Comment le marketing sportif s'adapte-t-il aux nouveaux enjeux ?
Esprit d'équipe, performance, cohésion sociale, mixité, équité des chances, inclusion... L'univers du sport représente, à bien des égards, une excellente opportunité pour les marques de s'associer à des valeurs positives. Et, ainsi, de bénéficier de cette aura pour valoriser leurs engagements environnementaux et sociétaux.
Alors que la Coupe du monde de rugby enflamme les stades hexagonaux du 8 septembre au 28 octobre, et à moins d'un an des Jeux Olympiques (JO) et Paralympiques de Paris 2024, la France fait office de véritable terre sportive, attirant les regards du monde entier. Ces grands évènements sportifs - notamment à travers leur attractivité et leurs audiences impressionnantes - ne peuvent laisser les marques indifférentes. Ainsi, près de 45 millions de Français, soit huit personnes sur dix, ont regardé pendant au moins une minute les émissions des chaînes de France Télévisions dédiées aux JO d'hiver de Pékin, en 2022 - ils étaient 50 millions pour les JO d'été de Tokyo en 2021. Et les nouvelles disciplines choisies par Paris 2024 (escalade, surf, skateboard et breakdance) devraient contribuer à augmenter - et à rajeunir ! - les audiences.
Car le sport, créateur de liens et d'émotions, fédère. Et se révèle donc un formidable terrain de jeux pour les annonceurs désireux de faire entrer en résonance leurs valeurs et celles des disciplines sportives. Esprit d'équipe, combativité, solidarité, performance, cohésion sociale, mixité, équité des chances, inclusion... "Le sport contribue à rendre la société plus juste et représente un outil extrêmement puissant pour mettre en place des actions sociétales", estime Magali Tézenas du Montcel, directrice générale de Sporsora, organisation interprofessionnelle dédiée à l'économie du sport. Les marques l'ont bien compris : en 2021, selon une étude menée par le cabinet de conseil KMPG pour Sporsora, les entreprises ont investi 2,5 milliards d'euros dans du sponsoring sportif afin de soutenir un événement, une infrastructure, un sportif ou, encore, une fédération.
Surfer sur les valeurs du sport
Un logo imprimé sur un maillot ou un nom attribué à un stade ? S'il s'agit pour les annonceurs d'améliorer leur visibilité et leur notoriété, l'enjeu est surtout de travailler le branding, l'image de marque, en surfant sur les valeurs positives du sport. Ainsi, le groupe Coca-Cola (Coca-Cola goût Original/ Sans sucres / Energy, Fanta, Fuze Tea, Tropico, Minute Maid...), souvent critiqué pour la pollution générée par ses bouteilles en plastique, profite des JO de 2024 pour dévoiler une feuille de route ambitieuse de réduction des déchets. Le partenaire mondial des Jeux olympiques et paralympiques de Paris compte ainsi "utiliser" la passion pour les Jeux et "les valeurs communes d'inclusion, de respect et de dépassement de soi", explique Claire Revenu, directrice générale des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 pour Coca-Cola, pour accélérer ses transformations environnementale et sociétale.
De premières expérimentations, comme le déploiement de 700 fontaines à boissons et la consigne de bouteilles en verre, seront ainsi menées. "Notre ambition est de réduire de 50 % l'empreinte plastique à usage unique par rapport aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Londres 2012 et de s'assurer que les emballages soient tous collectés, recyclés et réutilisés", poursuit Claire Revenu. Coca-Cola se saisit également de Paris 2024 pour "générer un impact positif sur la société", en permettant, via un partenariat avec l'association "Sport dans la ville", à une cinquantaine de jeunes des quartiers prioritaires de participer à la distribution de boissons ou au port de la flamme olympique - Coca-Cola étant partenaire officiel du relais de la flamme depuis Barcelone, en 1992.
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Valoriser une cause
Coca-Cola est loin d'être un exemple isolé de cet investissement massif des marques dans le domaine sportif. "Dans le cadre de son opération de naming de l'Orange Vélodrome, Orange contribue à favoriser, grâce au sport, l'inclusion sociale, l'égalité des chances et l'éducation des jeunes", illustre la directrice générale de Sporsora. Ainsi, Orange ne s'est pas contenté d'apposer son nom sur celui de l'emblématique stade marseillais. L'opérateur s'est, parallèlement, associé à l'OM Fondation pour offrir à des centaines d'enfants, des vacances "apprenantes" portées par des professionnels de l'innovation éducative, des animateurs et des enseignants passionnés, au sein de l'enceinte sportive. Au programme : ateliers de codage et de sensibilisation aux bonnes pratiques du numérique ou, encore, ramassage de déchets. Autre exemple : le partenariat conclu autour de l'Adidas Arena, dont l'inauguration est prévue au printemps 2024 dans le 18e arrondissement de Paris, sera l'occasion pour la marque aux trois bandes de mener des actions sociales avec les associations environnantes.
