[Tendance] Ancrage, une base solide de stratégie marketing ?
Un mot, une tendance, huit images : tous les mois, Luc Balleroy (InnovativeWay by OpinionWay) analyse un grand courant qui traverse notre société, et ses répercussions sur le marketing.
Je m'abonneCe mois-ci, Luc Balleroy (photo, InnovativeWay by OpinionWay), dans sa rubrique One word, One trend, 8 pictures, se penche sur l'ancrage.
#Ancrage :
[Définition] Action ou moyen de se fixer et de s'établir solidement quelque part
[Mots associés] #Fixation #Attache #Enracinement #Blocage
[Antonymes] #Appareillage #Déracinement #Envol
Si l'ancrage peut se définir comme un point fixe qui nous relie affectivement et historiquement à nos origines, alors nous pouvons dater ce besoin de fixer une forme de notre mémoire à la période du paléolithique, avec les premières peintures rupestres. Une tendance qui remonterait donc à quelque 40 000 ans selon les dernières découvertes sur l'île de Sulawesi en Indonésie.
Renouer avec ses racines
Dans un passé plus proche, Marcel Proust nous a fait goûter toute la puissance et la saveur de l'ancrage avec sa madeleine, qui semble seule pouvoir l'arracher à l'accablement que lui inspirent " la morne journée et la perspective d'un triste lendemain."
Ainsi donc, s'il s'agit d'un trend, nous pouvons dire sans nous tromper que c'est même un courant de fond qui semble imprégner toute l'humanité et peut-être même la caractériser. Et si nous l'évoquons dans le cadre de cette rubrique, c'est parce qu'aujourd'hui, à l'aube avancée du 21e siècle, cette tendance a plus que jamais le vent en poupe.
Nous vivons dans un monde liquide, disait Zygmunt Bauman, c'est-à-dire à la fois instable, insaisissable, incertain et marqué par l'immédiateté. Un monde où il devient difficile de se projeter et dans lequel les individus éprouvent le besoin de jeter l'ancre en renouant avec leur histoire, leurs racines, leurs valeurs et la nostalgie de leur passé. "O temps suspend ton vol " sonne alors comme une ode enivrante et apaisante, comme un cautère sur le tempus fugit et l'absence de perspective réjouissante.
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Les exemples de cette célébration collective, voire de délectation morose, ne manquent pas. Aussi, selon le principe One Word, One Trend, 8 Pictures, considérons huit cas hautement symboliques et représentatifs :
1 - Le goût prononcé des Français pour la généalogie. Entre 500 000 et 800 000 Français seraient des généalogistes amateurs actifs, et un Français sur deux a déjà fait des recherches à titre personnel, selon un sondage Opinionway pour Généalogie.com datant de mars 2015
2 - La passion de la commémoration. Avec le centenaire de la guerre de 14-18, les sites mémoriaux ont vu leur fréquentation exploser, les oeuvres littéraires ayant pour cadre cette guerre ont aussi remporté un franc succès, comme " Au revoir là-haut " de Pierre Lemaître-Goncourt en 2013, et même la télévision a battu des records d'audience avec un documentaire intitulé Le bruit et la fureur - 5 893 000 téléspectateurs.
3 - La nostalgie de sa propre jeunesse et de ses marqueurs. Reprenant le titre d'une émission de variété des années 60, la tournée " Age tendre et Tête de bois " continue à faire salle pleine pour la 9ème saison avec les artistes... de l'époque !
4 - L'engouement grandissant pour notre patrimoine culturel. Le Louvre a accueilli en 2014 9,3 millions de visiteurs (2 fois plus qu'en 2000) auxquels il faut ajouter les 3 400 000 visiteurs pour les autres musées de la ville de Paris hors Versailles ! Le Louvre-Lens n'est pas en reste avec 1,5 millions en deux ans.
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5 - Le succès étourdissant des livres de vulgarisation historique. Au premier rang dequels "Métronome", de Lorant Deutsch, avec plus de 2 millions de livres vendus, sans compter le livre illustré et l'application. Mais il ne s'agit pas d'un succès isolé puisque "L'histoire de France pour les Nuls" s'est écoulé à plus d'un million d'exemplaires.
6 - La fascination symbolique pour une forme de repli. Image emblématique, celle d'Arnault Montebourg immortalisé avec une marinière Armor-Lux et un mixeur Moulinex sur fond de drapeau français, tentant de nous faire oublier que la France du 20e siècle fut celle du TGV, du Paquebot France et du Concorde, dans un sursaut patriotique.
