15-24 ans ou la génération médiatique
Adolescents, adulescents, jeunes adultes, quel que soit le nom qu'on leur donne, ils ont un point commun constant au fil des années qui s'écoulent entre 15 et 24 ans : leur sur-consommation médiatique. Mais cette boulimie est clairement orientée en fonction des tribus auxquelles ils appartiennent. Pour surfer sur cette vague porteuse, un écueil à éviter : ne pas tomber dans le jeunisme mais trouver le ton juste.
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Il en va des ados comme des seniors, ce sont deux catégories de population
dans lesquelles on entre de plus en plus tôt. Si cette tendance reste parfois
très discutable dans la vie quotidienne de chacun, c'est du moins une réalité
aux yeux des spécialistes du marketing. « L'adolescence s'étend aujourd'hui de
12 à 24 ans, une période prolongée dans le temps que l'on peut qualifier de
période de jeunesse-plaisir dans laquelle on est moins dans la réalité des
grandes choses engageantes et plus dans l'envie de profiter du quotidien »,
estime, par exemple, Pascale Lévêque, directrice d'études chez Interdeco.
Cristèle Pascal (Okapi)
: "Les 12-16 ans sont une cible clairement
oublièe du marché publicitaire".
Des pages et des pages ont été écrites sur cette sortie d'enfance précoce sans
qu'il soit besoin d'y revenir en détails ici. « La différence entre les
adolescents d'hier et ceux d'aujourd'hui réside dans une autonomie qu'ils
acquièrent beaucoup plus jeunes, notamment du fait du travail des mères, résume
Nadine Medjeber, directrice des études chez MPG Ressources. En termes de
médias, cela se traduit également par une nouvelle forme de consommation liée,
en grande partie, au multiéquipement dont ils disposent à titre personnel et
qui leur permet de coller à une offre média qui s'est considérablement enrichie
pour devenir pléthorique. » Génération de la communication avec un C majuscule,
les 12-24 ans zappent avec la même ardeur de la console de jeux, à
l'ordinateur, au petit comme au grand écran, en passant par la lecture de la
presse et ce, sans vraiment abandonner l'un pour l'autre. Comme le confirme
Pascale Lévêque, « il n'y a pas de cannibalisation entre les médias, tout se
cumule. Les adolescents regardent toujours autant la télévision, vont toujours
autant au cinéma et lisent autant de presse ». Selon l'étude Consojunior 2000
de TNS Sécodip, 91 % des 12-16 ans, par exemple, lisent au moins un titre de
presse magazine, hors la presse télévision qui reste avant tout familiale. Et
75 % aiment lire des magazines spécialement destinés à leur tranche d'âge.
UNE SPÉCIFICITÉ FÉMININE
« Pour les 12-16 ans, comme
pour les 15-24 ans, et même si on a l'impression d'énoncer une évidence, il
faut savoir que la première clé d'entrée est la vraie différence qui existe
entre les filles et les garçons en matière de consommation de presse, constate
Aline Moreau, directrice du département presse de MPG-Arena. Il y a en effet,
en France, une vraie culture de la presse féminine via un chaînage qui commence
très tôt. Côté garçons, il en va de même que pour les hommes : il n'y a pas de
vrais généralistes mais plus des titres déclinés par centres d'intérêt. » Cet
enchaînement de titres qui recrutent les filles dès leur première Barbie pour
les emmener jusqu'à la lecture de leur premier féminin s'est encore confirmé
ces derniers mois avec le lancement de magazines comme Lolie ou Muteen. «
Chaîner les titres est quelque chose que Milan Presse a toujours su faire,
commente Hervé Soleranski, directeur délégué du groupe toulousain. Pour Lolie,
nous sommes partis de la volonté de combler le vide qui nous semblait exister
sur le créneau des magazines éducatifs destinés aux 13-16 ans, des magazines
qui parlent un peu plus à leur tête qu'à leur nombril. » « Mi généraliste, mi
journal intime », d'après sa rédactrice en chef Odile Girard, Lolie affichait
en décembre, 4 mois après son lancement, les scores honorables de 80 000
exemplaires vendus et 20 000 abonnés. « La difficulté est de tenir ce lectorat
très fluctuant, qui dès 12 ans peut aussi bien lire Elle que Julie, analyse
Odile Girard. Il faut les fidéliser par de vrais sujets qui les concernent,
traités sérieusement car elles sont très exigeantes. » Pour Milan, la meilleure
solution consiste encore à les fidéliser au groupe, de Julie ciblé sur les 8-12
ans jusqu'à l'âge adulte. « On se pose effectivement la question de faire le
troisième, dit, en clin d'oeil, Hervé Soleranski, pour annoncer la mise en
gestation d'un magazine destiné cette fois aux jeunes filles de plus de 17 ans.
