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Des outils au service d'un marketing d'anticipation

Dans un contexte où les mutations s'accélèrent, les entreprises sont de plus en plus à la recherche de moyens permettant de décrypter les prochaines tendances, les comportements à venir, l'évolution des mentalités. Les intervenants, comme les outils, se multiplient au fur et à mesure de la demande.

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«La prospective est assurément dans l'air du temps et intéresse de nombreuses grandes entreprises et institutions », écrivait Christian Stoffaës, directeur à la direction générale d'EDF, en introduction à l'ouvrage La prospective stratégique d'entreprise, paru en 1997 (1). En 2003, qu'en est-il de cette discipline, alors que le monde connaît des mutations économiques, sociétales, géopolitiques, technologiques, environnementales à répétition ? « On entend souvent dire que, puisque l'environnement est de plus en plus changeant et imprévisible, il faut privilégier la vitesse de réactivité et l'adaptation immédiate, remarque Eric Seulliet, directeur associé de l'Agence XXY. Et ce, d'autant que le poids accru des actionnaires et autres acteurs financiers se traduit par l'exigence de résultats à court terme. En dehors du court terme, point de salut ? Nous sommes convaincus du contraire ! Car, si face aux changements, une entreprise peut, sinon les subir, du moins s'efforcer de s'y adapter le mieux possible, n'est-il pas finalement préférable de tenter de les anticiper ou même de tenter de les orienter ? C'est cela qui lui permettra d'être libre et maîtresse de sa destinée. » Il s'agit donc de se comporter de manière anticipative ou, mieux encore, proactive. Il est vrai que, depuis quelques années, la demande d'outils de veille et prospective se fait davantage sentir, qu'il s'agisse d'interlocuteurs études et marketing traditionnels ou de commandites issues de fonctions plus directement impliquées dans le positionnement institutionnel et la stratégie de l'entreprise (direction générale, direction de la communication, marketing stratégique...). « On peut d'ailleurs considérer comme une évolution significative la création, dans de très grandes entreprises, de fonctions comparables à des "plannings stratégiques", commente Anne Panis-Lelong, directeur conseil chez Sofres Cardinal, qui sont des fonctions chargées de travailler à la stratégie de l'entreprise, de réfléchir aux développements et aux stratégies de marque en intégrant ces éléments de veille et de prospective. »