7 - Le retour fébrile pour un monde d'avant 68. En même temps que le général de Gaulle est devenu le réfèrent spirituel de la droite comme de la gauche, le conservatisme s'affiche contre le progressisme bon ton et rassemble des milliers de Français dans la rue à l'occasion des " Manif pour tous ".
8 - La longévité d'une émission emblématique de ce trend : "Des Racines et des Ailes", 17 années consacrées à attiser notre émerveillement pour notre patrimoine ; et un record d'audience pour son émission spéciale consacrée aux 1300 ans du Mont-Saint-Michel - plus de 5 millions de spectateurs.
Le confort du passé
A bien considérer toutes ses formes d'expressions et de manifestations actuelles, l'ancrage semble répondre à un besoin de réassurance qui s'exprime dans trois registre distincts :
- La nostalgie qui charrie avec elle son torrent d'émotions doucereuses afin de contrebalancer les crises que nous traversons et dont ne voyons pas l'issue ;
- L'attrait pour les valeurs du passée avec un goût prononcé pour une forme plus ou moins marquée de conservatisme voire une tentation de repli sur soi et même d'un immobilisme assumé ;
- La quête identitaire qui conduit à rechercher et retrouver ce qui fonde ce que l'on est, dans un monde où la culture globale tend à tout diluer et assimiler.
Quelle inspiration pour le marketing ? Lire la suite page 3
Quelle inspiration pour le marketing ?
La question est alors de savoir de quelles façons cette tendance protéiforme qu'est l'ancrage peut être source d'inspiration pour les directions marketing ou de communication.
En premier lieu, il faut avoir à l'esprit que les plus de 50 ans représentent 40% de la population française et 50% des dépenses des consommations. Il faut aussi imaginer que leur regard sur le passé sera empreint d'une tendresse qui ne sera que grandissante. Voilà pourquoi l'ancrage se présente comme une tendance durable.
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Aussi nous distinguerons trois voies d'exploration :
1 - L'histoire revisitée pour inscrire la marque dans la durabilité
La distance s'est creusée entre les marques et les consommateurs. Les scandales sanitaires, les licenciements économiques, les optimisations fiscales, les ententes illicites, les marges arrières... ont usé la confiance et érodé l'attachement. Pour attirer de nouveaux consommateurs - mais aussi de nouveaux salariés - les marques doivent désormais montrer qu'elles ne s'inscrivent plus uniquement dans la quête d'un profit immédiat dont le consommateur serait la source convoitée, mais bien dans une histoire, des valeurs, le tout animé par une mission qui les dépasse.
Voilà pourquoi le storytelling de marque est en plein essor jusqu'à s'incarner dans un musée comme La Maison de la vache qui rit.
2 - Le passé, gage de qualité et bain de jouvence émotionnelle
Les produits de grande consommation utilisent depuis longtemps déjà les ficelles de la rassurance made in the past. Les recettes de nos grands-mères ont fait école avec leurs formules " à l'ancienne ", " tradition " ou bien encore avec leurs inoubliables égéries : Mamie Nova, la Mère Denis ou Germaine de Lustucru.
Mais dépassant cette cosmétique publicitaire, depuis quelque temps fleurissent des concepts stores globaux consacrés aux saveurs d'antan, à l'instar de "La cure gourmande" ou "Le Comptoir de Mathilde." Au-delà du goût et de l'image d'une production artisanale - donc de qualité -, c'est un plongeon plus radical dans une atmosphère entièrement dessinée pour nous faire revivre le rêve d'un passé révolu.
3- Succès d'hier, source d'inspiration aujourd'hui
Après le succès de la New Beetle et de la Mini, celui de la 500 aurait sauvé Fiat de faillite. Il ne s'agit pas d'une tendance propre à l'automobile. L'appétence pour des form factors venus tout droit du passé se retrouve aussi bien dans la mode et ses accessoires, l'ameublement et l'électroménager. Voilà qui peut donner autant de raisons de se réjouir que de désespérer de l'avenir... On retiendra cependant une chose essentielle : ces nouveaux objets de séduction ne sont pas de simples copies de leurs ancêtres. Ils s'en inspirent comme pour afficher la lignée de leur héritage mais en adoptant tous les attributs de la modernité.
Et si, finalement, cette tendance forte à l'ancrage n'était qu'un moyen, qu'une étape pour mieux nous projeter dans l'avenir à l'instar de cet aphorisme de Voltaire : "Pour s'élever, il faut d'abord descendre en soi."
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Luc Balleroy, co-fondateur d'OpinionWay, en est le directeur général. Il est aussi directeur d'InnovativeWay.