[Tribune] C'était comment, les enquêtes, il y a 20 ans ? (et comment ce sera dans 20 ans ?)
A l'occasion du vingtième anniversaire de son institut marketing Init, Christian Barbaray revient, de façon très personnelle, sur les enquêtes des temps passé, présent et futur.
Je m'abonneEn 1995, la plupart des enquêtes marketing étaient réalisées en postal ou en face à face, le téléphone commençait à se développer et internet n'existait pas.
Des enquêtes postales ? Oui, je sais, en 2015 cela vous fait sourire, mais je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ....
En face à face, le recrutement se faisait dans la rue, à domicile, en porte à porte. Les digicodes n'existaient presque pas, à part dans les beaux quartiers, et on pouvait monter dans tous les étages pour chercher des personnes acceptant de répondre à des questionnaires non rémunérés. Hé oui, les gens acceptaient de nous recevoir durant 30 minutes chez eux pour répondre à des questionnaires gratuitement. Un autre temps vous dis-je !
La gestion des quotas en face à face était un exercice délicat et il fallait toute la conscience professionnelle des enquêteurs pour trouver les derniers répondants les plus difficiles à recruter (un étudiant et un retraité - et ça ne peut pas être le même !)
On parlait peu d'enquêtes "clients" et beaucoup plus d'enquêtes produits, packaging, innovation, potentiel de zone de chalandise. On n'était pas encore obsédé par le service et par la fidélisation des clients, on était en pleine période de conquête.
Un client insatisfait qui nous avait quittés était remplacé par 5 nouveaux clients, séduits par le discours de M. Jacques Séguéla et de ses comparses.
Un monde qui change...
On a assisté, en 20 ans, à la "presque" disparition des enquêtes en face à face, condamnées par les digicodes, l'emploi du temps des individus, le caractère très aléatoire des échantillons et leur coût relativement onéreux face aux nouveaux modes d'enquêtes.
La grande distribution était un client important des enquêtes en face à face, la sortie du magasin étant le seul endroit ou une enseigne pouvait écouter ses clients. Ce besoin de face à face a été remplacé par l'émergence des clubs clients et des cartes de fidélité. La possession de fichiers clients permet, en effet, la réalisation d'enquêtes clients plus rapides et plus économiques (en allant vers le mode postal ou le téléphone, avant le basculement sur internet).
Ces deux médias d'enquête (le postal et le face à face) ont été remplacés par le téléphone dans un premier temps, entre 1995 et 2005.
Les enquêtes par téléphone ont connu les mêmes arguments et les mêmes difficultés qu'à l'arrivée d'internet quelques années plus tard...
Les " vieux " instituts, les plus respectables, critiquaient le mode téléphonique pour tous ses défauts scientifiques supposés : pas représentatif de la population française, tout le monde n'a pas le téléphone, tout le monde ne répond pas, etc.
Bref, il fallait bien défendre les investissements réalisés dans des structures de terrains en face à face. Ces débats ont alimenté un combat d'arrière-garde durant quelques années, avant que les " anciens " ne se dotent des plus beaux plateaux d'enquêtes téléphoniques, de France dans un premier temps, et en offshore rapidement après.
Les anciens apprennent vite et ont les moyens de s'adapter en permanence, c'est pour ça que ce sont des anciens...
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Après le téléphone, internet est arrivé, avec les mêmes débats déontologiques et les mêmes arguments que ceux émis contre le téléphone. Quelques instituts innovants on fait bouger les lignes, des start-up ont montré que c'était viable et qu'il y avait un vrai marché.
En 2015, tout le monde réalise des enquêtes via le Web (en push ou pull) et le débat sur la qualité et la représentativité des échantillons a été remplacé par la qualité du feed-back client : écouter et réagir et devenu aussi important que " mesurer ".
En l'espace de 10 ou 15 ans, nous avons assisté à la montée en puissance des enquêtes "on line" auprès de tous types d'enquêtes, en BtoC comme en BtoB, des enquêtes sur "échantillon à froid", comme des études "sur évènement à chaud".
L'augmentation de la volumétrie des données clients rendues accessible via le Web et internet (push, pull, veille, réseaux sociaux) et l'émergence du "Big Data" qui en découle.
En 1995, une étude auprès de 1 000 personnes était un " bel échantillon ". Aujourd'hui, si vous n'avez pas 10 000 répondants, certains "data scientists" ne s'intéressent pas à votre étude !
Et demain ?
Je suis curieux d'imaginer ce que seront les enquêtes marketing dans 20 ans : en 2035 ?
- Google aura-t-il tout rendu prédictif avant même que nous l'exprimions, avec sa puissance de capitalisation de nos comportements sur le Web ?
- Les objets connectés nous suivront, partout et tout le temps, et rendront nos parcours d'achats et nos modes de vie transparents pour les marketeurs ?
- Les lunettes Occulus donneront le plein sens au mot " expérience immergée ", où nos émotions et nos attitudes sont analysées en direct ?
- Le neuro-marketing aura développé et rendu accessible des équipements bureautiques nous permettant de faire des analyses en live, in situ ou à distance ?
- Le gaming et le big data s'associeront pour nous proposer des expériences amusantes dont nous ne connaîtrons pas les objectifs (c'est déjà un peu le cas...)
- Le développement de logiciels libres nous aura permis de retourner la tendance Marketing classique et de faire du VRM (Vendor Relation Management), ou est-ce le client qui est maître de ses données de consommation et qui en gère l'usage payant ?
Vous me direz, hein, comment ça sera en 2035 ?
L'auteur : Christian Barbaray est un spécialiste des mesures et statistiques. Il fonde, il y a 20 ans, son propre institut, Init, qu'il dirige toujours, consacré aux études marketing de la satisfaction et fidélité client. Son blog Sat&Fid est une mine d'informations sur le sujet.
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