[Tribune Libre] Identité de marque : ce qui fonctionne côté musique
Si la création d'une identité visuelle s'est depuis longtemps imposée comme le premier acte d'existence d'une marque, c'est par la musique et singulièrement par une identité sonore forte que les marques ont beaucoup à obtenir pour le futur. C'est un domaine en pleine mutation, où les idées reçues et les best practices mal compris peuvent coûter bien plus cher qu'il n'y parait.
Il n'y a pas de doute. Aucune marque n'existe aujourd'hui sans une identité visuelle. Un logo graphique n'est pas simplement un atout pour une entreprise ou un service, c'est une incarnation quasi consubstantielle. Seulement, le visuel ne fait pas tout et pour partie, en fait de moins en moins.
Relation émotionnelle
La relation client de demain sera d'abord une relation affective et cela quelle que soit la marque en question, son secteur d'activité, qu'elle soit dans le BtoB ou le BtoC, qu'elle soit locale, nationale ou multinationale. La dimension rationnelle et fonctionnelle, la capacité de reconnaissance et de réassurance de la marque n'est pas celle qui emporte l'adhésion ni même la préférence dans un contexte de concurrence accrue. Or, le visuel montre depuis longtemps ses limites sur l'aspect émotionnel. Bien sûr, la dimension signalétique du graphisme de marque, son enjeu en qualité de marqueur voire de levier ergonomique, ne peuvent en aucun cas être négligés. Au fond, on peut perdre bien des batailles par un design graphique inapproprié, mais un bon design visuel ne suffit plus pour nourrir suffisamment cette guerre émotionnelle dans laquelle les marques sont aujourd'hui engagées.
Intimité
Le rapport à la musique s'est transformé de façon radicale ces 50 dernières années. Cette transformation s'est accélérée depuis 5 ans. Ecouter de la musique n'est plus le loisir de jeunes gens boutonneux et rebelles, ce n'est plus non plus le privilège des bourgeois oisifs. La musique est non seulement entrée dans le quotidien de milliards de terriens, mais elle s'est avant tout glissée dans leur intimité. Elle est le premier ressort émotionnel de leur journée. Et ce lien change tout. La musique s'affirme désormais comme une porte ouverte vers l'intimité des gens, vers leur coeur et, n'en doutons pas, leur coeur sait avoir de la mémoire
Signature sonore
La question est de savoir comment la marque peut en tirer parti. Malheureusement, ces dernières années beaucoup de marques, en prenant conscience de l'importance de la musique, se sont précipitées pour donner à leur communication un pan musical plus fort, plus riche... sans comprendre que l'enjeu n'est pas d'exploiter plus de musique mais de nourrir la compréhension de la marque et sa capacité singulière d'attraction. Croyant bien faire, nombre d'entreprises se sont " payé " des musiques plus ou moins connues, plus ou moins nombreuses et créatrices de lien, souvent encouragées par des intermédiaires pas toujours bien intentionnés. Le résultat est très rarement probant. En quatre ans, Carrefour aura eu pour identité sonore " Happy Days ", puis le hit dansant du DJ Bob Sinclar " Love Generation ", pour atterrir tout récemment sur " We are Family ", le tube du début des années 80 de Sister Sledge. Sans parler de la question budgétaire, une accumulation si disparate est en soi un aveu d'échec. Mais les gens de chez Carrefour sont de bons professionnels, ils pressentent bien quelque chose mais n'arrivent pas à trouver la solution. Oui, c'est une idée reçue, venue d'un autre temps, qui veut faire croire que l'attribution est plus forte avec une musique existante et connue. Quand la musique est plus connue que la marque, alors qu'importe la marque, c'est la musique que l'on retient.
Quelques notes suffisent-elle ?
