[Tribune] Du design thinking au brand design thinking
Voici une nouvelle approche de l'innovation, qui replace le design au centre du processus créatif.
Je m'abonneDes avancées récentes ont enfin permis de balayer quelques clichés bien français sur le design, trop longtemps considéré comme la discipline de "celui qui choisit la couleur de la moquette". Or, le design a également trait à la créativité et à la formation des idées. Il est désormais reconnu comme une formidable force d'innovation et de transformation au service des entreprises, des institutions ou des services publics...
Ces avancées sont notamment portées par le "design thinking". Plus qu'une méthodologie, la "pensée design" est une sorte de bréviaire commun de la manière dont les entreprises innovent aujourd'hui. Apparu dans la deuxième moitié des années deux mille, il trouve son inspiration originelle dans les business models de la nouvelle économie de la Silicon Valley.
L'apport principal du "design thinking" à l'innovation est la remise de l'humain au centre des préoccupations du designer. L'humain devient ainsi l'un des trois piliers fondateurs de toute démarche d'innovation (aux côtés de la faisabilité technologique et de la viabilité en termes de business). À cet apport s'ajoutent un certain nombre de principes féconds : favoriser la pluridisciplinarité, procéder de manière itérative, prototyper, tester avec les consommateurs...
Construire un véritable système de représentation
Le "design thinking" reste cependant une discipline issue du design industriel et du design objet. Il se méfie parfois trop des opinions et des imaginaires et leur préfère les faits et l'observation. C'est oublier que l'être humain n'est pas entièrement rationnel. Observer un comportement est certes riche d'enseignements pratiques, mais ne permet pas toujours d'en saisir le sens profond.
C'est le rôle de la marque - souvent la grande absente des processus de "design thinking" - que de donner ce sens et cette direction. Au-delà des usages et des comportements, la marque s'appuie sur les valeurs, les émotions et les imaginaires des individus pour construire un territoire culturel fort. Cette culture de marque suscite la confiance du consommateur, stimule son désir d'identification, et donne à la marque - ainsi qu'à l'acte de consommation lui-même - sa pertinence.
Ainsi, lorsque la marque Pulco cherche à se donner un nouvel élan ("La vie à la fresh"), elle le trouve dans son territoire d'origine : la paresse, et dans les imaginaires consommateurs associés. Ces aspects priment sur les qualités objectives du produit et de son mode de consommation (frais, désaltérant, facile à préparer, etc.). De la même manière, s'intéresser aux consommateurs de McDonald's nécessite, au-delà du prisme étroit des usages et pratiques de la restauration rapide, de savoir prendre en compte le caractère iconique de cette marque et tout ce qui la différencie de ses nombreux concurrents.
Un nouveau champ d'investigation s'ouvre donc à ceux qui sauront appliquer la pensée design aux marques, afin de concevoir non plus seulement de nouveaux objets ou services, mais aussi des univers de marques dans leur globalité et ce, de manière durable. Appelons ce nouveau champ "brand design thinking". Une approche qui nécessite l'émergence d'une nouvelle génération de spécialistes de l'innovation, formés aussi bien à la rigueur des études marketing qu'aux enjeux de marque, sans oublier la créativité, longtemps considérée comme l'apanage des seuls designers...
Marc-André Allard : directeur général DR Innovation (groupe Dragon Rouge), il est directeur général de DR Innovation, agence du groupe Dragon Rouge spécialisée dans la recherche d'insights et la créativité au service des stratégies de marques et d'innovation.