Avoir trois magazines qui recouvrent une diffusion sur 6 à 7 tranches d'âge
nous semble une bonne solution pour occuper un marché hyper segmenté. » Le
troisième en question devrait rejoindre la famille fin 2002.
Pascale Lévêque (Interdeco)
: "Il n'y a pas de cannibalisation entre les
médias, tout se cumule. Les adoslescents regardent toujours autant la
télévision, vont toujours autant au cinéma, et lisent autant de presse".
Avec Muteen, en revanche, les éditions Jalou remontent le temps dans le sens
inverse de Milan mais la démarche ressort du même objectif. Après Jalouse, "le
magazine de mode avant-gardiste" destiné aux 18-30 ans, Muteen a vu le jour en
septembre pour s'adresser à la tranche des 14-25 ans. « On est déjà pile poil
dans la cible, se félicite Catherine Nerson, rédactrice en chef du magazine.
Nous visions un coeur de cible de 15-20 ans et la moyenne des lettres que nous
recevons, qui émanent de filles de 17-18 ans, nous montre que nous l'avons
atteint. » Et d'ajouter, « on a mis tous les ingrédients pour que ça marche, de
l'actu, de la mode, de la beauté, beaucoup de témoignages pas bidonnés et un
comité éditorial de 6 à 10 filles de 15 à 22 ans qui interviennent à tous les
débriefings ». En décembre, Muteen revendiquait 100 000 exemplaires vendus.
Face aux Jeune et Jolie, Girls et autres Miss d'un côté et, de l'autre, à la
flopée de titres centrés sur les jeux vidéo, la glisse, le sport, voire la
musique, globalement plus "garçons", un titre comme Phosphore revendique haut
et fort sa mixité. Après avoir été pendant des années le magazine des années
lycées, il se positionne depuis trois ans comme le news des 15-24 ans. Un
changement de cap qui n'est d'ailleurs pas forcément bien connu des jeunes
comme des professionnels du domaine. « L'évolution de Phosphore échappe
effectivement encore trop aux agences de publicité et aux médiaplanneurs qui
ont connu l'ancien concept et en ont gardé une image mal adaptée à l'époque,
déclare Marie-Laure Boursat, directrice du marketing du mensuel. Vis-à-vis des
jeunes, nous avons une forte politique de prise en main dans les salons
étudiants, par exemple, pour les convaincre que le magazine a changé. » Fort de
ses 931 000 lecteurs ciblés, le mensuel généraliste peut toutefois se réjouir
d'avoir vu son audience progresser de 17 % sur les 18-20 ans, selon le dernier
AEPM. Il est, par ailleurs, le premier magazine en affinité sur les 15-24 ans
CSP AB, « la crème des ados », comme le note Pascale Lévêque. Des ados, qui
sont à la fois des sur-consommateurs et des influenceurs, selon les études
menées par Interdeco. « C'est un lectorat très réactif avec lequel le site
Phosphore, par exemple, fonctionne très bien. Si une publicité ne leur plaît
pas, je le sais très vite », s'exclame Sophie de Mendonça, directrice de la
publicité du mensuel.
