[Tribune] La gamification, un axe de création de valeur tout au long du parcours client
Quel est le point commun entre les licornes Tinder, Duolingo et Waze ? Ce sont des expériences qui engagent des millions d'utilisateurs grâce aux mécanismes de jeu : la gamification. Décryptage des analystes Gabrielle Peyrelongue et Maxime Brun chez Fabernovel.
Je m'abonneLa gamification est l'art de reprendre des éléments de jeu dans un contexte qui n'est pas lié au divertissement. Tout au long d'un parcours client par exemple : patienter dans la file d'attente, renseigner ses données, échanger son produit défectueux sont des moments nécessaires dans la vie d'une marque toutefois désagréables d'un point de vue client. Derrière tous ces événements se cachent autant d'opportunités pour les marques de rendre leur parcours client ludique.
Les marques ont très vite intégré les mécanismes de jeu dans le développement de nouveaux produits et services mais se limitent souvent aux systèmes de points ou de badges accordés aux utilisateurs. En réalité, la gamification est bien plus complexe. Plusieurs niveaux sont possibles. D'abord, le design narratif est l'élément le plus simple à mettre en place. Avec des mots, un ton, un look and feel, il est possible de rendre ludique un moment du parcours utilisateurs comme le fait Bagelstein, l'enseigne de bagels qui essaime de l'humour sur tous ses supports (menus, site internet, boutique...). Il est possible aussi d'aller dans un niveau de gamification plus avancé en créant un univers entier autour de la marque où le play (le fait de jouer) et le game (l'ensemble des mécaniques d'un dispositif de jeu) se mêlent.
Le choix de mettre en place un système de gamification dépend toujours de son objectif : améliorer sa visibilité auprès des prospects, accroître l'engagement de ses clients, améliorer l'expérience d'achat ou renforcer leur loyauté... Ces objectifs correspondent à des moments du parcours client qui s'y prêtent davantage. C'est à partir d'un objectif précis et d'un moment du parcours client, que les réflexions sur le système de gamification commencent.
Gamifier l'expérience afin d'atténuer les points de friction
Kenzo, la marque de prêt à porter de luxe, a décidé de faire face à la frustration des clients lors des ventes en séries limitées. Un moment clé où sa cible jeune et connectée, bataille indirectement pour obtenir les nouveaux produits. Les plus déçus d'entre-eux n'hésitaient pas en effet à le faire savoir sur les réseaux sociaux en interpellant la marque. Kenzo a ainsi lancé en 2018 sa "Shopping league", invitant les internautes à s'affronter via des mini-jeux en ligne pour attraper et acheter des pièces exclusives lors de ventes express. Ce dispositif a rassemblé 20 000 joueurs en 24h et créé un engouement fort autour de la nouvelle Sonic Sneakers Kenzo. Une centaine de Sonic Sneakers ont été vendues en quelques heures, soit 6 fois plus que leurs précédentes ventes en ligne privées. Rien n'a été laissé au hasard. Ce jeu d'action a été volontairement choisi en fonction de la typologie de la cible, de son état émotionnel et du moment du parcours. Cette opération est un véritable succès à plusieurs niveaux : accentuation de la différenciation de la marque, proximité client, impact sur le chiffre d'affaires et bien évidemment atténuation de ce fameux point de friction du parcours.
Renforcer son image via l'utilisation de mécaniques de jeu
Pour tester les connaissances des adultes en matière de légumes, Intermarché a "piégé" ses clients en ligne avec des captchas (ces tests automatiques pour différencier un utilisateur humain d'un ordinateur en lui demandant d'identifier des images de voitures ou de maisons) à base de légumes. Les gens seraient-ils capables de reconnaître le fenouil ? Les résultats de cette enquête sont loin d'être encourageants puisque 95% des personnes piégées ne savaient pas reconnaître une blette, 63% du fenouil et 94% du salsifis. A l'inverse, si les clients réussissaient le test, ils bénéficiaient d'une réduction de 10 % sur leur prochaine commande de fruits et légumes grâce à leur carte de fidélité. Dans les deux cas, cette démarche de gamification renforce l'approche pédagogique fidèle à l'ADN de l'enseigne et de ses campagnes précédentes autour du mieux consommer. Elle compte d'ailleurs développer cette mécanique de jeu pédagogique directement en magasin pour aider les consommateurs à choisir les bons légumes dans les rayons.
La gamification comme moyen de favoriser les passerelles entre services
Les géants du numérique s'y mettent également. Amazon se sert de la gamification pour créer des ponts au sein de son écosystème de services numériques. Pour continuer à attirer des abonnés, Amazon Prime Vidéo parie sur ses productions originales et transforme leur sortie en événements immersifs. Pour la sortie de la saison 2 de Jack Ryan, la plateforme a associé son émission de télévision à sa puissante plateforme e-commerce. Les téléspectateurs pouvaient ainsi prendre une capture d'écran d'un objet d'une scène de la série, la publier sur Twitter pour avoir une chance de gagner celui-ci sur la plateforme e-commerce. Premier arrivé, premier servi. Un vrai engouement pour cet évènement éphémère avec 30 millions d'impressions sur les réseaux sociaux en 24 heures et plus de 160% de vues de l'émission.
Ces exemples, parmi tant d'autres, soulignent l'impact d'une expérience de gamification bien pensée grâce à une connaissance fine de sa cible et de ses habitudes de consommation au-delà des systèmes de points traditionnels. Le jeu reste un terrain d'expression infinie pour les marques. Des partenariats inattendus et des initiatives des marques s'invitent même au coeur de jeux vidéo existants : Louis Vuitton créant des vêtements virtuels pour les avatars du jeu Fortnite, Porsche qui opte pour la promotion de la voiture électrique Porsche 99X en direct dans un jeu vidéo et fait participer la communauté Twitch (plateforme streaming) en ligne, la marque Gémo avec un défilé dans animal crossing...
En plus de rendre leurs expériences actuelles plus ludiques, ces entreprises s'insèrent dans l'univers du jeu vidéo pour partir à la conquête des 2,7 milliards de joueurs dans le monde !
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Les auteurs
Maxime, Senior Analyste chez Fabernovel, s'intéresse aux problématiques stratégiques d'innovation, de la conception à l'exécution. Il est co-auteur de différentes études autour du jeu et aide les entreprises à concevoir des dispositifs de gamification au sein de l'expérience client.
Gabrielle Peyrelongue, Senior Analyste, Fabernovel. Diplômée de l'ESSEC, Gabrielle a rejoint Fabernovel en 2018 en tant qu'analyste. Elle a travaillé au sein des équipes Fabernovel à Paris et à San Francisco, se concentrant sur des projets liés à la stratégie d'innovation et aux nouveaux modèles de valorisation basés sur des critères extra-financiers.