Les nouveaux business model de la presse magazine
Si le digital remet en cause les grands équilibres économiques du marché et fait évoluer les règles du jeu, il ouvre de nouvelles perspectives, pour peu que les éditeurs accélèrent leur transformation digitale et adaptent leur business model.
Un nouvel écosystème médiatique
La révolution numérique abolit les frontières entre les canaux : " Là où il y avait un marché de la presse magazine, il y a désormais un nouvel écosystème médiatique qui s'insère dans un continuum du print à Internet, des écrans connectés à l'évènementiel ", rapporte l'étude réalisée par Precepta (Xerfi) "Les nouveaux business models de la presse magazine - A l'ère de la diffusion multicanale et de la valorisation des actifs stratégiques". Alors que la publicité classique, tant en volume qu'en valeur, continue de décliner, les éditeurs investissent de nouveaux territoires pour équilibrer leur revenu. A l'instar du hors-média par exemple qui s'impose progressivement dans tous les groupes médias : Marie-Claire s'est lancée dans la production de concerts cette année, La Tribune tire désormais plus de 20% de ses revenus de son activité événementielle. " Je ne considère pas celle-ci comme du hors-média mais comme du "live média" dans la mesure où c'est avant tout une offre de contenu éditorial qui s'inscrit dans la continuité du travail des rédactions ", précisait alors son pdg, Jean-Christophe Tortora.
Plusieurs modèles d'affaires : cession de titre, internationalisation, développement des services
Si le print devrait rester selon Precepta le coeur de l'écosystème, les éditeurs doivent trouver de nouveaux relais de croissance tout en réduisant leur coût. L'enquête évoque quelques pistes explorées actuellement par les groupes de presse :
Lire aussi : Udecam : la relance oui, mais à quel prix ?
- La cession de titres jugés non stratégiques, option stratégique choisie par Lagardère Active qui a vendu dix de ses marques presse à Rossel et Reworld en avril 2014 (Première, Psychologies, Be, Auto-Moto ; Union, Pariscope et quatre titres en décoration) pour ne garder que ses titres les plus fort (Elle, Paris Match, Télé 7 Jours ou le JDD).
- La carte de l'internationalisation à l'instar du groupe américain Condé Nast qui a importé avec succès le magazine Vanity Fair en France en juin 2013.
- Autre voie à explorer, celle des services qui, en générant un fort trafic supplémentaire, accroissent l'audience, participant in fine à une meilleure valorisation des espaces publicitaires. Ce modèle de "hub serviciel" est celui du Groupe Le Figaro dont le site web est un portail d'accès à un univers de services (offres d'emploi, annonces immobilières...).
- L'e-commerce est aussi un levier de croissance potentiel : Pascal Chevalier, le patron de Reworld Media et repreneur de Marie-France, souhaite rapprocher la régie et la rédaction et affiche son ambition de construire un groupe de "content commerce" (lire notre article ici). Des groupes de presse comme celui de Marie-Claire ou bien encore Mondadori (Biba, Grazia, Vitale) expérimentent le m-commerce en s'appuyant sur les opportunités qu'offre le mobile : des applications e-commerce basées sur la reconnaissance visuelle telle Selectionnist ou Zoomdle donnent la possibilité aux lecteurs de "shazamer" les produits qu'ils aiment pour les acheter en un clic, convertissant les consommateurs médias en acheteurs.
- Le brand content : parce que le brand content revalorise les investissements publicitaires et emprunte dans sa forme les techniques éditoriales et journalistiques, les éditeurs développent de plus en plus des offres de contenus de marque pour leurs clients annonceurs. C'est le cas du Figaro qui a créé une cellule dédiée, les Ateliers Figaro, début 2013. "Une stratégie qui marche, révélait Anne-Sophie Nectoux, responsable des Ateliers Figaro, dans une interview en début d'année. En 2014, Les Ateliers Figaro affichent une progression de +28 %. En matière de brand content, nous avons eu plus de 100 clients et, pour 70 d'entre eux, nous avons créé de véritables plateformes de marque."
- Le hors-média (cf. le premier paragraphe ci-dessus) se généralise dans... les médias ! Challenges a créé son Sommet de l'économie, Le Monde son festival d'automne, Marie-Claire ses nuits musicales, etc.
Jouer de ses atouts : valoriser sa marque
" Les titres de presse magazine qui bénéficient d'une aura de marque disposent du plus fort potentiel de résilience ", indique l'étude Precepta. A l'ère de la profusion d'informations, les marques-médias référentes voit leur rôle de prescription renforcée. Dans un contexte de foisonnement de l'offre, elles sont des producteurs de sens. " Si le digital est indispensable pour faire rayonner nos marques, l'influence vient avant tout du papier ", affirmait dans nos colonnes(1) Xavier Romatet, pdg de Condé Nast France.
Les nouvelles opportunités du digital : data et "social"
Pour profiter des nouveaux gisements de valeur situés en dehors du territoire naturel du média presse, les éditeurs hébergent désormais de plus en plus de vidéos, format roi sur le Web et qui se monétise beaucoup mieux que la bannière. Le succès des régies vidéo multi-écran (Teads, YuMe) attestent de ce mouvement de fond. L'exploitation des données offre des perspectives de monétisation aux éditeurs. En optimisant le ciblage, et donc l'efficacité des investissements publicitaire, la data devrait s'imposer comme l'arme des régies pour qualifier leur audience et commercialiser in fine à la hausse leur espace publicitaire.
Mais la maîtrise des données offre d'autres leviers relevant du marketing éditorial pour conquérir des points d'audience : dans une optique "user centric", les éditeurs peuvent analyser les données de trafic, mais aussi comportementale et contextuelle de leurs lecteurs-internautes pour révéler leurs préférences, et réorienter en conséquence leur stratégie éditoriale.
L'importance des médias et réseaux sociaux dans la consommation médias n'est plus à négliger. De plus en plus nombreuses sont les personnes qui accèdent à l'information via ces canaux. C'est pourquoi le community management s'impose peu à peu comme un relais informationnel de premier plan pour construire son influence. Autre levier à développer : la co-création de contenus. Moyen de capter durablement l'attention de ses publics, ces nouveaux modes d'information et de communication intègrent l'audience en la faisant participer à la vie du média à travers des actes de co-création. Precepta conseille ainsi aux éditeurs de "substituer le storymaking au storytelling, pour passer d'un contenu agrégé et partagé à un contenu désagrégé et co-créé". Le Monde a notamment innové sur ces sujets en lançant l'an dernier une nouvelle chaîne - "Les Décodeurs" - et les "Fils de discussion".
(1) Entretien avec Xavier Romatet, pp. 6-9, " Marketing " n°181, déc. 2014 - janvier 2015.
Retrouvez la vidéo de présentation de l'étude Precepta (Xerfi) :
Sur le même thème
Voir tous les articles Média