[Enquête] A quoi ressemblera le directeur marketing du futur ?
Les nouveaux défis de la direction marketing tournent autour de l'innovation. Pour les relever, elle doit maîtriser la technologie, les datas, la dimension internationale et, donc, intégrer de nouvelles fonctions, de nouveaux profils, apprendre à manager autrement. La solution ? Miser sur la transversalité des métiers.
Un chef d'orchestre agile
Le directeur marketing doit rattraper le temps perdu et entamer ou achever sa mue cross canal. L'organisation en silos a assez vécu. "À défaut de pouvoir piloter l'ensemble des dispositifs on et off line, le directeur marketing doit échanger avec les membres du comité de direction pour digitaliser l'organisation, avec la DSI et le digital et trouver des profils polyvalents, capables d'exploiter les datas", recommande Philippe le Meau, directeur général d'ADLP Digital, spécialisé dans le conseil en transformation digitale des entreprises et en marketing client. Or, constate l'expert, l'état d'avancement des mutations internes est lié à la maturité de chaque entreprise.
"L'organisation en silos a assez vécu"
"Nous observons encore de nombreux freins sur le terrain, chaque direction défendant son pré carré", ajoute-t-il. En effet, la transversalité n'est pas encore suffisamment installée pour que le directeur marketing puisse acquérir une vision panoramique de la situation, dont il aurait pourtant bien besoin pour tenir le cap. Cette transversalité suppose de fonctionner en mode agile. "Trois éléments majeurs ont bouleversé les métiers du marketing : la puissance des outils, l'agilité et une approche managériale de cocréation", résume Carole Detalle, directrice marketing EMEA de Bain & Company. Avec la fin des silos s'annonce aussi la fin d'un management vertical. Le directeur marketing se forme, forme ses équipes, travaille en mode collaboratif, soutient la cocréation, réunit des talents sur des projets ponctuels, etc.
Un manager international
"Think global, act local." Avec la mondialisation, les stratégies marketing sont devenues globales, et déclinées localement en fonction des us et coutumes. Anne-Claire Bennevault, fraîchement nommée responsable marketing monde de Vestiaire Collective, préfère le terme de "glocalisation" pour évoquer la dimension internationale de sa fonction. Celle qui chapeaute la direction marketing du groupe à Paris, en charge de la stratégie ainsi que les différentes équipes "pays" déployées en Allemagne, aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni, explique "mettre en cohérence la stratégie en fonction des spécificités culturelles des pays".
Avec la mondialisation, les stratégies marketing sont devenues globales
Elle estime avoir à jouer, avant tout, un rôle de coordination. "Soit je me déplace, soit j'invite les responsables marketing des différents pays à des réunions au siège, car il est aussi important qu'ils échangent entre eux", précise-t-elle. Le management international nécessite une capacité d'écoute et d'adaptation élevée. "Je dois centraliser et hiérarchiser les besoins identifiés en local, décider tout en intégrant les remontées pour que les équipes s'approprient les projets", ajoute Anne-Claire Bennevault. Cliquez ici pour continuer la lecture sur la page suivante.
L'EXPERT: Kara Livingston, directrice marketing groupe de Keolis (groupe SNCF)
Rattachée au directeur exécutif marketing, innovation et services de Keolis, Laurent Kocher, Kara Livingston, 40 ans, a pris ses fonctions le 5 janvier, avec pour mission principale de consolider la satisfaction client. "Je travaille avec la direction digitale sur les parcours clients pour les fluidifier, y intégrer des services innovants". Très international, son poste consiste aussi à animer l'équipe de directeurs marketing des filiales.
Afin d'anticiper les besoins des passagers, Kara Livingston vient de créer un pôle mobilité de demain, chargé d'étudier les nouvelles composantes des offres. Pour elle, marketing produit et marketing client sont liés: "Si l'offre de base ne correspond pas aux besoins, il est vain de renforcer le marketing direct. Le digital nous donne un accès renforcé à nos clients. Le marketing direct n'est plus le parent pauvre du marketing, il en est, au contraire, l'axe central".
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Un business partner
Business first: tel est, plus que jamais, l'axe central de la feuille de route des directions marketing. Cherchant à resserrer les liens entre le marketing et son marché, Whirlpool vient de se réorganiser. Exit les anciennes divisions marketing, correspondant à des territoires (la France était précédemment rattachée à l'Italie, à l'Espagne et à la Grèce) et éloignées des réalités commerciales du terrain.
