TV segmentée : c'est l'heure de l'inventaire ?
Même si son efficacité reste à démontrer, la télé segmentée aiguise les appétits. Les annonceurs l'intègrent dans leur plan d'achat d'espaces en complément tactique et les régies affinent leurs offres. Ciblage et puissance en font un allié de poids. Bilan d'étape.
Je m'abonneEncore en phase de lancement deux ans après son autorisation (décret de 2020 portant modification du régime de publicité télévisée en France), la TV segmentée fait son doucement son entrée dans les plans d'achat média. "C'est un sujet complexe, notamment sur le plan technique. C'est encore trop tôt pour avoir des chiffres structurants mais assurément le sujet est à l'étude chez beaucoup d'annonceurs. Les offres apparaissent et l'exploitation de la data porte surtout sur la localisation géographique", explique Xavier Guillon, DG de France Pub. Pour autant, le marché frémit et quelques campagnes émergent.
Fort potentiel régional
Les régies sont, elles, dans les starting-blocks ayant signé des accords avec l'ensemble des FAI (excepté Free qui n'est pas encore techniquement prêt) et les marques accueillent avec curiosité et enthousiasme cette innovation qui va leur permettre de profiter de la puissance du média télé et de la capacité de ciblage du digital pour diffuser leurs messages publicitaires. Le petit écran, broadcast de masse, devient accessible aux petits annonceurs locaux. "C'est le plus fort potentiel par région, la bonne marque au bon endroit", répètent à l'envi, les acteurs du marché.
Pour les annonceurs, les enjeux sont multiples. Ils vont pouvoir faire du test & learn dans leur media planning, remettre le client au centre grâce à un usage de la data géolocalisée et mesurer l'efficacité de leurs campagnes, un élément pas toujours simple en TV linéaire. C'est bien là tout l'intérêt de la mécanique, pouvoir identifier les cibles qui ont vu le spot et mesurer l'impact de la campagne. "Télévision et digital sont deux mondes qui n'ont pas la même culture, pas les mêmes indicateurs de performance, pas les mêmes outils ni les mêmes normes. Il s'agit de réconcilier les mondes du CPM et du GRP et de garantir les résultats de notre mesure", explique Yannick Carriou, P.-D.G. de Médiamétrie.
Innovation à la marge
La data produite par les téléspectateurs permet aux annonceurs d'adresser leurs écrans publicitaires directement à une audience précise. Travailler la taille de la cible et éviter toute déperdition. La data fournie par les opérateurs (opt'in compatible) permet en effet de faire du ciblage géographique (à échelle régionale, départementale, des villes, quartiers...), socio-démographique (par genre, composition du ménage...), par nature de logement (vie en appartement, en maison, avec ou sans jardin), par profil de consommateur télé (audience massive, petits et moyens consommateurs) et par habitude de consommation (sport, divertissement, art, cuisine, musique...). En passant d'un flux linéaire à un flux digital, la TV segmentée adopte les codes et les outils d'analyse de la performance des gros acteurs du web. "La TV adressée va multiplier l'efficacité par la multiplication des points de contacts utiles", précise un expert.
Le SNPTV (Syndicat National de La Publicité Télévisée) et l'af2m (regroupement des opérateurs) mènent actuellement des études d'efficacité visant à mesurer 4 items : le drive-to-web, le trafic en magasin, l'efficacité sur les ventes et l'apport de couverture comparé à une campagne nationale. Les résultats sont attendus pour la fin de l'année. "Le seul critère d'efficacité dont nous disposons est la satisfaction des annonceurs qui renouvellent leurs campagnes, comme Yves Rocher, Basic Fit ou Renault... En UK, nous avons l'exemple d'Aston Martin qui a vu le taux de considération de sa marque augmenter de près de 30 % auprès des clients des concessions locales ciblées. Par ailleurs, nous allons proposer aux annonceurs de cibler les téléspectateurs non-exposés à une campagne linéaire nationale pour aller chercher de la couverture additionnelle, ce qui est un use case inédit M6 et qui représente un vrai intérêt pour les marques", précise Hortense Thomine-Desmazures, DGA en charge du digital, de l'innovation et du marketing de M6.
