L'influence virtuelle, bouleversement en vue ou épiphénomène dans l'univers du social media ?
Si l'influence est devenue en quelques années un levier marketing des plus puissants, l'influence virtuelle fait, elle, peu à peu place dans la stratégie des marques. Une tribune signée par Florian Rakotonarivo, Social Media Manager chez ESV.
Je m'abonneÉviter les dérapages, les bad buzz, contrôler les éléments de langage... Elle affiche en effet bien des avantages. D'autant plus que les influenceurs fictifs comptent parfois des millions d'abonnés pour les plus suivis. Si le marché explose en Asie, l'Europe est encore en retard mais pourrait bien être rattrapée par l'engouement que suscitent ces personnalités à part. Les influenceurs virtuels détrôneront-ils les réels ? Décryptage d'un phénomène qui séduit autant qu'il intrigue.
Un storytelling bien ficelé
Les influenceurs virtuels sont des personnages fictifs qui n'existent pas dans la réalité, mais sur les réseaux sociaux ou la Toile. À l'instar des influenceurs réels, ils ont été conçus à travers un storytelling les caractérisant en présentant leurs loisirs, leurs avis... dans l'objectif d'incarner une personnalité à part entière capable de travailler avec les marques. Physiquement, ils ressemblent à des avatars en 3D, animés par des logiciels puissants. Ils suscitent la fascination des générations digitalisées et sont parfois suivis par des millions d'abonnés.
C'est le cas de Lil Miquela, première influenceuse virtuelle apparue en 2016. Conçue par un logiciel d'imagerie 3D de l'entreprise Brud, elle ne comptabilise aujourd'hui pas loin de 3 millions d'abonnés sur Instagram.
Comment expliquer ce succès ? Lil Miquela séduit sa communauté grâce à son quotidien d'influenceuse : une vie à Los Angeles, une jeune femme "woke" qui poste sur Instagram ses voyages ou ses journées entre copines, mais qui met aussi en valeur ses engagements citoyens, soutenant des causes politiques comme le mouvement #BlackLivesMatter. Elle correspond à l'archétype des femmes de la génération Z. Ses abonnés se sentent concernés par ses posts, ses actions, son engagement... Le storytelling, un des secrets de l'influence, est bien travaillé.
La séduisante possibilité de (presque) tout contrôler
Face à l'émergence de l'influence, les marques se sont tournées vers des créateurs de contenus, devenus pour certains de vrais ambassadeurs. Derrière, les objectifs de notoriété ou de business sont très importants. Et la prise de risque majeure en cas d'erreur sur le contenu publié, de visuels peu adaptés, ou encore si survient un problème d'image ou un dérapage pouvant nuire à la marque.
Citons en exemple Lacoste, qui a mis un terme à ses collaborations avec les rappeurs Roméo Elvis et Moha La Squale, ces derniers étant accusés d'agression sexuelle pour l'un, doublé de séquestration et de violences pour l'autre. Collaborer avec un influenceur virtuel permet au contraire de contrôler le personnage et ses publications tout en "l'utilisant" 24h/24, 7j/7.
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Si ce système n'en est qu'à ses prémices, l'industrie de la mode ou encore du luxe a déjà compris les avantages de travailler avec ces nouveaux ambassadeurs qui vont devenir les représentants de la marque : pas de contraintes humaines, un insight auprès de la génération Z très fort et des personnalités contrôlables à 100 %. Gucci, Prada,... ont elles-mêmes créé leurs propres influenceurs virtuels.
imma.gram, suivie par plus de 400 000 abonnés sur Instagram, affiche régulièrement ses collaborations avec Dior, Nike, Valentino, Fendi... D'autres secteurs se sont lancés sans être forcément, à première vue, les plus "digital-friendly". C'est le cas de Renault qui en 2019 dévoile Liv, son "ambassadrice virtuelle" lancée pour mettre en avant le nouveau modèle de Renault Kadjar à travers l'image d'une femme moderne et aventurière.
Si l'expérience de Renault a surpris le public, parfois, le virtuel peut aussi déboucher sur un flop retentissant. En 2022, FN Meka devenait le premier rappeur virtuel signé en label chez Capitol Records (Universal Music). Il devient vite un phénomène musical, notamment aux États-Unis. Avec 10 millions d'abonnés sur TikTok, Capitol Records fait le buzz avec ce premier pas dans le monde virtuel. Sauf qu'à peine 10 jours après son lancement, le label de musique rompt le contrat avec FN Meka pour cause de contenus véhiculant des stéréotypes racistes... Comme quoi, même les personnages virtuels peuvent causer des problèmes...
Un taux d'engagement trois fois supérieur
La recette pour avoir son influenceur virtuel n'est pas simple, mais elle a un dénominateur commun : celui d'un storytelling qui fait rêver et qui se rapproche de celui d'influenceurs réels que l'on voit à la télévision ou sur les réseaux sociaux... Le top 5 des influenceurs virtuels dépasse le million d'abonnés sur les réseaux sociaux. Lil Miquela est rémunérée 6 550 livres sterling par post. Elle pourrait gagner jusqu'à plusieurs millions par an selon une étude réalisée par le site de marketplace OnBuy. Une somme juteuse qui revient à l'agence qui gère le compte.
Dans un univers bouleversé par le metaverse et le Web 3.0, l'influence virtuelle aura-t-elle sa place dans ce futur du monde virtuel ? C'est la question fatidique que se posent les marques et les agences.
Avec un marché pesant 4,6 milliards de dollars, l'influence virtuelle va poursuivre sa croissance de 26 % d'ici 2025 selon l'agence d'influence Bold Creators Club. Et l'engouement ne cesse d'augmenter : 58 % des utilisateurs de réseaux sociaux suivent au moins un influenceur virtuel d'après une étude d'Influencer Marketing Factory.
Et le développement de l'Intelligence Artificielle va permettre de créer des individus virtuels encore plus efficaces et authentiques. Les metaverses sont les lieux parfaits pour l'utilisation d'avatars virtuels entièrement créés par les marques.
Les contraintes sont moins nombreuses pour l'influence sur les réseaux sociaux. Il n'y a ni cadre législatif, ni contrainte de temps ou de fatigue publicitaire...
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Même si, en France, des nouvelles lois vont être mises en place sur le marché de l'influence, le vrai danger de l'utilisation de ces partenaires reste enfin le même que dans l'influence réelle : le risque qu'une part importante de ces influenceurs virtuels deviennent des "serial brand influenceurs" (des influenceurs qui ne partagent que des collaborations de marque) ou des influenceurs non-éthiques, favorisant ainsi la mauvaise réputation de cette pratique ?
L'auteur de la tribune :
Florian Rakotonarivo, Social Media Manager chez ESV.