En janvier, Sandrine Maguin a été nommée directrice marketing et communication France de la marque d'électroménager avec, sous sa houlette, la division marketing produit, la division marque et la communication, service digital compris. "Notre stratégie traduit notre volonté d'accélérer la conversion sur nos produits, explique Sandrine Maguin. Pour réussir, nous devons rester attentifs aux changements qui s'opèrent sous nos yeux, être locaux, visionnaires et réalistes". Un réalisme illustré par une collaboration étroite avec la direction commerciale. En début d'année, le tandem a reçu les distributeurs, histoire de faire passer un message commun autour de la marque.
Les partenariats ne se nouent pas seulement en interne. Le directeur marketing se rapproche d'autres marques pour s'adresser à sa cible. Ce rôle n'est pas nouveau, mais il se développe (campagne cobrandée, événementiel partagé, etc.). Coutumière de ce genre de partenariat (notamment avec Procter & Gamble), la marque Whirlpool a organisé, en 2014, une opération en coopération avec l'Atelier des Chefs pour montrer, en cuisine, la qualité de ses tables de cuisson aux consommateurs. La preuve par l'expérience ! "Avec, à la clé, un ROI réellement prouvé", affirme Sandrine Maguin.
Un véritable directeur marketing digital
"Aujourd'hui, dans les recrutements, le savoir-faire digital constitue le Graal", observe Martin Villelongue, directeur chez Michael Page, en charge des fonctions commerciales et marketing. D'où le succès des executive masters intégrant la dimension digitale et permettant aux dirigeants de monter en compétence. En effet, la corde numérique manque souvent à leur arc.
"Le digital est partie prenante de l'ensemble de la communication de la marque, du SAV, des techniciens, il est présent à chaque étape de la chaîne de valeur", commente Ludovic Simion, qui cumule les fonctions de directeur marketing et communication chez Somfy France. Il manage deux pôles, l'un dédié à l'offre et à la gestion des gammes et l'autre à la communication. Une équipe digitale se charge de l'expression de la marque, via le site grand public ainsi que la plateforme B to B, et une autre, des réseaux sociaux.
Face aux mutations du secteur digital, le manager demeure vigilant: "L'un des enjeux consiste à comprendre quelles nouvelles compétences il convient d'intégrer ou de développer par la formation et quels savoirs on peut se contenter d'acquérir par l'externalisation". Chez Somfy, par exemple, un poste de community manager a été créé en 2014. Cliquez ici pour continuer la lecture sur la page suivante.
L'INTERVIEW: Anne-Marie Gaultier, vice-présidente marketing et communication de Bally
Quel regard portez-vous sur votre fonction ?
Le management de l'équipe marketing n'est plus vertical mais horizontal. C'est plus chaotique - d'où l'importance d'une bonne coordination en interne - mais passionnant. Pour résumer, je fonctionne en mode start-up !
On le sait, les directions marketing doivent se réorganiser. Quels conseils leur donneriez-vous ?
Les métiers, autrefois organisés en silos, se croisent désormais. Chez nous, la personne qui s'occupe des médias travaille avec la publicité et le brand content, car nous produisons de plus en plus de contenus avec les médias.
Quels nouveaux métiers prennent de l'importance au sein des directions marketing ?
Le directeur des partenariats devient indispensable car les échanges de base de données et les campagnes cobrandées se multiplient, avec les médias comme avec les autres marques. Aux nombreuses fonctions liées au digital s'ajoutent les professions liées à l'influence de la marque (voir notre article sur les fonctions émergentes): relations publics, relations presse, community management... C'est une nouvelle fonction qui se dessine.
Quels nouveaux profils avez-vous intégrés récemment ?
La business intelligence revient fortement, avec l'analyse des marchés et la connaissance clients. Dans mon équipe, le responsable marketing stratégique gère l'intelligence marché. Il s'agit d'un collaborateur de 24 ans, sorti de Yale et de la London School of Economics, qui sait analyser les chiffres et les remettre dans un contexte marketing. Il est à la fois intéressé par les finances et le marketing.
À quoi ressemble votre quotidien, aujourd'hui ?
