Journée nationale des études 2014 : les coups de pouce du "nudge"
Issu de l'économie comportementale, le nudge envahit le management et le marketing. Méthode douce pour obtenir la bonne décision, il peut s'avérer très utile dans la modernisation de l'action publique.
Je m'abonneAu-delà des mots et contre les exhortations directives : comme en médecine, les techniques douces s'invitent dans les stratégies marketing. La behavioral economics, courant issu de la recherche académique dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, puis la révolution des neurosciences, ont démontré que l'homme n'était pas un être rationnel.
Pour Richard Bordenave, directeur marketing et innovation du groupe BVA (qui a créé Nudge Unit), membre du comité scientifique de l'Adetem, intervenant lors de la Journée nationale des études, " nous sommes tous un peu des Homer Simpson. L'économie comportementale a reconstruit nos modèles. Richard Thaler et Cass Sunstein (*) ont transformé les enseignements de la behavioral economics en solutions. " Et Richard Bordenave de décrire la façon dont le "nudge" (coup de pouce, en français) a débouché sur de nouveaux modes de management dans de grandes entreprises comme Procter & Gamble mais aussi au sein des gouvernements anglo-saxons : création de la Nudge Unit par David Cameron en Grande-Bretagne, de la Nudge Squad par Barack Obama aux États-Unis...
Les méthodes "nudge" peuvent être des solutions originales à divers problèmes sociaux de santé publique, d'épargne ou d'écologie. Et en plus, elles ont un coût réduit par rapport aux campagnes d'intérêt général. C'est une remise en question du conservatisme politique selon lequel le collectif fonctionne mieux grâce à la rationalité des comportements individuels.
Un exemple parmi d'autres : le ministère des Finances britannique a adressé aux 10 % de foyers fiscaux en retard dans le paiement de l'impôt une lettre de relance avec la mention "neuf personnes sur dix paient leurs impôts à l'heure". Résultat : 2,8 millions de livres sterling (environ 3,4 millions d'euros) récupérés !
La Commission Européenne a organisé des colloques sur l'économie comportementale. En France, société jacobine, le "paternalisme libertarien" du nudge, lequel vise à aider les individus à prendre des décisions qui améliorent leur vie sans attenter à la liberté des autres, a encore du mal à percer. Mais les mentalités changent, comme en témoigne l'expérimentation du Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), service de 150 personnes qui dépend du Premier ministre.
Lors de la Journée nationale des études (organisée par l'UDA et l'Adetem), Françoise Waintrop, chef de la mission "méthodes d'écoute et d'innovation", a expliqué comment la culture de l'innovation pouvait transformer les administrations : " Au sein du SGMAP, le service innovation écoute les usagers pour simplifier les démarches administratives, transformer la relation entre citoyens et puissance publique, notamment par le numérique, et aussi mobiliser tous les leviers d'action internet dans la capacité d'innovation. "
Plus de quatre ans de travaux (en lien avec les services innovation de plusieurs gouvernements européens) ont permis de mieux comprendre les comportements et les attentes des usagers. " Nous avons utilisé plusieurs méthodes d'études, développe Françoise Waintrop. Études quanti sur les événements de vie, cartographie du parcours usager (perte d'emploi, décès dans la famille...), étude sur les moteurs de satisfaction et, depuis peu, des études ethnographiques. "
Booster la confiance en l'administration
Avec la Direction générale des finances publiques (DGFiP), la mission "innovation" a pu ainsi démontrer que, dans un climat de défiance croissante à l'égard de la puissance publique, la confiance était un élément crucial de la satisfaction. De même, le manque de confiance génère une forte réitération des contacts et, partant, des déplacements aux guichets pour des motifs à très faible valeur ajoutée.
La mise en place du programme "100 % Contacts efficaces" a permis d'orienter les usagers vers les canaux les plus adaptés. " Nous avons travaillé avec BVA et des créatifs extérieurs pour modifier les comportements à partir du nudge, avec des incitations douces pour donner envie aux usagers d'aller sur Internet plutôt qu'aux guichets ", explique Françoise Waintrop.
Un exemple : les documents ayant été écrits pour les formulaires "papier", ils ont été reformulés et, pour rassurer les usagers, un tampon va être créé sur Internet. " Tout n'est pas finalisé mais nous avons trouvé de nombreuses idées ", s'enthousiasme Françoise Waintrop. Un détail à ne pas négliger : un service internet coûte près de 40 fois moins cher que le guichet !
Les domaines d'intervention explorés par le SGMAP concernent la lutte contre l'obésité, le tabagisme, la protection de l'environnement... Pour chacun, la méthode douce est la même : " On observe les comportements et on construit des coups de pouce ", conclut Françoise Waintrop. Des champs d'études passionnants pour les acteurs publics et les instituts.
> Nos décisions se prennent avant tout dans le système 1 de notre cerveau (celui de nos intuitions, du non-conscient).
> Nos décisions sont affectées par des biais, des raccourcis mentaux. Exemple de variable à analyser : le temps de réponse à une question.
> Nos décisions sont affectées par nos émotions. Antonio Damasio (Descartes Error) : " Nous ne pouvons faire de choix rationnels sans émotion. "
> Nos décisions ne sont pas influencées uniquement par notre intérêt individuel mais aussi par les normes sociales.
> Tous nos comportements dépendent des situations, de notre environnement et du choix qui nous est proposé.
(*) Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision, par Richard Thaler (Chicago University) et Cass Sunstein (Harvard University), Vuibert, 2010.