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[Marketing 2020] Digital : l'évolution plus que la révolution
Les CMO français maîtrisent les fondamentaux du marketing, mais restent frileux en matière de digitalisation et d'innovation : tel est le constat dressé par l'étude Marketing 2020 France. Deux membres du "CMO board" et Pierre-Jean Bozo, de l'UDA, dressent un état des lieux de leur maturité digitale.
Quels sont les atouts et les points de vigilance de la fonction marketing, en France ?
Pierre-Jean Bozo, directeur général de l'Union des annonceurs (UDA) : Comme le montre l'étude M2020, qui analyse le positionnement des fonctions marketing, en France, par rapport aux résultats mondiaux, et aux entreprises superformantes, ces derniers possèdent une très bonne maîtrise des fondamentaux techniques - outils et process - et sont très opérationnels, mais manque de hauteur de vue. Le consommateur n'est pas au centre des stratégies - un tiers des marketeurs oublient le client -, et les entreprises françaises ont tendance à rechercher des solutions éprouvées, plutôt que d'innover. Les CMO français sont moins ouverts aux idées nouvelles et plus frileux dans leur implémentation que leurs homologues d'autres pays.
Quels défis doivent-ils relever pour "se mettre à niveau" ?
P-J. B : Comme le mentionnait l"étude dès 2013, ils doivent apprendre à juguler l'infobésité pour repérer les insights pertinents, à protéger les données clients et à faire face à la multiplication des points de contact. En parallèle, ils doivent mettre en oeuvre de profondes modifications internes : être davantage connectés tout en réduisant les budgets, qu'il s'agisse d'investissements ou de ressources humaines. Enfin, la fonction marketing doit s'imposer de nouveau comme LE partenaire stratégique de l'entreprise.
Céline Bouvier, directrice marketing de Coca-Cola : L'étude nous livre des éléments pour prendre du recul sur notre fonction et nous réinventer. Il nous appartient de nous remettre remettre en question : ne pas se renouveler est le plus grand danger qui guette les marques.
Les entreprises internationales ont la culture du chiffre. Est-ce aussi le cas des entreprises tricolores ?
Jérôme François, directeur général de la communication consommateurs de Nestlé France : En effet, l'étude le confirme nettement, nous assistons à la multiplication des tableaux de bord. Il ne faut pourtant pas que la fonction marketing se cache derrière les chiffres. 81 % des répondants de l'étude, et 97 % chez Nestlé, indiquent que les KPIs qu'ils suivent sont liés au business : c'est un peu excessif. Bien entendu, il est important de choisir les bons indicateurs et de les suivre, mais il faut aussi suivre son intuition.
Nous savons tous que l'exploitation des data est un enjeu capital, mais comment y parvenir dans le contexte d'infobésité que connaissent les CMO ?
P-J. B : Les données consommateurs sont en effet extrêmement dispersées et nombreuses. Chez l'annonceur, les directions marketing et les DSI possèdent leurs propres données, mais c'est également le cas des grands distributeurs. Demain, les marques parviendront-elles à partager leurs bases avec leurs partenaires ? Technologiquement, il existe des outils qui permettent de le faire tout en protégeant ce capital. Mais le principal frein est culturel : la France est en retard, par rapport à d'autres pays, en matière de segmentation et de ciblage.
Quelles bonnes pratiques peuvent être mises en place pour trier l'information et, du coup, exploiter efficacement les datas ?
P-J. B : Il faut recenser toutes les données en provenance des points de contact clients - qu'ils soient physiques, mobiles, ou numériques - qui témoignent de l'engagement des consommateurs. Puis, il convient de les analyser, de les structurer et de les rapprocher, en utilisant les techniques de traitement des "big data", comme des logiciels - un système de gestion de base de données NoSQL, par exemple - ou la mise en ouvre d"une Data Management Platform (DMP). Afin de trier le bon grain de l"ivraie, l"embauche d"un data analyst ou d"un chief data officer est fortement conseillé.
J. F : Le défi est aussi de gérer celle des données consommateurs. Avoir une base de données, notamment enrichie par le CRM, est aujourd"hui une véritable opportunité stratégique. Mais il est plus que jamais important de gérer cet actif. La première boussole dans le tri des données est de savoir si elles parlent du consommateur, si elles augmentent la "consumer centricity". C"est l"objectif des bonnes données. Les mauvaises données au contraire éloignent du consommateur.
Où en sont les directions marketing dans la révolution digitale ?
P-J. B : A partir de 2013, le monde du marketing a subi une transformation extrêmement rapide, imposant aux annonceurs de passer de stratégies publicitaires simples à des stratégie de communication complexes. Mais les organisations ne se sont pas transformées au même rythme. A l'exception des pure players Internet, pour qui la transformation digitale n'est pas un sujet, la plupart des marques cherchent encore comment accélérer la transition numérique vers le consommateur. Il n'y a pas de recette miracle. Chaque entreprise doit trouver sa solution, en fonction de sa culture et des besoins de ses clients.