Les cellules veille et prospective se multiplient


Parmi les entreprises pionnières ayant créé des cellules veille et prospective, on peut citer L'Oréal, EDF, La Poste, la SNCF, la RATP, France Télécom. Plus récemment, PSA ou Décathlon, Nestlé, Danone, Camif, le Groupe Galeries Lafayette, ou encore Procter & Gamble, Nissan et Renault, pour ne citer qu'elles. Pourtant, par rapport aux enjeux, on peut s'étonner que ces initiatives ne soient pas plus nombreuses. « Il y a encore un gros travail à faire au niveau des entreprises qui n'ont pas encore compris l'importance de la prospective ni surtout de la transversalité », constate Solange Saint-Arroman, directrice associée de l'Agence XXY, qui développe tout un programme pour « aider les entreprises à réfléchir et avancer autrement ». « C'est vraiment une question de posture, souligne Brice Auckenthaler, directeur général d'eXperts. Il est essentiel qu'au plus haut sommet de l'entreprise, on soit ouvert aux tendances. » « Mais on est à la préhistoire de cette discipline, constate Patrick Degrave, directeur général unique de Sociovision. Il suffit de comparer les effectifs de ces cellules avec ceux des départements financiers. » Et Juergen Schwoerer, directeur de Sociovision, de poser la question : « Pourquoi le marketing n'est-il pas en charge de cette fonction ? » Les demandes en outils de prospective sont variables. Et les intervenants sur cette niche, qui se structure, sont nombreux, recouvrant des métiers variés. Ainsi, Dragon Rouge vient de créer Intuition, une filiale qui s'intéresse à la veille et à la prospective. Les annonceurs, mais aussi les grands acteurs institutionnels, les politiques, les états-majors d'entreprise ont besoin d'outils pour y voir plus clair, pour stimuler leur créativité et réduire le risque marketing. Les outils de veille et de prospective - car il n'y a pas de prospective sans veille, la prospective se nourrissant de la veille et se construisant à partir d'elle - permettent d'identifier les dynamiques en jeu dans le domaine qui concerne telle entreprise, mais également dans d'autres univers, proches ou lointains (les phénomènes de comparaison, de diffusion et d'hybridation intermarchés étant de plus en plus importants). La veille peut (doit) être alors technologique, sociétale, commerciale, concurrentielle, législative, géographique, géopolitique et le travail peut être fait en interne ou être externalisé et confié à des sociétés spécialisées dans la veille (XTC, Mintel, Marketing Intelligence, Cybion). Cybion justement, société spécialisée dans la veille stratégique sur Internet et la prospective, cofondée en 1996 par Carlo Revelli et Joël de Rosnay, met en place des cellules de veille dans les entreprises, organise des séminaires de formation à l'utilisation d'agents intelligents pour la recherche d'information et la veille sur Internet ou encore réalise des études prospectives pour les entreprises dont les sources sont le Web formel (Google, Yahoo,...), le Web informel (forums, chat rooms, sites créés par les internautes) et le Web invisible (celui qui n'est pas détecté par les moteurs de recherche, comme les bases de donnée...). « Les clients sont de plus en plus demandeurs de valeur ajoutée, c'est-à-dire de synthèse, d'analyse et de recommandations », constate Bertrand Heynard, directeur général de Cybion. « Pour être pleinement efficace, il est utile d'aller au-delà de la simple collecte de données et d'apporter une valeur ajoutée de réflexion et d'analyse », rappelle Daniel Bô, directeur général de QualiQuanti, qui réalise fréquemment des analyses sémiologiques d'observatoires français ou internationaux afin de tirer des leçons plus approfondies des expériences réalisées. Certaines entreprises réunissent une ou deux fois par an dans le cadre d'une "grand-messe" tout ou partie de leurs salariés pour que chacun s'imprègne de "l'air du temps" et y puise une information qui le concerne (produit, communication...). C'est ce que fait, par exemple, Martine Leherpeur à la Camif. Sociovision a créé, il y a trois ans, le "Club des Vigilants", animé par Marc Ullmann et qui réunit tous les mois ses membres pour parler de risque, d'avenir et d'anticipation. « Tous les mois, nous invitons un grand témoin qui vient exprimer son analyse et son appréciation sur un thème où entre un élément de risque », explique Patrick Degrave.

De la veille aux études socioculturelles


Les bureaux de style (Nelly Rodi, Peclers) publient tous les ans des cahiers de tendances qui décryptent l'évolution des phénomènes de société. Pour Danielle Rapoport, directrice de DRC, « l'outil "cahier de tendances" touche de plus en plus de domaines en dehors de la mode : l'habitat, la cosmétologie, l'alimentaire et, pourquoi pas, les services et les transports... Ces tendances ont été construites grâce à une capacité intuitive, un nez "renifleur" de signaux faibles. Mais, si ces approches ne sont pas couplées avec une bonne analyse socioculturelle, une bonne dose de créativité et un travail stratégique adapté aux spécificités des entreprises concernées, elles risqueront de n'être qu'une grille de lecture, rassurante pour certains, mais insuffisante parce que limitée à l'analyse de l'existant. » Allegoria a construit pour le groupe PSA un Prospective Lab spécifique. A partir d'un index de megatrends sélectionnés par PSA au cours d'une journée de séminaire commun Allegoria/PSA, a été élaboré un cahier des charges qui a abouti au Prospective Lab Auto. Il s'agit de l'analyse de contexte international avec mise à jour des thématiques clés à partir d'une veille sélective complétée par des interviews d'experts visionnaires (sociologues, artistes, plasticiens, designers, architectes, journalistes) et d'une analyse sémiologique. Le thème choisi a été "Les nouveaux signes de l'exclusivité". « L'intérêt est d'utiliser les concepts tout en les appliquant à l'aune du secteur concerné et en les croisant avec des évolutions sociétales de fond, poursuit Danielle Rapoport. Comment pourront, par exemple, se décliner, dans le secteur alimentaire, la "sensualité" - imaginaire hédoniste ou vitaliste - couplée avec l'exigence "santé", la tendance "esthétique" et l'exigence "convenience" due à la mobilité galopante. » DRC a mis en place des outils qui, couplés avec des partenariats pertinents, permettent de donner un apport différent aux entreprises. Il s'agit notamment d'observatoires permanents transversaux à l'univers de la consommation, qui donnent des grilles de lecture du contexte socioculturel depuis une dizaine d'années (l'euro, le temps, la femme, la confiance...), d'observations récurrentes du contexte, issues des terrains d'études qualitatives de DRC, « pour une écoute permanente des besoins des consommateurs dans différents secteurs, un thesaurus de l'ensemble de nos recherches, actualisé en permanence », du recours à un réseau d'experts pluridisciplinaires et d'une fertilisation permanente.

