[Entretien] Carlos Diaz : "La TV d'aujourd'hui, c'est Snapchat"
La vision du serial-entrepreneur installé en Californie sur l'évolution des médias est sans appel : la TV est condamnée.
Connu pour avoir fait une accolade à François Hollande en 2014, lors d'un déplacement du président en Californie, Carlos Diaz est un serial-entrepreneur du web, et initiateur du mouvement contestataire des " Pigeons ".
Installé en Californie depuis bientôt six ans, il détaille pour E-marketing "Kwarter", son dernier projet, et analyse l'évolution des médias et ses conséquences pour les marques.
Kwarter est une plateforme utilisée par les chaînes de Tv et les marques pour interagir en temps réel avec les téléspectateurs lors d'évènement sportifs, sous la forme de mini-jeux, et de les récompenser avec par exemple des bons de réductions ou tickets pour assister aux matches.
Emarketing : Vous avez lancé Kwarter en 2011 : quels bilans tirez-vous ?
Carlos Diaz, CEO de Kwarter : Au début de cette année, chez Kwarter, nous avons réalisé que nous étions au service d'un média en train de mourir. Nous avions l'impression d'être un médicament pour un malade condamné. Aujourd'hui nous n'avons plus envie de travailler pour la TV, de travailler avec le passé, aussi bien avec les chaînes américaines qu'européennes. Nous sommes donc en train de changer l'orientation de notre business.
La télévision a-t-elle perdu son pouvoir en tant que média ?Regarder la télévision est une action passive, solitaire. C'est l'inverse de l'expérience mobile, interactive. La TV, tel qu'on la connaît aujourd'hui va mourir. Les jeunes générations ne la regardent plus, ou de moins en moins. Un média linéaire, qui propose le même programme pour tout le monde, à la même heure, ça n'a absolument plus aucun sens.
Existe-t-il des solutions pour sauver ce média historique ?
La télévision est un vieux monde, en train d'être ubérisé. Et les patrons des chaînes, en France comme aux Etats-Unis ne font pas grand-chose pour résister à cela, parce qu'ils sont sur un modèle économique qui marche encore. Ils se disent " jusque-là tout va bien, les vrais problèmes arriveront dans quinze ou vingt ans. "
" Pour moi la télé, aujourd'hui, c'est Snapchat "
Ce média doit se débarrasser de son business model fondé sur la publicité. Aujourd'hui, le patron d'une chaîne de Télévision devrait avoir 35 ans maximum. L'irruption du digital doit être la problématique principale de sa carrière.
Pourtant dans l'Histoire, l'apparition d'un nouveau média ne signifie pas forcément la mort des autres : la radio n'a pas tué la presse, la télévision n'a pas tué le cinéma...
La radio n'existe plus que dans les voitures. Et comme la voiture de demain n'aura plus besoin de chauffeur, peut-être qu'au lieu d'écouter la radio dans son véhicule, on regardera la TV.... Mais aujourd'hui, l'écran, c'est le mobile.
L'omni-canal est simplement une étape de transition. La TV doit se réinventer en tant que fournisseur de contenu ; elle n'est plus LE canal car aujourd'hui, tout est canal : facebook, twitter, youtube, snapchat, etc. Lorsque je vois les chaînes de télé et les sociétés de production faire appel à des youtubeur pour animer leurs émissions, je me dis qu'ils sont perdus ! Ils ne savent pas produire du contenu pour le mobile. La TV, c'est " l'ancêtre d'Internet ", comme le dit la marionnette de PPDA dans les Guignols de l'info.
Pour moi la télé, aujourd'hui, c'est Snapchat. Tous les jours, les lycéens et les adolescents attendent avec impatience les nouveaux épisodes des snapchateurs de talent. S'il y a toujours une constante de production, il n'y a plus la linéarité des séries TV programmée chaque jour, ce qui décuple l'attente des fans et rend ces vidéos très virales. Cliquez ici pour continuer la lecture de l'entretien sur la page suivante.
La vidéo reste-t-elle le format d'avenir ?
La vidéo est le moyen d'expression de la toute nouvelle génération, celle des jeunes actuels qui ont leurs premiers smartphones. Par exemple, quand je demande à ma fille de 12 ans par texto " Où est-ce que tu es ? ", elle ne me répond pas avec du texte, mais avec une vidéo de 4-5 secondes.
" La vidéo doit être une matière recyclable "
Cette nouvelle génération considère que le smartphone n'est pas fait pour lire ni pour écrire, mais pour manipuler des images, faire des photos, des vidéos, jouer à des jeux. Ils ont inventé une forme d'expression et de communication basée sur la vidéo, Snapchat en est un exemple très intéressant.
Quelles sont les perspectives pour les marques ?
Pour les marques, l'avenir est de communiquer de plus en plus en format vidéo, de créer elles-mêmes des contenus vidéos. D'abord pour toucher cette nouvelle génération qui consomme ce type d'images, mais aussi pour fournir de la matière aux jeunes pour qu'ils fassent du " mash-up " : qu'ils réutilisent les contenus, qu'ils se les approprient. La vidéo doit être une matière recyclable.
Quels sont vos nouveaux projets ?
Aujourd'hui, lorsque vous regardez une vidéo sur Youtube, les commentaires sont écrits. Chez Kwarter, nous travaillons sur ce qu'on appelle la " Reaction Video ", qui est le stade d'après : cela consiste à laisser un commentaire vidéo dans la vidéo. Dans cette optique, nous avons lancé en mai 2015 l'application " Twicer " [grâce à laquelle l'utilisateur peut insérer ses commentaires vidéo sur ses propres films, ou sur des vidéos de tiers, NDLR]. Elle rencontre beaucoup de succès en Asie du Sud-Est, surtout en Corée, qui est un marché qui nous intéresse particulièrement, car cette culture est très orientée vers l'image.
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Quel sera votre modèle économique pour cette nouvelle application ?
Je ne sais pas. Cette réponse est souvent mal interprétée par les Français qui pensent : " ils ne savent pas comment gagner d'argent ". C'est une question très française... Nous avons des idées sur la façon dont nous allons monétiser, mais ce n'est pas notre objectif pour le moment. Nous travaillons sur les usages. Quand nous les aurons trouvés, alors se posera la question de la monétisation, mais je ne pense pas qu'elle se trouve du côté des utilisateurs. La solution à laquelle je pense le plus, c'est le Content Marketing : proposer aux marques de diffuser leurs publicités vidéo pour que les gens les commentent. Ou à des artistes de publier leurs oeuvres contre paiement.
Carlos Diaz : Bio Express
1972 : naît à Limoges
1996 : fonde avec son frère Manuel Diaz l'agence de webmarketing Reflect, qui deviendra par la suite le groupe Emakina.
2006 : lance BlueKiwi software, depuis revendu à Atos
2009 : part s'installer en Californie
2011 : fonde " Kwarter ", application de social TV
2012 : initie avec Jean-David Chamboredon le mouvement des " Pigeons "
Juin 2015 : rejoint le fond d'investissement ISAI Gestion, qui accompagne les start-up françaises
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