Foule sentimentale…
Consommateurs et marques traversent une crise de confiance depuis plusieurs années. Leurs relations se sont détériorées, phénomène amplifié lors du passage à l'euro. Les marques se doivent désormais de reconquérir le consommateur en instaurant un équilibre fondé sur de nouvelles bases.
Je m'abonne
Depuis le passage à l'euro, les consommateurs se plaignent d'une forte
augmentation des prix. On sait qu'il s'agit de surestimation. Mais, même
subjectif, le phénomène a un impact puissant sur la consommation. Des
hypothèses mécanistes ont été avancées pour expliquer l'ampleur et la
persistance de ce décalage. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi prendre en
compte un facteur relationnel : la crise de confiance entre les consommateurs
et les marques, née au milieu des années 90, et aggravée depuis, par le passage
à l'euro. Une partie de la surestimation subjective des prix est due à cette
méfiance maintenant installée. Que s'est-il passé ? Les conditions de la
concurrence apparues dans les années 90 ont obligé les marques à “optimiser
leurs relations” avec leurs clients. Ce qui s'est traduit par une diminution
des prestations relationnelles, que les politiques de CRM n'ont pas vraiment
compensées. Le contrat donnant-donnant (don/contre-don), sous-jacent à la
relation commerciale, a été déséquilibré sinon rompu. Les consommateurs ont lu
ces restrictions contraintes comme des actes délibérés, unilatéraux, égoïstes,
intéressés. Question de « ponctuation de la séquence », aurait dit Watzlawick.
Les clients des banques, par exemple, ont oublié en toute bonne foi que les
taux sur les prêts ont fortement baissé depuis dix ans sous l'effet de la
concurrence généralisée de l'offre. Ils n'ont pas gardé à l'esprit - et
d'ailleurs pourquoi le faudrait-il ? - que les banques ont par conséquent été
obligées de chercher ailleurs leurs marges. Face au montant croissant des taxes
sur leurs relevés, et face à la complexité de maniement de l'informatique, ils
ont conclu au coup de bonneteau. La sur-réaction qui a suivi a été à la mesure
de leur déception : infidélité systématique, attitude revendicatrice. De
grandes banques, dont l'économie était fondée depuis des lustres sur une part
massive de clients fidèles et impliqués, se sont vues déstabilisées par des
clients “prouvant” jusqu'à l'excès la vision glaçante de l'homme selon Adam
Smith : « individualiste, calculateur, rationnel, égoïste ».
Des attentes contradictoires ?
Mais comment, dès lors, interpréter le
fait que les mêmes clients individualistes, interrogés différemment, attendent
de leurs fournisseurs plus de proximité, d'humanisme, de solidarité, de
comportements éthiques, de développement durable ? Et surtout, comment passer à
côté de ces revendications lorsque l'on sait qu'elles pèsent, selon des mesures
convergentes, entre 20 et 30 % de la population française ? La tentation
serait bien sûr de conclure que tout cela ne va pas durer, ou même qu'il n'y a
rien de très nouveau. Nombreux sont ceux qui développent cette vision cynique
et désinvolte. C'est tentant. Mais c'est une erreur. Car la demande
individualiste de restitution et l'aspiration humaniste à l'introduction de
valeurs dans le commerce ne forment pas une contradiction. Elles sont au
contraire le témoignage d'une vraie cohérence : pourquoi serait-il
contradictoire de se venger d'une relation perçue comme inéquitable, et de
vouloir à l'avenir réinstaurer un équilibre fondé sur d'autres bases,
notamment éthiques ? Si l'on veut comprendre cette nouvelle complexité du
consommateur, il faut élargir la vision. Ne pas s'intéresser seulement au
présent, mais à l'Histoire. Pas seulement à la consommation, mais à la
politique. Si le sujet économique se prononce maintenant sur les marques selon
une logique de citoyen (ce qui est la grande nouveauté de l'époque), si la
consommation est, comme on le devine, en train de devenir un moment particulier
d'une pratique sociale globale dont elle n'est pas séparée, alors il faut
resituer les interrogations marketing dans le contexte qui leur donne sens : en
prenant en compte la façon dont le consommateur citoyen se perçoit dans le
monde contemporain, ce qu'il en redoute et ce qu'il en espère. Ceci devrait
nous conduire à des modifications sensibles dans nos façons de faire, tant au
niveau des techniques d'interrogation qu'à celui des raisonnements d'analyse
qualitatifs.