Dans les agences média, l'heure est à l'observation en attendant des résultats tangibles. "C'est une innovation qui dynamise le marché mais qui démarre doucement et qui restera à la marge. Ce n'est pas un big bang, c'est un moyen pour les annonceurs ayant des petits budgets d'avoir accès à la TV. Chez Publicis Media, cela représente moins de 10 % des annonceurs. La TV a une telle capacité de couverture que cette alternative restera un complément tactique à des campagnes ciblées réalisées pour des grands acteurs digitaux", analyse Anne-Sophie Cruque, COO de Publicis Media.
Un tiers des foyers adressables d'ici 2024
Du côté des médias, les dispositifs se mettent en place pour accompagner les annonceurs. 2022 s'annonce plus faste avec une multiplication des campagnes, toutes chaînes confondues. Au total, 500 annonceurs ont réalisé 744 spots TV durant le premier semestre de l'année, contre 376 au total sur l'année 2021 (355 annonceurs). La distribution ne pèse que pour 6 % des investissements, les opérations commerciales de la distribution étant interdites par le décret. Le marché se structure et quelques chiffres sont avancés. Ceux du SNPTV indiquent qu'en juillet 2022, 6,3 millions de foyers (24 %) étaient éligibles à la TV segmentée - ayant donné leur consentement - et 39 % des foyers IPTV (TV par internet). De sages prévisions annoncent 6,9 millions de foyers fin 2022 et 8 millions fin 2023. Selon l'af2m, 1/3 des foyers français seront adressables d'ici 2024, soit une audience de 9 millions de foyers et près de 20 millions d'individus.
Les chaînes, en quête de nouvelles audiences, accompagnent les annonceurs dans leur expérience de la tv segmentée. Première à se lancer sur le sujet à l'automne 2020, France Télévision capitalise sur son réseau régional. "Nous avons commercialisé plus de 200 campagnes sur le premier semestre 2022 (350 au total depuis 2020) et 35 % d'entre elles concernent des annonceurs totalement absents du média TV. L'annonceur peut choisir de diffuser une campagne sur les vaisseaux amiraux que sont France 2, France 3, France 5 mais aussi sur la zone géographique qu'il a choisie. Le ticket d'entrée moyen pour une campagne nationale est d'environ 15 000 euros alors qu'une campagne locale est de 10 000 euros. L'annonceur peut moduler le coût de sa campagne en fonction de la pression publicitaire et de la zone de diffusion", explique Fabien Hermant, directeur du réseau régional de France TV publicité.
Les primo-accédants à la fête
Même engouement du côté de M6. "Après avoir gagné le pari technologique en 2021, l'année 2022 marque l'entrée dans la phase d'industrialisation. Depuis mars 2021, nous avons lancé plus de 250 campagnes, dont 40 % des annonceurs sont des primo-accédants aux profils et secteurs très différents (exemple Epicery ou l'école hôtelière Vatel). Le budget moyen est compris entre 30 000 et 40 000 euros pour une campagne en TV segmentée. Certains annonceurs historiques cherchent en complément d'une campagne nationale une couverture additionnelle à travers la TV Segmentée pour adresser davantage de consommateurs", décrit Hortense Thomine-Desmazures, DGA en charge du digital, de l'innovation et du marketing de la chaîne M6.
Et les annonceurs qui ont testé, reviennent satisfaits. "Plus de 40 % des clients actifs en TV segmentée en sont au moins à leur deuxième campagne. L'enseigne 4Pieds a réalisé sa première campagne TV segmentée car aucun support n'avait une couverture adaptée à son implantation territoriale. Grâce aux données de géolocalisation, la marque a pu cibler les consommateurs se situant à une demi-heure de temps de trajet d'un point de vente de l'enseigne", détaille Fabien Hermant.
Chez TF1 pub, les ambitions sont de taille. "Le chiffre d'affaires devrait être multiplié par 4 par rapport à 2021. Sur le marché, à horizon 3 à 5 ans, la TV segmentée pourrait peser de 5 à 10 % du chiffre d'affaires du média TV. Avec un ticket d'entrée à partir de 1 000 euros et en moyenne 10 000 euros, la régie a commercialisé 300 campagnes depuis début 2022. Mais, le potentiel est énorme. Chaque FAI aura de plus en plus de boxes adressables et rappelons que 60 % des Français reçoivent la TV via des boxes. Enfin, je pense que l'équilibre se fera entre les annonceurs historiques et les nouveaux entrants", analyse Laurent Bliaut, DGA marketing de TF1 Pub.
