[Enquête] Green commerce : les retailers en pleine réinvention
Poussés par les attentes des clients, leurs engagements RSE et des réglementations environnementales de plus en plus contraignantes, les retailers se mobilisent pour un commerce plus responsable, tant sur la construction de l'offre que la manière de la promouvoir.
Annoncé mi-juillet en pleine canicule, le plan de sobriété énergétique « inédit » que les plus grandes enseignes du retail alimentaire appliqueront de concert à partir du 15 octobre est symbolique de la capacité du secteur à affronter les crises et à s'engager dans des comportements responsables. Lutter contre la hausse conjoncturelle du prix de l'électricité engendrera à nul doute de nouveaux réflexes chez les enseignes, dans la lignée des solutions déjà à l'oeuvre pour réduire leur consommation énergétique de 40 % d'ici à 2030, comme le stipule la Loi ELAN. La fermeture des meubles des rayons frais, engagée depuis dix ans, est aujourd'hui courante.
La distribution alimentaire lutte de longue date contre le gaspillage avec des dons d'invendus aux associations, des promotions sur les produits à date courte, des paniers zéro gaspi... Depuis 2018, grâce aux partenariats avec Too Good To Go, 4 millions de paniers repas ont échappé au gaspillage dans les enseignes du groupe Casino et 5 millions chez Carrefour, qui sauve aussi 3 millions d'oeufs par an en vendant en vrac à prix réduit les rescapés de boîtes devenues impropres à la vente... « Au début, le public hésitait à aller vers ces produits. Aujourd'hui, le consommateur y voit une opportunité de faire des économies et de consommer des produits nouveaux pour diversifier son alimentation ou cuisiner différemment », observe Bertrand Swiderski, directeur RSE de Carrefour.
Soucieux de l'impact de leur consommation, 72 % des Français ont modifié leurs habitudes, selon le baromètre 2021 de la consommation responsable de Greenflex. L'an dernier, les ventes de produits alimentaires bio ont baissé de 0,5 % - une première en huit ans - mais plus de neuf personnes sur dix ont consommé des produits bio et même tous les jours pour 15 %, note l'Agence bio. Ces consommateurs plus exigeants et les évolutions législatives transforment l'offre et le métier du retail. Proposer certains fruits et légumes sans barquette ou emballage plastique, comme le stipule la loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (AGEC), n'est pas sans conséquence. Dans des emballages carton, ces produits sont moins visibles pour le client. En vrac, ils se conservent moins longtemps, obligeant à mettre en place des circuits d'approvisionnement plus courts et plus fréquents...
Développement du vrac, retour de la consigne
Pertinent pour réduire les emballages et ajuster plus finement sa consommation, le vrac amène les retailers à redoubler de vigilance sur les conditions d'hygiène des produits et du rayon. Il est pourtant attendu des consommateurs qui, selon YouGov, sont 43 % à acheter des produits non emballés au moins une fois par mois. 63 % aimeraient trouver en vrac les grandes marques qu'ils achètent habituellement emballées. Beaucoup rechignent à s'y engager, le vrac ne permettant pas de déployer pleinement leur image et leurs arguments marketing. Dans le dispositif imaginé par l'agence de Shopper Marketing Globe lors du lancement de la bière pression à emporter Gallia d'Heineken chez Monoprix, des ambassadeurs expliquaient la démarche, relayaient les valeurs de la marque et assistaient les clients sur le nouveau rituel de service.
Le système de vrac lancé par Carrefour fin juin 2022 (voir encadré) réconcilie visibilité et engagement. L'enseigne encourage aussi ses clients à adopter la consigne, qui fait peu à peu son retour malgré d'importants coûts de transport. Elle au coeur de la stratégie zéro déchet de Biocoop, qui veut atteindre 50 % de produits vendus sans emballage à usage unique, en emballages rechargeables ou réemployables en 2025. La loi AGEC a fixé un objectif de 5 % de consigne pour réemploi en 2023 de 10 % en 2027.
