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Sept marques seulement seront encore là dans 100 ans…

Quand la rédaction de Marketing Magazine m'a demandé d'imaginer les marques présentes, non pas dans dix ans mais dans cent ans, c'est-à-dire en 2105 (dans cinq générations), je me suis mis en quête d'une boule de cristal et puis… le rationnel a pris le dessus et avec lui la méthode chère aux universitaires et aux consultants-experts.

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Une idée aussi, interroger “mes” étudiants du Master Pro, “Marketing et Stratégies de Marques” du Celsa (Paris4. Sorbonne). Je “gagnais” déjà une génération. Ces jeunes spécialistes du “branding”, étudiants de 3e cycle ont été plein de lucidité et ont rejoint pas mal de mes hypothèses. Une petite minorité a défendu une “théorie évolutionniste” ; il y a plus de dix millions de marques en usages en 2005 ; il y en aura autant dans un siècle et le temps étant considéré comme le premier capital d'une marque, plus d'un million des marques d'aujourd'hui seront là demain ! Cette hypothèse se défend, car si rien ne change, on ne voit pas pourquoi l'avance marketing et les caisses pleines fondraient comme neige au soleil. Une denrée rare, un “espace mental”<:intertitre> C'est, pourtant, l'avis de la majorité de ces jeunes experts. La marque sera en 2105 une denrée rare, un “espace mental” disputé par toutes les “commodités” d'un monde anxieux, mais techniquement stable. Les distributeurs vendront de bons produits dont le seul label sera la MDD. Les différences auront été hiérarchisées par les distributeurs eux-mêmes, un trident ou une toque pour les premiers prix, deux et trois tridents pour les meilleurs… Mais quelques marques surpuissantes auront pris, chacune, une place prépondérante dans la vie de nos descendants car l'humain a eu, de tout temps, un besoin de se distinguer, de se différencier, de montrer qu'il était unique. Les hommes et les femmes sont “comme ça” et… les marques sont là “pour ça”. Nous nous sommes interrogés sur ce qui avait permis de traverser le XXe siècle à certaines marques et pas à d'autres. Pourquoi la célèbre “crème Simon”, le Lancôme des années 1900 a aujourd'hui disparu, que la lampe Berger cherche sa voie alors que Coca-Cola, Philips, Michelin ou le Savon de Marseille sont encore là ?

Des solutions dans une lutte “à la vie, à la mort”

Quelles marques, pourquoi et comment, avaient aussi fortement “impressionné et structuré” les cerveaux pour vendre cent ans plus tard des produits bien souvent éloignés du savoir-faire originel ? La réponse est unique : toutes ces marques racontent une “histoire au caractère impératif, interpellatoire, surgie directement de la contingence” (R. Barthes, Mythologies). Elles nous ont sauvé et nous sauvent encore de fléaux qui nous dépassent et ne peuvent être traités par notre seule volonté ou notre seule intelligence. Toutes ces marques ont apporté des solutions magiques dans une lutte “à la vie, à la mort” contre des barbaries perçues comme fondamentales. La marque mythique, celle qui passe allègrement les générations, invente un nouveau langage et donne un nom à une fonction jusque-là impensable : vaincre la laideur, vaincre la solitude, vaincre la lenteur, vaincre la maladie, vaincre la pauvreté, vaincre l'insécurité, vaincre la mort…

Une bataille de titans à son comble

Là, il y a une place pour les marques, maintenant ou dans cent ans, car les distributeurs dans la “quotidienneté” de la consommation ne peuvent en même temps représenter le flux de tous les jours et la lutte pour ou contre l'exceptionnel ! Mais, dans cent ans, la lutte sera encore plus serrée et la bataille de titans commencée de nos jours sera à son comble. Une seule marque mondiale couvrira un territoire mental et se sera emparée d'un de nos mythes fondateurs. Tous les experts en sont persuadés. Même si renaîtront, sans doute sans cesse, quelques marques locales, fruits de l'imagination d'entrepreneurs créatifs pour “jouer les alternatives”.

D'autres logiques, d'autres marques venues d'ailleurs

Comme on le voit, aucunes marques agro-alimentaires, aucunes marques de soft drinks ne survivront. D'autres logiques “anti-fat” imposeront d'autres marques venues d'ailleurs. Exit Nestlé et Danone en 2105… Les experts n'ont pu s'entendre sur un nom de marque d'alcool où les goûts locaux semblent l'emporter même s'il est vraisemblable que Hennessy ou Moët resteront des symboles d'un temps où les amitiés se conjuguaient autour d'un verre entre amis. Bonne nouvelle, les marques seront toujours là dans cent ans ! Finalement, en 2105, le monde de la consommation sera plus simple qu'en 2005. La complexité est, peut-être, le plus grand échec des marques qui étaient censées “nous” simplifier la vie et qui, à force de segmentation et de sur-segmentation, crispent les consommateurs et les font se réfugier vers les “no name”. Heureusement, en 2105, les marketeurs seront redevenus sages !

Des mythes et des marques

Vaincre la misère : La Croix-Rouge. Devant la montée de l'exigence humanitaire, les jeunes experts sont sûrs de la pérennité de cette “vieille dame” qui, malgré quelques scandales, continue d'être présente sur tous les fronts. Les catastrophes sont nombreuses et les peuples le supportent de plus en plus mal. Les ONG ont de beaux jours devant elles et l'une d'entre elles s'imposera devant le maquis et la confusion. Vaincre la laideur : L'oréal. Par sa compétence technique et sa recherche, la marque leader mondial sera le champion de la beauté devant tous ses concurrents, qui se seront détruits à rechercher trop la spécificité, et devant la plupart des marques inconnues aujourd'hui, pour maintenir la beauté des femmes et des hommes du XXIIe siècle. Vaincre l'angoisse : Pampers. Selon les experts, la marque développera encore son approche technique et pratique de l'enfance et sera présente sur tous les aspects qui touchent à l'enfance et au besoin de régressif. Elle sera le “coach” anti-angoisse des jeunes mamans et des pères de plus en plus nombreux à élever seuls leur enfant. Vaincre l'espace : Airbus. Aucune marque automobile ne passera le siècle. Seuls l'avion, l'hélicoptère et la fusée seront à disposition et Airbus se présentera à la fois comme “fabricant d'avions, d'autos, de bateaux” et pourvoyeurs de solutions de transports à l'échelle mondiale. Vaincre la vieillesse : Quicksilver. Symbole de la glisse, la marque a su passer la théorie générationnelle de marques de mode pour s'affirmer comme le moteur d'une nouvelle approche, durable, technique et “up to date” en termes esthétique. Il est vrai que la marque en est à sa deuxième génération d'aficionados toujours aussi “addicts”. Vaincre le temps : Microsoft. La bataille d'experts a fait rage autour de cette marque. Certains voyaient Google, d'autres Apple. Mais la puissance financière de la marque de Bill Gates devrait lui permettre de capter à son compte la “convergence numérique” et de racheter ou de développer les “bonnes idées” en temps voulu. Vaincre l'anonymat : Chanel. De toutes les marques de luxe, seule Chanel aujourd'hui présente pourra s'affirmer comme le symbole de l'excellence. Plus de quatre-vingt-dix ans après sa création, le parfum N° 5 resterait le plus vendu au monde. Un mythe qui perdure ! D'autres marques d'Orient, d'Extrême-Orient, d'Afrique prendront le relais de “nos” marques européennes et particulièrement françaises.

Par Georges Lewi, spécialiste des marques, enseignant Celsa/HEC, directeur du BEC-institute.

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