Il ne faut pas avoir peur de se tromper, du moment que l'on sait tirer un enseignement de ses erreurs
J. F : La révolution digitale est notre quotidien et nous incite à plus d'agilité. Mon rôle est d'inciter mes collaborateurs à prendre des risques et à expérimenter de nouvelles choses. Il ne faut pas avoir peur de se tromper, du moment que l'on sait tirer un enseignement de ses erreurs. "Better done than perfect" : j'ai affiché cette citation de Facebook et qui résume bien notre philosophie, celle d'oser faire des erreurs, et de s'inspirer de nos partenaires digitaux pour apprendre à aller plus vite. Les équipes de vente et du marketing, notamment, doivent travailler ensemble, et il faut également de la transversalité entre les marques. Enfin, le reverse mentoring est au coeur du management : de jeunes recrues, "digital natives" peuvent être appelées au secours par des seniors parfois moins à l'aise avec les outils... Cela pousse à la confiance réciproque, car le digital ne fait pas tout.
C. B : C'est vrai, se donner le droit à l'erreur est fondamental. Chez Coca-Cola, nous sommes structurés sur le modèle 70:20:10, soit 70 % des ressources consacrées aux projets traditionnels, 20 % des moyens pour élargir des idées à l'état de test, et 10 % pour des tests purs, une prise de risques, donc. Nous avons été parmi les premiers à investir dans les réseaux sociaux qui sont au coeur de notre dispositif, à mettre en place une DMP et à faire du brand content et pourtant, nous sommes toujours en retard par rapport aux usages des consommateurs. La révolution digitale est une course : chaque jour qui passe nous rapproche du début d'une nouvelle phase technologique. Ainsi, je recherche des personnes qui ont une capacité à apprendre, c'est un élément fondamental. J'accorde également beaucoup de place à la pratique sur le terrain, afin d'accélérer le décloisonnement du digital. Ainsi, nous travaillons avec de nombreux prestataires digitaux, comme Facebook, Google ou Spotify, chez qui nous allons passer une journée par mois pour mieux comprendre leurs méthodes et renouveler les nôtres.
Quels sont les "secrets" des marques les plus performantes ?
P-J. B : Ils sont de trois ordres. Le premier correspond à un positionnement sociétal clair des marques, accepté par leurs clients et leurs salariés, qui crée donc une osmose entre l'interne et l'externe. Le deuxième facteur est la maîtrise de la data : il s'agit de ne pas rester sur des notions de marketing conceptuel, mais d'avoir des outils pensés et utilisés, par et pour les client, accessibles en un clic. C"est le "kiss", keep it smart and simple (garde cela élégant et simple) pour le client. À cela, s'ajoute une solide organisation, qui doit être pensée par la direction générale et les ressources humaines : il s'agit de restructurer le marketing pour répondre aux besoins des consommateurs, et être en osmose avec d'autres fonctions de l'entreprise, comme la DSI et la direction financière, essentielles pour développer des projets communs. En France, l'organisation est encore très statique, avec un silo digital très marqué, et les cycles de décision trop longs.
C. B : La marque doit apporter un bénéfice immédiat individuel et collectif, en terme de RSE, par exemple. Avoir une raison d'être pour le consommateur est capital, et cela nécessite de le comprendre pour savoir ce qu'il attend. Il faut donc accepter une conversation permanente avec lui, être en mesure de l'écouter... mais aussi de se remettre en cause.
J. F : Commencer par une vision inspirante qui aille jusqu'au consommateur, être stable dans ses fondamentaux et agile dans la façon dont nous les interprétons me paraissent en effet les facteurs clés.
Comment concilier le temps long - être visionnaire - et le temps court - être agile ?
P-J. B : En parallèle de la vision, qui s'exprime dans un temps long, il faut gagner en agilité. Pour ce faire, il s'agit de créer des groupes de projets éphémères réunissant différentes fonctions de l'entreprise (finances, DSI, RH), qui planchent pendant quelques semaines, sous la houlette d'un CMO, afin d'apporter une solution rapidement mise en oeuvre. C'est la théorie des groupes projets appliqués au marketing, dans un contexte de budgets restreints et éclatés entre plusieurs directions : il faut donc faire plus avec moins, c'est une conclusion très claire de notre étude.
J. F : Il ne faut pas choisir entre l'agilité et la vision, mais passer du temps sur les deux horizons. La perte de temps vient souvent d'un manque de clarté sur les outils et les prises de décision. Pour éviter cet écueil, la bonne pratique est de standardiser les outils, et de formaliser qui approuve quelle(s) décision(s).
Pour résumer, quels sont les grands enjeux de la fonction marketing à horizon 2020 ?
P-J. B : La fonction marketing devra avoir résolu le problème de traitement de la data, et ce même si les technologies évolueront toujours. En parallèle, les organisations doivent mettre fin aux "silos". Enfin, il appartient aux marques d'affirmer leur positionnement sociétal et d'engager leurs clients autour de leur raison d'être.
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