Seconde main, pas seconde zone
L'économie circulaire gagne du terrain dans le commerce physique et en ligne. Auchan, qui a vendu 530 000 pièces de seconde main via son partenaire Patatam (devenu Rediv), a installé en mai 2022 dans une enseigne du Pas-de-Calais, un premier « shop in shop » seconde main avec Easy Cash, spécialiste de l'achat-vente de produits d'occasion et reconditionnés. Les vêtements Cyrillus arborent une étiquette spécifique incitant à recycler le produit en boutique ou à le revendre sur le site Seconde histoire de la marque. Kiabi hybride depuis trois ans son modèle entre produits de première et seconde main, proposés via des corners ou dans des parties de rayons en magasin et sur son site multimarques Seconde main by Kiabi, avec à la clé un bon d'achat bonifié.
« Les clients pratiquent cette hybridation entre le neuf et l'occasion. Nous facilitons la vie des familles et incitons d'ailleurs les vendeuses à construire des mini-assortiments pour correspondre aux attentes de gens qui ont les mêmes goûts », explique Estelle Urbain, Leader Commerce de demain de l'enseigne. Pas question pour autant d'en faire une offre de seconde zone ! « C'est une proposition complémentaire avec des produits de qualité et un même niveau de service que la première main pour le remboursement ou l'échange », précise-t-elle. Fin 2022, Kiabi aura implanté 120 corners seconde main et souhaite que tous ses magasins en bénéficient en 2023, d'autant que les premiers résultats sont satisfaisants. L'enseigne a fédéré une communauté de 200 000 membres sur sa plateforme et vise 3 M€ de chiffre d'affaires en France sur ses corners. Elle s'intéresse à d'autres nouveaux modes de consommation, comme la location de vêtements, pourtant pas très évidente sur ses produits. « Un test sur des vêtements de maternité a atteint une forte satisfaction », note toutefois Estelle Urbain.
Les prospectus à l'ère du « Oui Pub »
Le volet marketing est aussi en pleine transformation, atteste Jérémy Dahan, président de Globe Groupe : « Certaines marques sont devenues très attentives sur le sourcing de leurs moyens de communication. Nous les encourageons à développer l'expérience en point de vente en étant soucieux du matériel utilisé ». Par exemple avec les « Podiums Globe », des stands loués, réutilisables et recustomisables sur mesure grâce à des stickers aimantés. « Il y a cinq ans, chaque stand passait à la benne quand l'animation était finie. Là, on ne jette que la surface supérieure. La marque communique à 100 % avec un produit à 90 % réutilisable », détaille-t-il.
Côté supports publicitaires, le prospectus papier est clairement en ligne de mire. Si plusieurs enseignes ont réduit leur distribution, la bascule vers le numérique doit être maniée avec précaution, l'empreinte mémorielle étant plus fragile sur le digital. « Tous les tests sur l'arrêt du catalogue ont montré une baisse immédiate du chiffre d'affaires », rappelle Rodolphe Bonnasse, Pdg d'Aristid, spécialiste de la transformation digitale de la communication retail. Un client qui passe près de deux minutes à feuilleter un prospectus papier de 12 à 48 pages consacrera le même temps à un catalogue digital, mais s'arrêtera à la 7e page. « Il ne verra pas les offres de rayons à forte attractivité et qui pèsent très lourd dans le panier. Pourtant, selon Nielsen, un consommateur qui active les promotions commerciales gagne en moyenne 141 € par an et jusqu'à 253 € pour les plus affûtés », note-t-il. Un argument de poids quand le pouvoir d'achat redevient central ! Carrefour a arrêté le prospectus non sollicité mais l'envoie par courrier à domicile ou en version digitale par SMS ou sur WhatsApp aux clients qui en font la demande, les catalogues restant disponibles en magasin.
