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Quand les marques se distinguent par l'absurde

Miser sur le loufoque demande du courage. Mais le pari peut se révéler payant quand on doit faire face à une forte concurrence avec un faible budget communication.

Publié par Clément Fages le - mis à jour à
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Quand les marques se distinguent par l'absurde

"C 'est en faisant n'importe quoi qu'on devient n'importe qui." Sans s'aventurer dans le décryptage de la pensée de Rémi Gaillard ni supposer qu'il est une source d'inspiration récurrente en publicité, force est de constater que les dispositifs de communication décalés, jouant sur l'absurde et le loufoque sont désormais légion. Du film de 24 heures totalement lunaire du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) aux Facebook Live organisés par Lustucru avec ses maniques (mi-marionnettes, mi-gants de cuisine), en passant par les tubes du Speedy Summer Mix, les marques font un pas de côté pour surprendre et marquer les esprits. "Pour une agence, réussir à vendre un concept décalé, loufoque ou "What the fuck" (WTF) est assez difficile. Cela demande un véritable lâcher-prise et beaucoup de courage de la part de l'annonceur. Pourtant, certaines marques se sont emparées de ce territoire depuis des années, comme les bonbons Skittles ou la marque américaine de produits d'hygiène Old Spice", explique Fanny Camus-Tournier, planneuse stratégique chez Buzzman, qui cite les spots pour les produits laitiers Panda comme un premier exemple de campagnes totalement décalées.


L'absurde pour se démarquer

Grâce à la saga "XXXX the rainbow, Taste the rainbow" , commencée en 2009 et dont l'illustration la plus connue en France est celle d'un rasta en train de traire une girafe, Skittles s'est démarqué sur un marché hyperconcurrentiel. "Quand vous allez dans un rayon confiserie en supermarché, il y a des kilomètres de marques et de produits colorés qui ne se distinguent pas les uns des autres. Grâce à son univers digital et ses campagnes TV absurdes, Skittles a réussi à se démarquer dans sa catégorie", analyse Mehdi Benali, directeur chez Sidlee, l'agence qui a réalisé la campagne Milk Moments du CNIEL: "Le lait est dans la même situation. C'est un produit générique, blanc, qui, seul, n'attire pas l'attention. Les communications des marques tournent autour des bénéfices fonctionnels pour la croissance. Mais ça ne parle plus aux jeunes qui en consomment de moins en moins. Il faut donner un traitement publicitaire supplémentaire pour générer l'intérêt." D'où un film qui se rapproche d'une performance artistique, où une actrice est filmée pendant 24 heures en train de consommer du lait.

Un format à des années-lumière des spots publicitaires TV rejetés par la cible et qui invite au contraire cette dernière à se laisser surprendre et à vivre une expérience. "Nous nous sommes inspirés du film de Pharrell Williams pour son titre "Happy". Nous savons que personne ne va regarder l'ensemble des 24 spots d'une heure. Les internautes vont seulement venir chercher quelques minutes de divertissement et passer un bon moment avec la marque."

Une solution pour les petits budgets marketing

"L'absurde est idéal pour se démarquer de la concurrence, mais c'est aussi un moyen d'être impactant à moindres frais. Je pense par exemple aux campagnes des cinémas indépendants argentins FilmSuez ou du centre d'art contemporain Banff", évoque Fanny Camus-Tournier. Totalement déroutantes, ces campagnes ont obtenu un large succès sur les réseaux sociaux. "L'absurde n'est pas nouveau en publicité, mais c'est l'amplification que l'on peut désormais obtenir grâce au digital qui explique son succès", constate la planneuse stratégique. Les 24 heures du lait de Milk Moments répondent à cette logique. C'est autant l'originalité que le coût réduit du dispositif par rapport à un spot normal qui a fait pencher la balance, selon Dominique Poisson, la responsable publicité du CNIEL. "Même tourné sur un fond vert, un contenu peut avoir du succès dès lors qu'il est drôle. En ligne, les jeunes sont habitués à consommer des contenus où le fond prime sur la forme", avance Mehdi Benali, citant les succès des vidéastes sur YouTube ou Facebook qui engrangent des millions de vues depuis leur chambre.


Une incarnation de la web culture

"Le WTF est ancré dans la culture pop que l'on retrouve partout sur Internet et touche donc particulièrement bien les millennials. Ces contenus sont de vrais ovnis mais s'inscrivent dans la logique de partage de médias comme Buzzfeed, Konbini ou Vice. Le Web a développé une nouvelle typologie de contenus, avec une part importante de contenus générés par l'utilisateur, sans moyens. Les campagnes absurdes ne sont que l'incarnation publicitaire de ces tendances", affirme Fanny Camus-Tournier. Il en va par exemple ainsi des publicités Sosh, qui reprennent la tradition des détournements de vidéos popularisés en ligne par Mozinor et initiés par La Classe américaine, le premier film de Michel Hazanavicius. L'absurde permet à une marque de se détacher du carcan imposé par son image ou son ADN, pour s'en créer une nouvelle, basée sur les codes et la culture internet propres à sa cible. Pour Fanny Camus-Tournier, "la signature du film du Banff, "Things you can't unthink", pourrait servir de "mandatory" à tous ceux qui veulent faire du WTF: oser ce qui n'a jamais été. Mieux que le "never-DONE-before" , c'est le "never-DARED-before"." Mais attention: à tous faire n'importe quoi, on devient bel et bien n'importe qui, sans pouvoir se distinguer les uns des autres.

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