[Tribune] Mbappé, l'échec d'une communication de crise précipitée
Florian Silnicki, expert en communication de crise et auteur de l'ouvrage "La com de crise : Une entreprise ne devrait pas dire ça !", livre les quatre erreurs de la gestion de crise de "l'affaire Mbappé".
Kylian Mbappé, l'un des plus grands talents du football mondial, est également une figure médiatique dont chaque geste, chaque parole, est minutieusement scruté. Mais en communication de crise, la maîtrise des mots est aussi cruciale que celle du ballon sur le terrain. Or, à la lumière des récentes accusations portées à son encontre, il est clair que son équipe - ou lui-même - a manqué plusieurs moments décisifs. Retour sur une gestion de crise qui semble avoir échappé à son contrôle.
1. Envoyer son avocate au front, sans élément : une précipitation fatale
Premier faux-pas, et peut-être le plus révélateur d'une gestion de crise mal anticipée : Kylian Mbappé a envoyé son avocate ouvrir le JT de 20 heures pour défendre son cas, alors même qu'aucune plainte n'avait été officiellement déposée. Un geste qui a semé la confusion dans l'esprit du grand public. Cette avocate, réputée, envoyée par l'agence de communication de Mbappé pour saturer l'espace médiatique, ne pouvait pas contribuer à protéger l'image de son client, pour une raison simple: elle n'avait rien à dire, aucun élément concret à présenter au public pour la Défense de son client. Elle se retrouve en plateau à commenter une "rumeur" dans une affaire non encore judiciarisée.
Leçon n°1 : En communication de crise, le timing est aussi important que le message. En se précipitant, l'équipe de Mbappé a non seulement attiré l'attention sur l'affaire, mais a aussi donné l'impression qu'elle était en terrain glissant.
2. Dénoncer un complot avant d'avoir les faits : le piège du déni
Autre erreur fondamentale : la dénonciation hâtive d'un "complot". Jouer la carte de la conspiration est une stratégie à double tranchant. Si cette approche peut parfois résonner auprès d'un public de "fans", elle expose aussi à de sévères retours de bâton si les faits viennent prouver le contraire.
Leçon n°2 : Accuser l'autre camp, les médias ou des "ennemis invisibles" sans avoir des preuves tangibles peut rapidement se retourner contre soi. En communication de crise, il faut toujours s'assurer d'avoir une défense qui repose sur des fondements concrets et solides avant de passer à l'offensive. Jouer la carte de la victime trop tôt expose à un discrédit profond, surtout lorsque la situation évolue défavorablement.
3. Contester pour admettre plus tard : la dissonance fatale
Peut-être l'erreur la plus dommageable dans ce dossier : la contradiction entre une première ligne de défense - le déni total - et l'admission ultérieure d'une "relation consentie". Cette dissonance renforce l'idée que la stratégie de crise n'était pas maîtrisée, et que la communication n'était pas alignée sur la réalité des faits. Le public, qui accorde de plus en plus d'importance à la transparence et à la cohérence, a été témoin d'une volte-face qui laisse des traces.
Leçon n°3 : En gestion de crise, la cohérence du discours est essentielle. Contester les faits, puis revenir sur sa version initiale, crée un sentiment d'insincérité. Pour protéger une réputation, il vaut mieux admettre rapidement les faits, en les contextualisant, que de maintenir une posture de déni jusqu'à l'inévitable reconnaissance.
4. La précipitation médiatique : l'ennemie de la clarté
L'un des travers les plus fréquents, et que l'on observe ici, est la précipitation à occuper l'espace médiatique. Dans ce type d'affaire, la pression est immense, mais il est fondamental de résister à la tentation de parler trop tôt. Dans le cas de Mbappé, on a vu une succession de déclarations mal synchronisées, éparpillées, souvent démenties ou ajustées après coup. Cette cacophonie a contribué à entretenir la confusion et à miner sa crédibilité.
Leçon n°4 : En communication de crise, le silence contrôlé vaut mieux qu'un brouhaha mal orchestré. Mieux vaut ne pas répondre immédiatement, mais avec une déclaration forte, unifiée, et claire, plutôt que de multiplier les interventions sans réelle stratégie de fond.
Une réputation sous pression
Cette affaire montre que sur le terrain de la communication, Kylian Mbappé n'est pas exempt d'erreurs. Pour un homme public de son envergure, maîtriser la gestion des crises est devenu aussi crucial que de maîtriser son jeu. Dans un monde où l'opinion se forge à une vitesse fulgurante et où chaque déclaration est disséquée, il est impératif d'adopter une stratégie de communication de crise réfléchie, cohérente et transparente.
Une communication de crise efficace repose sur trois piliers : la transparence, le timing, et la cohérence. Or, dans cette affaire, chacun de ces aspects a été sacrifié au nom de la précipitation et du déni. Espérons que les leçons seront retenues. Comme sur un terrain de football, les fautes sont inévitables, mais c'est la capacité à s'ajuster rapidement qui fait la différence.
L'auteur : Florian Silnicki, président-fondateur de l'agence LaFrenchCom et auteur du livre La com de crise : Une entreprise ne devrait pas dire ça !, publié chez Bréal.
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