JOUER LA CARTE TRIBALE
Mais
cerner l'offre presse faite aux ados ne doit pas se limiter à ces magazines
généralistes. Comme le relève Aline Moreau, « l'approche globale des 15-24 ans
est une sorte d'iceberg. 70 % de l'offre est, entre guillemets, "non
officielle" dans le sens où elle n'est pas contrôlée par les études médias
classiques. Si l'on prend l'AEPM, il n'y a pas plus d'une dizaine de titres qui
peuvent revendiquer plus de 60 % d'affinité avec eux ». Pour elle, le panorama
doit être élargi à cette myriade de titres composée de presse tendance, de
magazines de lieux, voire de consumer magazines comme ceux de McDonald's ou de
la Fnac, par exemple. « En termes de médiaplanning, cela demande d'être à
l'affût de ces titres qui naissent, s'arrêtent et repartent. » Une approche qui
est plus à la mesure de gros annonceurs type France Télécom ou Heineken, par
exemple, que des petits. Toucher les 12-16 ans, est encore une autre paire de
manches. « C'est une cible clairement oubliée du marché publicitaire, déplore
Cristèle Pascal, responsable commerciale d'Okapi, positionné comme "100 % ado",
et des titres dévolus à cette tranche d'âge, chez Interdeco. Les publicitaires
estiment qu'en communiquant dans les titres destinés aux plus âgés, il y aura
un phénomène d'aspiration. Or ce n'est qu'en partie vrai car cette population
ne se retrouve pas toujours dans cette presse là. » C'est d'ailleurs pour mieux
faire connaître ces 12-16 ans qu'Interdeco a créé en septembre 2000 l'offre
Mag'steen. Le package est composé de cinq titres, Okapi, Je Bouquine, Science
et Vie junior, Joypad et I Love English. « L'année 2001 a été un peu difficile
mais 2002 est de bon augure », précise Cristèle Pascal. « On touche mieux les
ados en ayant une stratégie plurimédia, estime Nadine Medjeber. Avant de se
lancer dans un média de statut, il faut mieux adopter une stratégie de média
identitaire pour créer un phénomène de bouche à oreille. Avoir plusieurs clés
d'entrée est peut-être plus cher mais plus efficace à terme. » Cette nécessaire
stratégie plurimédia fait bien évidemment une large place aux médias
audiovisuels. Côté radio, prime est donnée aux trois stations FM musicales
Skyrock, NRJ et Fun Radio, dont plus de la moitié de l'audience est générée par
les 15-24 ans. Côté cinéma, une régie comme Médiavision Plus, dévolue à
l'événementiel, multiplie les opérations d'échantillonnage et mises en avant de
produits dans les salles en direction de cette cible accro au grand écran.
Après la pose d'appuis-tête aux couleurs des marques sur les fauteuils, mise en
oeuvre en 2001, la régie prolongera cette année la personnalisation à
l'extérieur des salles, dans les bars à confiserie via une présence de marques
sur les gobelets de pop corn et boissons.
PRIME AUX CHAÎNES THÉMATIQUES
En dehors des opérations classiques exclusives cinéma,
les responsables de Circuit A ont, pour leur part, choisi de cibler en
complément les jeunes internautes surfeurs sur les sites dévolus au grand
écran. « Il existe une forte proximité de profil entre les 15-24 ans et
Internet puisque 23 % des internautes appartiennent à cette tranche d'âge
contre 16 % dans la population totale, explique Xavier Thissen, responsable
multimédia chez Circuit A. Par ailleurs 36 % des 15/24 ans cinéphiles sont des
internautes. » S'ils composent une large partie des adeptes du cinéma, les ados
sont, en revanche, moins téléphiles que leurs aînés. Selon Médiamétrie, les
15-24 ans regardent la télévision 2 h 05 par jour contre 3 h 24 pour les plus
de 15 ans.
Sandrine Vielle (MTV France)
: "L'objectif de la création de MTV France
est de coller au plus près des attentes des jeunes français, mais aussi suisses
et belges."
