Tribune : "Les études marketing sont-elles en danger ?"
Non, car le rôle des études n'est pas de demander aux consommateurs de nous dire ce que l'on doit faire. Les études du XXIe siècle ne se limitent pas à une fonction de validation/sanction. Elles doivent se faire dans un contexte d'accompagnement et de partenariat/conseil avec l'annonceur.
Je m'abonne"En lisant la biographie de Steve Jobs, je suis tombé sur une affirmation qui ne pouvait me laisser indifférent en tant que dirigeant d’un institut d’études. Pourtant, elle a été peu commentée dans notre milieu. Je cite : "Certains disent : donnez aux clients ce qu’ils veulent. Ce n‘est pas mon approche. Notre rôle est de devancer leurs désirs. Ford disait un jour “Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils désiraient, ils m’auraient répondu 'un cheval plus rapide'. Les gens ne savent pas ce qu’ils veulent tant qu’ils ne l’ont pas sous les yeux. Voilà pourquoi je ne m’appuie jamais sur les études de marché. Notre tâche est de lire ce qui n’est pas encore écrit sur la page”.
On entend régulièrement ce type de propos, qui n’est pas neuf. Menace-t-il pour autant les études marketing ? Pas vraiment, car il repose sur un postulat erroné. Le rôle des études n’est pas de demander aux consommateurs de nous dire ce que l'on doit faire. Les études qualitatives ne sont pas des groupes de créativité et les consommateurs ne sont pas supposés être des créatifs imaginant les offres de demain, qui satisferont des besoins qu’ils n’ont pas encore conceptualisés. Il est avant tout de proposer aux décideurs marketing d’approfondir leur connaissance et leur compréhension de leurs consommateurs. Et de prendre ainsi des décisions plus fiables et efficaces.
Bien sûr, pour les tenants du marketing de l’offre, les grandes innovations s’imposent tout naturellement. Mais soyons réalistes, 98 % de l’activité marketing échappe aux lois du marketing de l’offre pur et parfait. Le fonctionnement des grandes sociétés se fait en mode projet, par équipes, souvent réparties aux quatre coins de la planète. Il n’y a pas un décideur, mais une équipe composée de représentants de plusieurs fonctions : la R&D, le marketing, l’innovation, le management, les commerciaux… Oui, Steve Jobs avait raison dans son cas de figure (et sur une catégorie spécifique, la technologie, qui fonctionne à l’innovation de rupture), mais tout le monde n’est pas Steve Jobs… et n’est pas non plus (heureusement ?) adepte de son style de management, assez personnel, à base de l’influence du gourou, de la légitimité du visionnaire et du pouvoir absolu de l’autocrate... Un mode de fonctionnement somme toute assez atypique… Les managers doivent rendre des comptes. Pour la plupart d’entre eux, ils ne peuvent, comme Steve Jobs, s’appuyer sur leur seule intuition.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que le marketing de l’offre, il y a aussi celui de la demande ! Identifier les attentes consommateurs, les besoins non satisfaits, les tendances socioculturelles, permet de s’assurer qu’une innovation repose sur de la justesse consommateur, qu’elle fait sens en proposant, par exemple, plus de praticité ou de simplicité (le scotch qui se coupe avec les mains), plus de naturalité (Bonduelle et les précuits vapeur) ou encore une meilleure adéquation avec les modes de vie urbains (les Pasta box de Sodebo)… Les études ne sont pas là pour agir en tant que censeurs, elles servent à révéler des attentes encore informulées par les consommateurs. À comprendre, les registres auxquels ceux-ci sont réceptifs, afin de s’assurer, par exemple, qu’une campagne repose sur un message ou une idée créative qui fonctionne par rapport à l’identité d’une marque ou aux drivers d’une catégorie.
Au-delà du vieux débat marketing de l’offre/marketing de la demande (présupposant souvent une plus grande noblesse du premier), il faut surtout arrêter avec l’idée que les études sont en contradiction avec un marketing créatif. Elles sont au contraire là pour être inspirantes, tout autant que pertinentes. Les études du XXIe siècle ne se limitent pas à une fonction de validation/sanction. Elles doivent se faire dans un contexte d’accompagnement et de partenariat/conseil avec l’annonceur, un process en plusieurs étapes, où chacune enrichit l’autre et vice et versa. Les groupes de créativité sont là pour générer des pistes d’idées. Le volet consommateur pour les enrichir, les approfondir, connaître leur mode de fonctionnement, les réorienter, leur permettre de rebondir sur d’autres pistes, identifier des façons de parler simplement d’une innovation (et éviter ainsi les expressions trop compliquées, comme le concept d’hydra-nutrition, qui a pénalisé le lancement de Nesfluid). Enfin, l’apport du planning stratégique est primordial, grâce à l’ouverture qu’il offre et à la mise en perspective les résultats d’études avec la stratégie de construction de la marque ou les tendances.
En définitive, les études ont bien d’autres facettes que la simple validation du potentiel d’une idée. Leur éclairage permet d’engendrer des innovations utiles, qui échappent à la prégnance de l’hypermarketing et à la surenchère de pseudo-innovations qui ne font pas de sens pour les gens et aboutissent au final à de la destruction de valeur.
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Bienvenue dans un monde qui change, les études de demain s’inventent aujourd’hui !"
Nicolas Riou : président fondateur de Brain Value, institut d’études créé en 2003. Domaines d’expertise : études qualitatives et quantitatives, planning stratégique, ethno-marketing, études on line, storytelling, sémiologie, études stratégiques et opérationnelles : exploratoires, recherche de consumer insights, stratégie de marque, pré et post-tests de publicité, tests de concepts et de packagings, innovation.