et les priorités sur les trois grands axes qui sont le
choix de la cible, la sélection des gammes de produits, l'articulation du
discours auprès des consommateurs. Manifestement, tous ces critères sont
importants. La manière de les assembler tient de l'alchimie et chacun y
concocte sa recette miracle.