Mais si leur consommation a diminué jusqu'en 1996, elle a augmenté depuis 1997,
période où ont commencé à émerger les chaînes thématiques, et notamment
musicales, sur le câble et le satellite. Sur quelles chaînes ont-ils le plus
volontiers les yeux rivés ? Le Téléreport de Médiamétrie, mené entre janvier et
mars derniers, par exemple, ne révèle pas franchement de scoop. Comme pour les
25 ans et plus, TF1 est là encore le leader incontournable (33,5 %). Ils se
démarquent ensuite de leurs aînés en regardant moins France 2, France 3 et la
Cinquième, et davantage M6, Canal + et les chaînes du câble et du satellite. A
l'intérieur de ces dernières, leur choix s'oriente en priorité vers les
fictions et la musique. « Mais là aussi, ce sont des cibles au comportement
volatile, note Nadine Medjeber. En matière de chaînes musicales, par exemple,
il ne s'agit pas de musique en général mais de courants bien précis qui les
amènent à regarder telle émission et pas telle autre. » Un comportement qu'ont
su prendre en compte des chaînes comme MTV ou MCM. Ciblée sur les 16-34 ans,
avec un coeur de cible sur les 16-24 ans, MTV Europe a notamment affiné son
ciblage en France avec la création en juin 2000 de MTV France. « C'est le
résultat de la politique de régionalisation entamée en 1997, explique Sandrine
Vielle, directrice du marketing de MTV France. L'objectif est de coller au plus
près des attentes des jeunes français mais aussi belges et suisses. Auparavant,
il y avait à la fois un décalage avec leurs goûts musicaux et aussi un décalage
entre les sorties de disques et le calendrier musical français. » La création
de MTV France s'est traduite par toute une série de modifications dans la
grille. Le problème de la langue anglaise, régulièrement soulevé lors des focus
groupes, a été réglé par un nouveau concept de VO sous-titrée qui ne procède
pas d'une traduction littérale mais qui s'attache au sens. « Les jeunes ne
voulaient pas de doublage pour ne pas perdre la dimension internationale de la
chaîne », précise Sandrine Vielle. Une navigation antenne, avec des bandes
promotionnelles en français, a également été créée pour répondre aux critiques
des jeunes téléspectateurs qui se plaignaient de ne pas avoir de rendez-vous
fixes. L'émission MTV French Link a été programmée pour cibler ces jeunes
"Frenchies". La dernière étape en date de l'installation française de MTV est
le lancement du site mtv.fr, en juillet dernier, et la création d'une régie
publicitaire en interne, après avoir été confiée auparavant à IP. En dehors de
ses sponsors type Nescafé, Carlsberg, Intel Pentium qui suivent la chaîne
depuis des années, MTV s'associe en France régulièrement avec des radios
hexagonales comme Radio FG ou NRJ en fonction d'une thématique précise. Si MTV
joue exclusivement auprès des ados sur son positionnement 100 % musical, ce
n'est pas le cas de MCM. « MCM n'est pas une chaîne uniquement musicale, c'est
ce qui en fait sa spécificité et son attractivité sur la cible, explique
Yannick Lacombe, responsable marketing TV chez Lagardère Active Publicité.
Lagardère Média a déployé de gros efforts pour être plus une généraliste des
15-24 ans, destinée à capter les centres d'intérêt de cette génération que sont
les sports de l'extrême, le cinéma ou les séries culte. » MCM se targue ainsi
d'être la première chaîne thématique en termes de partenariat avec le cinéma.
Par ailleurs, la chaine utilise le MCM Café pour étendre sa présence auprès des
ados. Après Paris, des projets sont envisagés autour de thématiques musicales
comme le rap à Marseille ou le rock à Bordeaux. « Ce n'est pas simple pour une
chaîne d'avoir un discours légitime, on a vite fait de tomber dans le jeunisme,
constate Yannick Lacombe. D'où la volonté d'accentuer notre politique
d'infiltration du terrain sous différentes formes. » Trouver le ton juste pour
toucher ces ados, en ne s'adressant pas à eux en bloc mais plutôt en utilisant
un discours tribal, tel est le leitmotiv de l'ensemble des responsables des
médias. « Quel que soit le dispositif que l'on emploie, il faut qu'il ait du
fond, résume Nadine Medjeber. Il ne faut pas en faire trop, ne pas essayer de
faire jeune pour faire jeune car, sur le sujet des médias, ils sont à la fois
très calés et mâtures. »
DEUX OU TROIS CHOSES QUE L'ON SAIT D'EUX
Durée moyenne d'utilisation hebdomadaire d'Internet : 55mn pour les 11-14 ans, 1 h 12 pour les 15-17 ans, 1 h 18 pour les 18-19 ans. Internet, c'est une aide au travail (82 %), échanger, discuter avec des amis (79 %), se divertir (78 %). Télévision : ils sont 59 %, contre 53,3 % en 1999, à disposer d'un poste de télévision qui leur est réservé (54 % pour les filles, 64 % pour les garçons). Ils imposent leurs choix sur les programmes : 83 % de 18h à 19h, 73 % de 19h à 20h, 64 % de 20h à 20 h 30, 87 % après 20 h 30 quand il n'y a pas cours le lendemain, 54 % quand il y a cours le lendemain. Presse écrite : 71 % lisent des journaux ou magazines. Cinéma : 90 % sont allés au cinéma dans les 12 derniers mois. Source : Consojunior, résultats intermédiaires, novembre 2001, tranche 11-19 ans.