Pas de prospective sans veille socioculturelle


Pour anticiper sur de nouveaux phénomènes de consommation, le groupe Ipsos a choisi de croiser ses expertises et de se lancer dans l'étude prospective des tendances de consommation en France et dans le monde, et a créé une entité, Ipsos Observer, dont la mission est de développer de nouvelles études prospectives. Sofres Cardinal, cellule dédiée à la veille et au conseil dans le domaine de l'opinion de TNS Sofres, commercialisera "Odyssée" au premier trimestre 2003, une grande étude de référence qui permettra de dresser un diagnostic précis et mesurable des liens existants entre, d'un côté, les phénomènes d'opinion et de valeurs observés au niveau de la société française et de ses différentes populations, et de l'autre, les attitudes et comportements effectifs dans 10 grands univers de la vie courante. Mais pas de prospective sans veille socioculturelle - qui présente l'avantage de détecter et repérer les tendances lourdes de la société (trends not fads). Et là, on entre dans le domaine et l'expertise de sociétés comme Sociovision, Risc, Sigma... Les études socioculturelles permettent de comprendre la dynamique des transformations des marchés, des émergences possibles et apporte des germes de scénarios. Sociovision travaille à plusieurs niveaux : Weak Signal System, une veille screening permanente d'articles de presse, d'informations et d'endroits "où il se passe des choses", des études qualitatives centrées sur l'identification de type de moeurs et de segments de population qui vivent aujourd'hui ce que d'autres pourront vivre demain ; des moniteurs quantitatifs (TCS, 3SC, Glocal Consult), installés dans les principaux pays occidentaux et en Europe de l'Est, mais aussi en Amérique du Nord et du Sud, en Corée du Sud, au Japon et en Chine urbaine. Le tout fertilisé par les différentes missions ad hoc qui alimentent un "think tank" permanent. « L'entreprise est un organisme vivant qui s'adapte en fonction des stimuli. Plus elle est alertée de façon intelligente, plus elle a de chances d'y répondre avec pertinence. Notre rôle est de faire le tri dans cette diversité, puis d'extrapoler », conclut Patrick Degrave. (1) La prospective stratégique d'entreprise, par Jacques Lesourne et Christian Stoffaës, avec Arie de Geus, Michel Godet, Assaad-Emile Saab, Peter Schwartz. Dunod, 1997.