D'autres offres apparaissent sur le marché. "En septembre, M6 Publicité lancera le multi-spots c'est-à-dire la possibilité de remplacer plusieurs spots dans le même écran, qui permettra de multiplier l'inventaire de la TV segmentée par deux ou trois, et boostera le marché en fin d'année afin d'attirer de nouveaux annonceurs", détaille Hortense Thomine-Desmazures.
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Si l'appétit est là, les budgets restent faibles. En 2021, 57 % des annonceurs ont consacré moins de 10K€ à la TV segmentée, 45 % des annonceurs nationaux ont investi entre 10 et 20K€ et 78 % des annonceurs locaux -les annonceurs majoritaires- ont dépensé moins de 10K€ net.
Une alternative efficace
"Le déploiement de TV segmentée repose sur des axes stratégiques comme le développement du programmatique en 2023, la montée en puissance du nombre de foyers et la mise en place des mesures d'efficacité des campagnes. Même si les annonceurs locaux sont très actifs en TV segmentée chez FranceTV Publicité, nous croyons beaucoup au succès de l'offre auprès d'annonceurs nationaux qui vont compléter leur reach incrémental en élargissant leur couverture auprès des petits consommateurs TV", conclut Virginie Sappey, directrice marketing et études France TV publicité. La chaîne propose l'achat en programmatique garanti depuis 6 mois. Ce nouveau mode transactionnel qui représente près de 30 % des revenus générés par la TV segmentée est "très apprécié des nouveaux annonceurs entrants en TV", selon la chaîne.
Le groupe La Poste illustre parfaitement cette stratégie d'achat média de complément. Accompagné de Publicis Media (Starcom), le groupe a mené une campagne corporate de notoriété pour exprimer la puissance et la proximité de la marque au service des Français en activant différents leviers médias dont la TV segmentée. "Nous avons investi 45 000 euros pour une diffusion durant 4 semaines en octobre 2021. Notre but était d'acquérir davantage de reach et d'atteindre des petits consommateurs TV. C'est un levier très tactique qui repose sur des ciblages de niche avec des petits budgets. Les ambitions du groupe la Poste sont liées à l'évolution globale du marché mais aussi aux segments de ciblages proposés", détaille Olivier Roz, directeur des achats médias à la direction de la communication du groupe La Poste. À ce jour, le budget du groupe consacré à la TV segmentée représente moins de 0,5 % des investissements. Rendez-vous avec le marché pour un premier bilan début 2023.
"Un marché non significatif"
Selon les résultats d'une étude d'impact pour le compte de la Direction des Médias et des Industries Culturelles, en date du 5 septembre 2022, le marché de la TV segmentée est embryonnaire.
L'offre de publicité TV segmentée reste aujourd'hui à l'état embryonnaire (moins de 3 % du marché), avec moins de 5 millions d'euros de recettes en 2021 contre 3,5 milliards d'euros pour l'ensemble du marché TV (et 2,9 milliards pour la publicité locale) et 15,9 milliards sur l'ensemble des médias. "Dans ce cadre, aucun transfert de valeur des autres médias locaux vers la TV segmentée ne peut être affirmé : les gains de la publicité TV segmentée représentant moins de 0,1 % du CA de la publicité locale", indique le rapport. Si de nombreux annonceurs manifestent leur intérêt pour ce nouveau mode de communication, la tendance est à l'attentisme avant un réveil du marché. Les budgets associés étant encore modestes, soit moins de 10K€ en 2021 pour 78 % des annonceurs locaux. L'état des lieux révèle par ailleurs les limites de ce média. "Même si le marché est en phase de développement sur le plan technique et commercial, il semble que la télévision segmentée n'atteindra jamais le même niveau de granularité que les acteurs du digital dans un contexte de prise de parts de marché importantes du digital sur le marché local (42 % des recettes du local en 2021 étaient captées par internet)".
D'autres raisons sont avancées pour expliquer le retard à l'allumage, notamment les accords entre chaînes et FAI. "Free n'a, à ce jour, passé un accord qu'avec M6 Publicité. Second acteur en termes de parts de marché publicitaires nettes, la temporalité de son entrée sur le marché déterminera fortement la dynamique d'évolution des investissements", précise le rapport. Point positif, Orange, Bouygues Télécom et SFR ont levé l'ensemble de leurs contraintes : ouverture de la possibilité de proposer des spots segmentés entre 20 heures et 23 heures (prime-time), et de mettre en place plusieurs spots décrochés par écran.
