[Interview] Alain Dufossé : "L'innovation est un bébé qu'il faut protéger"
Le BIG est dédié exclusivement à l'innovation de rupture. Start-up du groupe Pernod Ricard, elle cogite en toute indépendance ce qui bouleversera, demain, les usages des consommateurs. Rencontre avec son directeur.
Je m'abonneAlain Dufossé (qui travaille pour le groupe Pernod Ricard depuis 1989) prend la tête du BIG (Breakthrough Innovation Group) dès sa création, il y a deux ans. Il s'explique sur l'innovation de rupture, les ambitions et capacités du BIG à générer des projets disruptifs au sein du traditionnel groupe de spiritueux.
Marketing : C'est dans l'ADN de Pernod Ricard que d'être associée à la tradition. Pourtant, Forbes vous classe 15e entreprise mondiale la plus innovante en 2012. Comment avez-vous réussi à vous hisser à un tel niveau d'innovation ?
Alain Dufossé : Ce classement mesure davantage un potentiel d'innovation qu'une réalité. Car le marché des vins et spiritueux est loin d'être l'industrie la plus novatrice au monde. Il n'y a pas, historiquement, d'inventions dans ce secteur.
Mais la raison pour laquelle Pernod Ricard est citée en exemple, aujourd'hui, c'est parce que l'innovation a été définie comme un nouveau relais de croissance depuis 2011, après une très forte période de croissance externe. Face à la révolution digitale et à la période de crise que nous traversons, un groupe comme le nôtre se doit d'aller de l'avant.
Marketing : À tel point que l'innovation représente aujourd'hui 25 % de la croissance organique du groupe. Quel est le rôle du BIG dans ce relais de croissance ?
Alain Dufossé : Le BIG est né en janvier 2012. Notre rôle, très spécifique, est d'aller chercher l'innovation de rupture. C'est difficile, parce que nouveau et disruptif sur le marché. Donc, cela implique de prendre le temps nécessaire. L'innovation de rupture se pense à plus long terme et ne répond pas à la même temporalité ni aux mêmes KPI que ceux définis dans l'écosystème digital du groupe.
Pernod Ricard n'attend pas du BIG qu'il délivre un pourcentage de nouveaux produits ou un nombre de nouveaux lancements par an. Nous avons une pression intrinsèque, bien sûr. Mais aucune deadline ne nous est imposée sur les projets que nous soumettons.
"Inventer le futur de la convivialité"
Marketing : Quelle est la mission du BIG ?
Alain Dufossé : L'idée de départ était de délocaliser une équipe, sans contrainte, ayant pour unique mission de générer de l'innovation de rupture, d'inventer le futur de la convivialité.
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Marketing : Pourquoi est-il plus difficile de travailler en mode disruptif ?
Alain Dufossé : Parce que casser les codes prend du temps. On peut avoir un projet de rupture qui ne rencontre pas son public tout de suite. Prenez l'exemple de Nespresso. Cela aura pris 20 ans au groupe Nestlé avant de parvenir à imposer sur le marché une nouvelle façon de consommer du café à la maison. Avec, sur cette période, trois changements de modèle.
On l'oublie trop souvent, l'innovation de rupture demande de l'itération et, au final, peut très bien n'aboutir à rien. Nous sommes dans un domaine où il n'y a pas de certitudes.
Marketing : Selon vous, sur quels principes repose l'innovation de rupture ?
Alain Dufossé : Elle se définit par rapport au consommateur. C'est ce qui va changer drastiquement, voire révolutionner, l'usage et la perception d'un produit, d'une catégorie ou d'une marque. En général, ces nouveautés génèrent de la résistance en interne et de l'étonnement de la part du client. Le temps d'éclosion et de développement d'un tel projet peut être long. Il faut pouvoir accepter des échecs, voire perdre de l'argent.
Du point de vue plus global de l'entreprise, l'innovation de rupture, c'est l'espoir de créer un nouveau marché et de prendre de l'avance sur ses concurrents. Voire d'avancer ses pions sur un marché sans concurrence.
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