PSA : ébaucher le contexte pour faciliter la création


Composée de quatre personnes, Innovation & Prospective est une division de PSA créée il y a cinq ans et rattachée à la direction Stratégie Plan Produit du Groupe, qui dépend de la direction Produit Marketing Groupe. « Nous avons, en parallèle, une direction de 20 à 25 personnes Marketing Vie Courante, qui suit la satisfaction, les baromètres image, mais elle est plus dans le court terme », explique Charles Wassmer, responsable Innovation & Prospective. Le rôle de la division Innovation & Prospective est, par l'orientation de la réflexion et de la créativité, d'essayer de dessiner le contexte qui aidera les concepteurs du groupe à créer des produits. « Quand nous sommes en phase de construction d'un véhicule, le marketing apporte des informations plus classiques sur la clientèle et nous, des informations de contexte. C'est en se complétant que les informations s'enrichissent. » Les outils utilisés pour faire ce travail de contexte sont multiples. « Il ne s'agit plus de suivre seulement l'évolution des marchés, explique Françoise Benedetti, chargée de mission Innovation & Prospective, mais de structurer le marché à son profit à partir de la formulation d'hypothèses concernant l'évolution des attitudes et des besoins des consommateurs. » Car, comme l'indique Charles Wassmer, « il ne s'agit pas de vivre le marché, qui d'ailleurs pour le secteur automobile évolue très vite, mais de l'anticiper. Aucune étude de marché ne peut le faire, il convient donc de construire des hypothèses d'évolution pour y apporter des réponses automobiles. » Une méthodologie a été mise en place utilisant plusieurs outils. Il s'agit d'une veille technologique, d'une veille des modes de vie, d'une veille des usages. Mais aussi d'une veille socioculturelle utilisant les résultats de l'étude EuroCensor, de l'institut allemand Sigma, qui couvre les principaux pays européens, les Etats-Unis et le Japon. L'étude est achetée en club avec d'autres constructeurs, permet de travailler sur des critères communs et autorise une segmentation poussée. « Nous sommes très attentifs à trouver les outils qui viennent nourrir notre réflexion, quitte à faire des études exploratoires », note Françoise Benedetti. Parmi celles-ci, "La mobilité urbaine et ses implications en matière d'automobile" ou "L'observation des imaginaires." Allegoria a ainsi monté pour PSA un Prospective Lab spécifique, c'est-à-dire un outil d'observation des tendances au service de l'innovation sur le thème "Les nouveaux signes de l'exclusivité". Autre chantier auquel la division croit beaucoup : la segmentation générationnelle. Enfin, elle travaille avec des prospectivistes reconnus sur des scénarios. « Notre métier, souligne Charles Wassmer, consiste à récupérer l'information pour la mettre en perspective. »

Espace Expansion : construire une offre pérenne et en phase avec les évolutions


«Parce qu'Espace Expansion conçoit, construit et commercialise des centres commerciaux, le recours aux études prospectives s'inscrit dans une démarche évidente, estime Brigitte Amiot, directrice marketing. Un centre commercial est un investissement à long terme qui nécessite que l'on bâtisse une offre à la fois pérenne et en phase avec les évolutions de comportements et d'attitude des consommateurs. Pour cela, nous faisons de la veille sur l'offre (concurrence, enseignes, services, tendances de la consommation, en France et à l'international...) et nous suivons et analysons notre clientèle (profil, attentes, satisfaction...) pour adapter notre offre à la diversité et aux particularités des populations qui vivent dans la zone de chalandise. Nous faisons également de la veille socioculturelle, en partenariat avec Sociovision qui nous apporte une dimension plus prospective. Nous souscrivons au programme annuel 3SC que nous complétons avec des questions spécifiques. En effet, au-delà des tendances de consommation à court terme, nous avons besoin de nous inscrire dans une problématique d'évolution sociétale qui nous donne la toile de fond nécessaire à la conception de nos propositions. Parce que chaque centre commercial doit s'inscrire dans une dynamique locale, nous procédons à des études qualitatives prospectives auprès des clients de la zone, sélectionnés pour leur créativité. Nous aboutissons à la définition d'une proposition fondée sur des valeurs clés, issues à la fois des tendances de fond qui animent la société française et l'ancrage local. Nous procédons ainsi pour chaque nouveau projet de centre commercial. Il y a là tout un travail de conception, d'élaboration des valeurs, de validation et d'ajustement. La conception du nouveau centre de commerce et de loisirs Carré Senart, première expression de l'ensemble immobilier et paysager qui constituera le futur centre-ville de Sénart, a été ainsi fondée sur l'identification par nos différentes sources veille et études de six valeurs fortes (famille, écologie, convivialité, quiétude, modernité et praticité), qui ont trouvé leur expression dans tous les détails, depuis l'architecture jusqu'à l'ambiance, le parking végétalisé, les matériaux utilisés, le confort et les services, l'animation et, bien sûr, l'offre. »

Anika Michalowska

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