De l'autre côté de l'échiquier, certaines marques ont cru qu'il suffisait d'enchaîner 4 ou 5 notes pour donner du son à leur identité. Encouragés par le formidable succès de la signature musicale d'Intel, de la SNCF ou de Peugeot, certains ont cru que la recette était toute bête. Et l'on voit fleurir depuis des signatures musicales dans tous les sens, un peu comme l'on voyait fleurir à la fin des années 90, des petits logos en forme de bonhomme " parce qu'avoir un bonhomme pour logo, ça fait proche et humain ". Ce degré zéro de la réflexion musicale donne naissance à des signatures aseptisées, à peine entendues et déjà oubliées ou déjà confondues, des signatures qui n'incarnent rien et n'ont pas d'impact sur la façon de penser la marque, ni sur la façon de se comporter face à elle. Réduire l'identité sonore de Peugeot à 4 notes, même très bien trouvées, celle de la SNCF à une alerte sonore de gare originale, c'est ne pas comprendre que derrière cette " signalétique sonore " se cachent une texture sonore et une invitation à la marque qui font la différence.
Il faut garder à l'esprit, comme pour une identité visuelle, qu'une signature musicale est - lorsque les choses sont bien faites - la partie émergée d'un dispositif beaucoup plus large, très inspiré et qui construit une part de l'identité de la marque, en synergie avec les autres pans de son expression, de son identité. Nous n'avons pas créé la signature musicale de la SNCF pour que les gens soient renvoyés à ce qu'ils savaient déjà de la SNCF, mais bien pour déplacer le curseur, rendre par exemple plus lisible le caractère bienveillant de la marque. Nous n'avons pas créé l'identité sonore de Peugeot pour que l'on sache que Peugeot faisait des voitures mais pour faire notamment avancer la marque, faire progresser par exemple la perception de son positionnement plus haut de gamme.
Réflexion stratégique
Une bonne identité sonore se construit avec une vision, une expertise et une stratégie qui nourrissent l'univers de la marque. L'une des conditions d'un travail réussi passe par l'implication du Top Management pour qu'il s'y sente bien, qu'il s'y sente aidé et valorisé. Chez Michelin, la stratégie musicale de la marque, au coeur de laquelle se trouve son identité sonore, a été bâtie avec le Top Management sous l'égide d'une Directrice de Communication visionnaire mais surtout pragmatique. Jean-Dominique Sénard, le Président du Groupe, l'a faite sienne et ne manque pas de rappeler qu'elle est un pan important qui contribue à la compréhension de la marque. En quelques années, Michelin a acquis une maîtrise de sa communication sonore que peu de groupes internationaux sont en mesure d'assurer. Chez Nexity, l'exigence dont a fait preuve son Président Alain Dinin a poussé le groupe, à l'initiative de la direction de la communication, à construire un système à 360° où l'identité sonore trouve systématiquement sa place. A l'heure de la refonte globale de la marque, le groupe a défini son propre vocabulaire musical - comme il l'a fait sous l'angle visuel - et veille à la cohérence, à la performance et à la singularité de cette expression en toutes circonstances. Les traits de personnalité d'un management visionnaire, inventif, à forte conviction se retrouvent dans ce dispositif. Cet appropriation du Top Management est non seulement indispensable pour assurer la légitimité de ce qui n'est rien d'autre qu'une forme d'hymne de marque, mais il est surtout illusoire de croire que le système sera pérenne si ceux qui président aux destinées de la marque n'y trouvent pas leur compte.
Finalement, s'il n'existe pas de recette pour construire un territoire musical créateur de valeur pour la marque, on peut rappeler qu'il n'est pas interdit de faire preuve de bon sens et d'ambition. S'il faut aller chercher l'expertise capable de faire du bien à la marque, s'il faut aller au-delà du fameux " est-ce que les gens vont pouvoir chantonner la mélodie ?", il faut revenir à ce qu'est la marque et ce dont elle a besoin pour réussir aujourd'hui : un capital émotionnel.
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La pollution visuelle est aujourd'hui avérée. Dans quelques années, la pollution sonore fera son apparition dans le paysage de la communication des marques. Les annonceurs seront confrontés à une concurrence encore accrue dans leurs prises de parole. Il faudra faire fort et dans un espace-temps encore réduit. Bruno Paillet, ancien Directeur de la Communication du GAN et actuel Président de Conseil et Annonceurs Associés, un cabinet de conseil en management de la marque, commentait récemment le succès de la signature musicale de la SNCF : " Très peu de notes, mais quelles notes ! ". CQFD.
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