Rafi Haladjian : "Le but du jeu, ce n'est pas de connecter les objets, mais la vie"
C'est à l'occasion de la Garden Party "come & connect" (1), organisée par le Club des Annonceurs, que nous avons rencontré l'inventeur des objets connectés. Propos échangés.
Je m'abonnemarketing : " Pouvons-nous vous présenter comme l'initiateur des objets connectés ? "
Rafi Haladjian : " Je pense que oui. J'ai forgé le terme Objet connecté. Un jour, je visitais une usine de jouets en Chine. Un homme m'a présenté un ours en peluche auquel on avait ajouté de l'électronique, en m'indiquant qu'il savait raconter 80 histoires en italien ! Cela a déclenché deux idées. La première, c'est que le métier de cet homme était d'ajouter toutes les technologies disponibles pour faire évoluer ses produits. Il faisait jusqu'ici des ours en peluche. Et comme les puces électroniques étaient devenues abordables, ils les avaient mises dans ses produits. Dès qu'une technologie devient abordable, les gens s'en saisissent. Dès lors que les technologies de réseau comme le wi-fi et le bluetooth deviennent abordables, il n'y a pas de raison de ne pas les mettre à l'intérieur de cet ours en peluche.
La deuxième chose, c'était qu'il raconte 80 histoires en italien. Pourquoi 80 seulement ? Pourquoi que en italien ? Si l'on connecte cet ours en peluche à un réseau, il pourra raconter toutes les histoires du monde, dans toutes les langues du monde. Et même souhaiter "bon anniversaire" ! Il y a aussi un sens à connecter cet objet à l'Internet. Et ce qui a du sens pour cet objet en a pour tous les autres. Il n'y a pas de raison pour que chaque industriel, quel que soit le type d'objets, de produits et de services qu'il fournit, ne le réinvente pas à l'aune de la connectivité. Ce phénomène est inéluctable. Au début du 20è siècle, tous les objets sont devenus électriques. Parce que l'électricité est apparue et que, que vous soyez fabriquant de fer à repasser ou de machine à laver, vous vous êtes dit "maintenant, mon fer à repasser, au lieu de mettre du charbon dedans, les gens vont pouvoir le brancher à l'électricité pour le chauffer tout seul". Et donc, ce même phénomène va s'appliquer à tous les objets. "
m : " Cette année, c'est un peu la déferlante en terme d'annonces. Pour vous, est-ce un grand mouvement qui est en marche ? "
Rafi Haladjian : " Je suis un peu déçu que cela n'arrive que maintenant. Pour moi, le début des objets connectés date de 2003. Les gens sont lents. Le bénéfice n'est d'ailleurs, pour moi, pas du tout la question. Le fait que les pèse-personne sont devenus mécaniques puis électroniques, ce n'est pas juste parce qu'il y avait un bénéfice à le faire. Celui qui produit le pèse-personne sait que s'il ne le fait pas en version électronique, il ne va pas pouvoir en vendre de nouveaux. Le bénéfice, il est surtout pour celui qui le fabrique. Cela permet de le renouveler, d'ajouter de nouvelles choses. Cela met du temps parce que les choses mettent du temps : cela a atteint un tipping point et après, ça s'accélère. L'Internet, c'était pareil. L'internet de 94 à 98 n'intéressait personne en France. Soudain, à partir de 98/99, il y a un truc qui se déclenche et ensuite, cela explose.
m : " Mother, votre nouvelle invention, est-ce un objet dont l'usage n'est pas défini ? "
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Rafi Haladjian : " Le but du jeu n'est pas de connecter les objets. Le but du jeu, c'est de connecter la vie. J'imagine que les gens n'ont pas 80 gadgets électroniques dans leur maison, qu'il faut recharger et sur lesquels il faut appuyer sur un bouton, regarder un écran, les synchroniser avec une application... On imagine des systèmes qui viennent se fondre dans votre vie pour que vous puissiez vivre comme vous avez toujours vécu. On ne cherche pas un appareil qui vous aide à dormir. Vous allez vous coucher dans votre lit ordinaire. Vous utilisez votre brosse à dent ordinaire. Vous utilisez vos médicaments ordinaires. On pense que si l'Internet des objets, c'est une collection d'objets à 150 euros que les gens achèteront pour des micro-besoins, cela ne va jamais marcher. Pour le moment, on est dans l'Internet des cadeaux de noël, on n'est pas dans l'Internet des objets.
La relation avec des clients, elle s'est faite de manière sporadique. Maintenant, on arrive à la situation où on peut aller et vivre avec l'utilisateur en permanence. Cela ne devient plus de la communication, cela devient du partage d'expériences. Si je suis fabriquant de matelas et que je mets des capteurs dans les matelas que je vends, mon métier n'est plus vendeur de matelas, mais expert du sommeil. Donc, marchand de sommeil au sens positif du terme. Du coup, la relation change. Mon client ce n'est pas quelqu'un avec qui je communique, c'est quelqu'un avec qui je partage des expériences. Cela bouleverse les métiers, cela bouleverse les marques et cela bouleverse tout. "
m : " Quelle est, pour vous, l'étape suivante ? "
Rafi Haladjian : " La vision que nous avons, c'est une vie insignifiante et banale. Ce à quoi nous ne croyons pas, ce sont les scénarios futuristes. On arrivera à la révolution connectée quand on n'aura plus d'objets connectés. On ne parle pas d'objets électriques ? Alors pourquoi parler d'objets connectés ? Ce qui change aujourd'hui, c'est que l'on peut connecter la vie directement. Jusqu'à présent, quand on était obligé d'interagir avec quelqu'un, on passait par un objet. Cet objet étant un ordinateur, un iPad, un iPhone... Un truc au milieu, pour échanger entre l'expérience vécue par l'utilisateur et la captation, l'enregistrement de cette donnée.
Aujourd'hui, on peut faire un monde dans lequel les gens marchent, boivent, bougent, se couchent, font l'amour, promènent le chien... et que tout cela soit rendu intelligible naturellement. La vie telle qu'elle. Pas une vie dans laquelle j'ai plein d'étagères, avec plein d'objets, et plein d'adaptateurs, avec des prises multiples géantes dans lesquelles je charge tous mes appareils le soir. Ce n'est pas du tout ça. C'est une vie comme la vie d'aujourd'hui, sauf qu'elle est plus intelligible. Je suis capable de mesurer les choses que je fais. Pour rien !
Il y a toujours cette question de : à quoi ça sert de mesurer, de quantifier les données ? Je pense qu'à partir du moment où vous pouvez le faire pour pas cher, vous le faites, vous les gardez, vous êtes très content de vous en servir le jour où vous en avez besoin. Maintenant que prendre des photos ne coûte rien, les gens photographient tout et n'importe quoi des millions de fois. Ils photographient leurs pieds des milliards de fois ! La question de savoir à quoi cela sert ne se pose pas. Si on peut enregistrer des données et avoir une meilleure connaissance de soi, avec des données historiques de nos comportements que l'on peut consulter quand le besoin s'en fait sentir, pourquoi les gens ne le feraient-ils pas ? Encore faut-il que ce soit des capteurs qui viennent se fondre dans leur vie. Et ne nécessitent, de leur part, aucun effort. Aucun investissement. Rien.
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(1) Retrouver ci-dessous la vidéo de moments choisis, et des photos en cliquant ici, de la garden party "Come & Connect" organisée par le Club des Annonceurs sur le thème du lien connecté.