"Dans le monde du marketing sportif, les marques peuvent exploiter des enjeux d'attraction des talents, d'engagement des collaborateurs. Elles peuvent aussi mettre en évidence leurs propres engagements RSE ou tout simplement, leur attachement à une équipe ou à un club. Le monde du possible dans le marketing sportif est immense !", soutient Magali Tézenas du Montcel, qui rappelle la nécessité de choisir le bon levier sportif - qu'il s'agisse d'un évènement sportif, d'une équipe ou d'une enceinte sportive - en fonction de sa cible, de ses objectifs et surtout de ses propres valeurs.
De là, finalement, à s'effacer complètement derrière la cause soutenue ? C'est la tendance analysée par Stéphanie André, directrice associée de l'agence de communication Double 2, en charge de la RSE : "Les marques se dirigent progressivement vers des acteurs du sport dont l'opération valorise d'abord une cause avant de les valoriser elles. La visibilité de la marque devient ainsi moins importante, mais la démarche est davantage pensée sur le long terme que sur l'opportunisme court-termiste". Et l'approche plaît : "C'est une manière assez moderne d'aborder l'exercice et cela séduit notamment la génération Z", complète-t-elle. D'ailleurs, selon Sporsora, plus de 8 Français sur 10 estiment que le sponsoring sportif rend les marques plus sympathiques et 73 % des consommateurs confient même que cette pratique marketing leur donne envie d'acheter des produits ou des services de la marque concernée...
Contribuer à des événements plus responsables
Certaines marques, à l'image d'Enedis, de Renault ou de la SNCF, mettent ainsi leurs compétences au service d'évènements sportifs afin de contribuer à rendre ces derniers davantage responsables. Alors que plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre des événements sportifs proviennent des déplacements des fans et des membres de l'organisation (selon Sporsora), la société nationale des chemins de fer, sponsor officiel de la Coupe du monde de rugby 2023, a décidé de mettre à disposition ses savoirs et ses assets auprès des différents comités d'organisation pour privilégier les déplacements décarbonés. Sa raison d'être "Agir pour une société en mouvement, solidaire et durable" prend ainsi tout son sens. De même, le constructeur automobile Renault a également souhaité, à l'occasion de l'édition 2023 de Roland-Garros, traduire son engagement de mobilité durable avec la mise à disposition de 180 véhicules électriques et hybrides durant le tournoi. D'une autre manière, Enedis, partenaire des JO de Paris 2024, entend accompagner les grands évènements sportifs pour "changer durablement leur empreinte carbone". À cet effet, l'entreprise a lancé l'opération #BranchonsLesEvenements pour proposer une énergie exclusivement issue du réseau électrique. "Le partenariat d'Enedis avec Paris 2024 réaffirme notre rôle dans la transition écologique. Nous ne sommes pas seulement un des maillons de la chaîne, nous jouons un rôle central pour faire évoluer l'écosystème", assure Chloé Mexme, cheffe de projet Enedis pour les jeux de Paris 2024.
La cohérence et l'authenticité semblent donc être les maîtres-mots d'une stratégie de marketing sportif réussie. Et des marques n'hésitent plus à refuser d'associer leur image à des évènements qui ne sont pas en adéquation avec leurs valeurs. C'est le cas de l'équipementier danois Hummel, sponsor principal de l'équipe de Danemark, qui à l'occasion de la Coupe du monde de football 2022 organisée au Qatar, a décidé de "boycotter" l'événement critiqué, en raison du scandale écologique représenté par la climatisation des stades, mais surtout du décès de 6500 ouvriers lors de la construction de 7 enceintes sportives. Les marques ont-elles vraiment le choix ? À l'heure des réseaux sociaux, le jugement pour hypocrisie est vite rendu. "Une performance sportive ne ment pas sauf quand elle est dopée. Nous pouvons transposer ce même principe pour les marques : elles sont efficaces lorsqu'elles s'engagent sur un territoire sportif, sauf quand elles trichent et qu'elles ne sont pas sincères. Cela ne passe pas auprès des consommateurs", prévient la directrice associée de l'agence de communication Double 2. Ni auprès des sportifs de haut niveau qui challengent les marques quant à leurs engagements. Le joueur de l'Équipe de France de football Antoine Griezmann a pris la décision, à la fin de l'année 2020, d'abandonner son sponsor Huawei, soupçonné d'avoir développé une sorte "d'alerte Ouïgour" en participant à la conception d'un logiciel de reconnaissance faciale. Plus récemment, Kylian Mbappé a fait couler de l'encre en refusant de participer à une séance photos publicitaire organisée par la Fédération Française de Football, contestant la présence de KFC parmi les sponsors officiels de l'institution. Le footballeur reprochait alors à l'enseigne de poulet frit de véhiculer une image néfaste pour les jeunes et leur alimentation. "Ces engagements personnels poussent les marques à être toujours plus authentiques et irréprochables. Certaines n'y parviendront pas et se retrouveront écartées de la sphère sportive", prédit Stéphanie André. D'où l'intérêt de jouer franc-jeu !
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