[Interview] Alain Dufossé : "L'innovation est un bébé qu'il faut protéger"
Marketing : Au-delà du think tank, le BIG a pour mission de créer de nouveaux produits viables sur le marché. Parlez-nous du "Projet Gutenberg"...
Alain Dufossé : Nous sommes partis de la volonté d'offrir aux consommateurs une nouvelle expérience de nos marchez chez eux. En prenant en compte l'évolution de l'habitat urbain, la croissance du nombre de célibataires (48 % de la population à New York, par exemple), les nouveaux modes de vie...
Le "Projet Gutenberg" révolutionne la notion du "bar à la maison". Ce dernier laisse ainsi sa place à une bibliothèque design, composée de "livres-contenants", renfermant chacun hermétiquement un spiritueux, le tout connecté à une plate-forme de services.
C'est une réelle innovation, pour le groupe : Pernod Ricard n'a jamais fait d'électronique ou d'objets connectés... Personne n'y croyait, au départ. Le projet entre dans sa phase d'expérimentation pour une commercialisation en 2015. Nous allons confronter l'innovation au marché sans nous occuper du potentiel commercial. Sans doute y aura-t-il des adaptations à apporter.
Marketing : Quels sont les autres projets du BIG en cours ? Sur quoi se penchent vos chercheurs de tendances ?
Alain Dufossé : Nous avons beaucoup d'innovations en portefeuille. Le BIG travaille sur le territoire de l'"augmented home entertainment", dans lequel s'inscrit "Gutenberg". Et nous venons de finaliser un important travail de recherche mené sur quatre continents sur le "female empowerment". C'est un outil de travail et d'études que nous mettons à disposition des équipes d'innovation du groupe et qui peut les inspirer.
Nos recherches mettent en évidence les attentes des femmes et leurs freins vis-à-vis de la consommation d'alcool dans plusieurs pays du monde. Le BIG va sortir un nouveau produit destiné à cette cible féminine. Trop de boissons alcoolisées ont été créées à partir des envies des hommes.
Marketing : Comment évolue le réseau social interne du groupe permettant aux 18 000 collaborateurs "de partager une nouvelle idée chaque jour" ?
Alain Dufossé : Je l'utilise énormément et je publie beaucoup sur ce réseau interne. Le taux d'adoption et le taux d'échange sont très bons. Cela contribue à fluidifier l'information et à autoriser les gens à communiquer en dehors des voies hiérarchiques. C'est un outil de veille très compétitif.
"Offrir aux gens un ensemble d'usages et d'expériences nouvelles"
Marketing : Vous êtes dans le groupe depuis 1989 et en connaissez bien les rouages. Cela vous aide-t-il à être plus convaincant ?
Alain Dufossé : Mon rapport direct à la direction générale est un élément très important. Nous sommes à l'extérieur et nous n'avons donc pas toutes les contraintes et les prises d'influence que nous aurions à subir en interne. Le rapport direct à la direction générale est protecteur. L'innovation est un bébé, il faut le protéger. Pernod Ricard me connaît, en effet, depuis 1989. Et j'ai changé de poste environ tous les trois ans depuis mon entrée dans l'entreprise. Cela permet d'organiser rapidement les connexions entre les gens et les services.
Marketing : Plus généralement, sur quoi portent les innovations que vous mentionnez : packaging, design, usage du produit, composition ou encore habitudes de consommation ?
Alain Dufossé : C'est plus large. Nous avons une approche systémique de l'innovation. Nous regardons un tout et non une partie. Nous étudions l'expérience, l'usage, les services associés, puis nous essayons de connecter tout cela ensemble pour en faire un écosystème. Le but est d'offrir aux gens un ensemble d'usages et d'expériences nouvelles.
Marketing : Quelles sont, selon vous, les marques les plus avancées sur leur capacité à délivrer des projets d'innovation de rupture ?
Alain Dufossé : Celles qui me viennent naturellement à l'esprit sont Google, Apple, Nespresso, Tesla, Uber ou encore La Prairie. La Prairie est parvenue à développer des produits autour du caviar avec des technologies assez rupturistes. Ils sont parvenus à des expériences et des usages qui valorisent bien leurs produits. Mais il y en a beaucoup d'autres...