Du 1er septembre 2022 à juin 2025, le dispositif Oui Pub prévu par la loi Climat et Résilience sera expérimenté dans 15 communes ou intercommunalités volontaires, représentant 3,6 % de la population et 2,5 millions de boîtes aux lettres. Pour les acteurs de la distribution directe comme pour les retailers, ce test avec un autocollant qui désigne les boîtes acceptant les prospectus, est un grand saut dans l'inconnu : « Sur les zones où les collectivités jouent le jeu pour présenter les dispositifs, comme Nancy Métropole, nous rassurons les enseignes. Nous avons aussi notre part du travail à faire », reconnaît Cécile Aligon Dardé, Dga Transformation, Développement Durable et Communication de Mediapost. La filiale du Groupe La Poste, dont 316 collaborateurs sont directement impactés, a distribué fin août un dépliant avec un autocollant pour rappeler les avantages du prospectus. « Aux Pays-Bas, qui ont mis en place un système un peu plus complexe en 2018, le taux d'adoption est de 15 % à Amsterdam, 35 % dans les villes moyennes et 45 à 50 % en zone rurale. Pour atteindre ces niveaux, tout se joue dans les premières semaines », estime-t-elle.
Le sort du ticket de caisse, appelé à disparaître par défaut à compter de 2023, pourrait être plus disputé. Plus systématique mais encore proposé, il reste apprécié en hypermarché pour vérifier les courses, mais moins demandé en supermarché pour des achats de dépannage. Les associations de défense des consommateurs sont fermement opposées à sa disparition par défaut. Avant de l'enterrer, les enseignes gagneraient sans doute à rationaliser la longueur du ticket pour allier satisfaction client et geste écologique.
Bertrand Swiderski, directeur RSE de Carrefour
Il y a deux ans, Carrefour a constaté que le nombre de clients se tournant vers ses offres de vrac cessait d'augmenter. « Passer un nouveau cap nécessitait de réinventer l'expérience du vrac, d'identifier et de gommer les irritants », note Bertrand Swiderski, son directeur RSE. Un concours de meilleures idées a permis de mettre en oeuvre une nouvelle solution expérimentée depuis juin 2022 dans les magasins de Montesson et Voisins-le-Bretonneux avec des boites en carton de produits connectées au vrac et recyclées une fois vides. Trois principaux irritants ont été ciblés : le prix avec des produits jusqu'à 20 % moins chers, le choix en s'appuyant uniquement sur les grandes marques nationales (Michel et Augustin, Dr. Oetker, Taureau Ailé, M&M's..) et la praticité, le client pouvant venir avec son propre contenant, faire sa tare, bénéficier d'un QR Code pour la traçabilité des produits... « Dans ce système, les marques sont très visibles. Le vrac est complémentaire des produits emballés, installé dans le même rayon. Il est aussi rentable qu'un rayon traditionnel, puisque la performance se mesure à l'aune du rayon complet », poursuit-il. L'emballage réutilisable et consigné est une autre piste proposée depuis un an dans 20 magasins d'Ile-de-France avec la start-up Loop. Parmi les références, plusieurs marques de Nestlé (Ricoré, Nesquik, Chocapic Bio...), proposées en boîtes de métal, ou encore Nutella, Coca-Cola, Evian... « En un an, nos trois meilleurs clients, des Superhéros de la consigne', ont rapporté respectivement 462, 443 et 127 emballages consignés dans le cadre du projet Loop », se félicite-t-il.
À SAVOIR
La loi Climat et Résilience (2019) impose aux magasins de plus de 400 m² de dédier, d'ici 2030, 20 % de la surface de vente des produits de grande consommation à des produits présentés sans emballage primaire. La loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (2020) fixe un objectif de 20 % de réduction des emballages plastiques à usage unique d'ici fin 2025, dont au moins la moitié par recours au réemploi et à la réutilisation.
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