La géolocalisation s'impose comme usage de la TV segmentée. Parmi les 376 campagnes réalisées en 2021, plus de la moitié (51 %) l'a été en utilisant exclusivement la géolocalisation comme ciblage. Seules 26 % des campagnes ont été conduites en basant la segmentation sur la qualification ou les usages de consommation du média. Une nouvelle étude est attendue dans deux ans.
La Foodtech en prime-time sur M6
En choisissant le média TV, l'enseigne privilégie la qualité du contexte de diffusion durant 30 secondes.
Epicery, service de livraison de produits frais lancé en 2016, est face à des enjeux de construction de notoriété et d'image de marque. Elle propose la livraison chez plus de 1400 commerçants ou à domicile. Positionné dans les coeurs de villes, à Paris, Toulouse, Lyon, Bordeaux et Lille, Epicery (Groupe Geopost) a lancé le 3 octobre pour 4 semaines sa première campagne en TV segmentée, en exclusivité sur M6, accompagné par l'agence Ermes. "Nous sommes dans une logique de performance et cela s'est imposé comme la solution idéale pour allier notre proposition de valeur avec un ciblage précis. La campagne vise à incarner le service proposé, en scénarisant l'environnement de commande et l'humaniser à travers les commerçants", justifie Aurélia Cettour-Meunier, directrice marketing & communication. D'autant que l'agence media propose des outils pour mesurer tous les Kpi's du digital sur cette campagne TV à savoir des données d'impression, la couverture, la répétition mais aussi le nombre de visites sur le site web, les inscriptions, les téléchargements de l'application, les premières commandes et mettre en place de l'attribution par chaîne, par tranche horaire, par films pour optimiser la campagne au fur et à mesure de sa diffusion. "Les spots sont diffusés entre 18h et 22H car c'est le meilleur créneau drive to web et on se situe en amont du dîner ou dans des moments de consommation. M6 diffuse des programmes sur la cuisine qui mettent un coup de projecteur sur les artisans, ce qui est en phase avec la promesse de la marque", analyse Adrien Vincent, DGA de l'agence. En croisant la data d'Ermes et des FAI, la marque peut cibler précisément au code postal près toutes les zones de chalandises d'Epicery des commerçants sur des tranches, 59 ans et CSP +. "Le media planning a évolué avec la maturité de la TV segmentée et notamment avec l'ouverture des écrans prime-time et une couverture plus large grâce à l'accès des datas de l'ensemble des opérateurs. Nous avons fait le choix de décliner la même campagne (mais avec un storytelling propre à la TV) dans 5 villes différentes et nous allons tester différents créneaux horaires et mesurer les performances pour chaque diffusion. Aujourd'hui, la TV segmentée s'ouvre à des annonceurs qui cherchent de l'efficacité et du ROI en maîtrisant les impressions et en évitant la saturation", conclut l'agence.
Yves Rocher vise 25 % de ses investissements en TV segmentée
La marque de cosmétiques a entrepris ses premières campagnes TV segmentée en programmatique fin 2021. À terme, la marque souhaiterait consacrer au moins 25 % de ses investissements en achat média à la TV segmentée.
"Notre marque est leader sur son marché mais chaque euro compte. Notre plan media depuis 2020 est orienté « digital first ». C'est le coeur du dispositif car cela nous permet d'être plus flexibles et plus efficaces, grâce à la précision du ciblage", précise Arnaud Donet, directeur du Média d'Yves Rocher France. Face à la digitalisation des médias (radio, TV, affichage), Yves Rocher fait évoluer ses activations médias et joue sur la complémentarité. Dans le digital, de nombreuses données permettent de faire de bons choix, de mesurer et d'ajuster. "Mais, nous avions atteint un certain plafond sur les assets digitaux (mobile, desktop et tablette) et l'ouverture à la TV segmentée nous a permis d'aller toucher de nouvelles cibles, de travailler la répétition dans un environnement de qualité. La TV segmentée est la continuité de nos plans plus classiques. Notre nouvelle campagne porte sur la gamme « Bain de nature », qui est stratégique pour la marque", explique le responsable. C'est une création publicitaire ad hoc (15 secondes sur TF1, France TV et M6) et non une déclinaison d'un spot existant. "Nous avons fait le choix du programmatique car cela permet à l'acheteur de comprendre comment la campagne performe et l'optimiser. Nous allons pouvoir mesurer l'impact du spot en drive to web avec une plus grande profondeur d'analyse", note Thomas Allemand de l'agence media Jellyfish.