Je fais beaucoup de coordination pour chapeauter un dispositif marketing à 360°. Il s'agit de s'assurer que tous les membres de l'équipe disposent du même niveau d'information et mutualisent les contenus afin de tenir le même discours.
Je voyage beaucoup, puisque j'ai une casquette internationale. À cette occasion, je rencontre de nombreux partenaires, dans des secteurs différents, la presse du monde entier pour les présentations de campagnes, les organisateurs d'événements comme ceux des Oscars, puisque la marque est présente lors de la cérémonie, des directeurs marketing d'autres marques pour établir des partenariats.
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Un leader au salaire stable
Pour ne rien arranger, cette digitalisation à marche forcée s'opère dans un contexte de tension économique forte. Ainsi, la plupart des directeurs marketing ont vu leur salaire stagner ou faiblement progresser en 20141. "Sur l'ensemble des fonctions de top management, la tendance est la même : plus le niveau de poste est élevé, plus faible a été l'évolution de la rémunération. Pour les top managers, cette dernière a même, parfois, régressé", commente Éric Gandibleu, président de Maesina.
Un phénomène lié, de toute évidence, aux mauvais résultats des entreprises à l'international, avec de moindres performances dans des territoires qui leur apportaient jusqu'ici une bouffée d'oxygène. "La rémunération des directeurs marketing semble se stabiliser depuis plusieurs années", confirme, de son côté, Yassine Bentayeb, consultant senior vente et marketing chez Hays. Il observe, en outre, une forte érosion de la mobilité.
En ce qui concerne les secteurs d'activité, celui des produits de grande consommation demeure le plus "généreux" du point de vue salarial. La part variable qui, en France, dépasse rarement 20 % - Maesina l'estime à 18,2 %, en moyenne, pour 2014 - est indexée sur des critères quantitatifs et qualitatifs définis selon le secteur d'activité, les missions opérationnelles confiées, etc.
De leur côté, les directeurs digitaux bénéficient, depuis plusieurs années, d'une inflation salariale (+ 6,5 % entre 2013 et 2014, selon Maesina-Aon Hewitt), mais avec des niveaux qui restent encore très éloignés de ceux des membres des comités de direction.
L'INTERVIEW: Tomasz Obloj, professeur assistant au département stratégie et politique d'entreprises d'HEC Paris
Que représente la part variable dans la rémunération d'un directeur marketing ?
Dans les pays anglo-saxons, la part variable des rémunérations est importante. Un peu moins en France. La majorité des marketeurs y perçoit une rémunération variable de 10 à 25 %.
Quels critères d'indexation utilise-t-on généralement ?
Plusieurs critères entrent dans le calcul, trois ou quatre en règle générale, avec des indices absolus, comme la contribution au business, l'efficacité du message (qu'il est possible de mesurer sur une cible spécifique et à l'aide d'indices relatifs) ou la comparaison avec les actions des concurrents.
Le variable produit-il toujours l'effet escompté ?
Les indices fondés sur la performance sont assez puissants. Toutefois, il faut s'assurer qu'ils ne produisent pas d'effets pervers. Par exemple, il est important de vérifier que l'effort ne se limite pas aux objectifs pris en compte dans le système de calcul du variable.
Quelles solutions préconisez-vous pour améliorer l'efficacité de la rémunération ?
Les solutions sont toujours adaptées au contexte. Si certaines missions importantes sont difficiles à mesurer, il est habituellement efficace de baisser la puissance du système d'incitation pour que l'effort soit mieux réparti entre les missions difficiles à mesurer et les autres. L'exercice est complexe au niveau des fonctions de direction car les incitations sont plus fortes. Chaque entreprise doit analyser son modèle d'optimisation et placer le curseur là où la part du variable est la plus efficace (entre 5 et 50 % de la rémunération, dans la majorité des cas).
Une autre bonne pratique consiste à faire évoluer le système d'incitation tous les ans ou tous les deux ans. C'est coûteux, difficile, mais dynamisant. Enfin, une troisième piste, encore plus puissante, consiste à jouer avec les frontières organisationnelles et à transférer une partie des budgets vers l'extérieur, en faisant appel à des agences ou des freelances. La diversité des systèmes peut s'avérer très efficace.
(1)+1,7% contre +5% en 2013, selon la 44e édition de l'étude "Salaires marketing ventes communication" de Maesina International Search réalisée avec Aon Hewitt.
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