[Billet] Emporté par l'empowerment !
"Sens dessus dessous" : tous les quinze jours, la spécialiste du langage Jeanne Bordeau analyse le sens et le poids (marketing) des mots. Aujourd'hui, la force de l'empowerment.
Le mot est sur toutes les lèvres. Les sociologues et les politiques l'apprécient. Les marques aussi. Seulement, derrière ce concept popularisé par Barack Obama, il reste un océan d'interprétations possibles.
I have a dream...
L'empowerment, enraciné dans les cités de Chicago après la crise de 1929, a longtemps ignoré l'univers des marques et du marketing. Ce terme a nourri l'engagement des féministes américaines puis a assuré un triomphe à Obama en 2008.
Sa traduction en français ? Autonomisation, affranchissement, accroissement de pouvoir.
Certains préfèrent remplacer empowerment par "capacitation", les Canadiens notamment. Capacitation provient du latin "capax". "Capax" désigne la capacité.
L'empowerment indique la capacité d'un individu à prendre conscience de son pouvoir et de sa liberté d'agir.
Liberté chérie
IPSOS confirmait en juin 2015 que le consommateur a pris le pouvoir. La tendance se résume en deux formules : "Moi consommateur, ma parole est d'or ! Moi la marque, je m'adapte !". S'ajoute à cela, cet autre constat : "Ce n'est pas parce que les marques parlent qu'on les écoute, qu'on leur répond, qu'on les vante. C'est parce qu'elles le méritent."
On a entendu les expressions "consom'acteur", "consommateur collaborateur de la marque"... et se dessine même une autre période : celle du prosommateur.
Prosommateur pour "pro" car l'individu peut produire ou co-créer ce qu'il souhaite acquérir. Le prosommateur ne traduit-il pas la victoire complète de l'empowerment ?
Brand empowerment, c'est possible ?
L'histoire n'est pas si simple. Quand, par magie, l'empowerment se met en scène dans le monde des marques, une confusion se fait jour. Certaines marques commencent de mettre à profit la liberté accordée au consommateur pour le solliciter et en faire un co-créateur qu'elles guident subtilement. Ainsi ModCloth, un site américain de vente de vêtements à tendance "vintage" a donné du pouvoir à ses fans. Comment ? En les transformant en "acheteurs".
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Vous votez pour des modèles présentés en ligne par des designers. Si ces modèles recueillent suffisamment de votes, ils seront fabriqués et commercialisés.
D'autres vont plus loin et associent cet empowerment à un "enrôlement". Une marque aurait le pouvoir d'enrôler le consommateur. Véritable ambassadeur de la marque il s'exprimerait sur les réseaux sociaux pour convaincre ses contemporains de le rejoindre, au pays de son icône préférée.
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Que le consommateur soit un " prosommateur " ou un ambassadeur, est-il fondamentalement libre ? Est-ce que dans le grand cerveau mondial du web, on choisit encore ? Est-ce que l'on ne fait pas qu'accomplir des choix dans des choix préétablis ? Certes Facebook offre des émoticônes pour exprimer ses ressentis. Mais, le débat s'installe : une liberté organisée en un écosystème discrètement réfléchi est-elle un réel affranchissement ? Sera-t-il possible un jour d'acheter, vivre et penser sans passer par les voies balisées du numérique...
L'auteur : Jeanne Bordeau est la créatrice d'un bureau de style en langage, l'Institut de la Qualité de l'Expression, auquel des entreprises françaises et internationales confient des missions de diagnostic et de création en langage.
À l'origine d'inventions et de méthodes déposées à l'INPI (Charte sémantique, École de rhétorique, Baromètre de mesure de la qualité de l'écrit...), Jeanne Bordeau est aussi conférencière, enseignante à la Sorbonne et au MBA ESG stratégie de communication digitale (MSCD). Artiste, elle expose des tableaux de mots qui créent, chaque année, un observatoire de tendances linguistiques.Suivez-la sur Twitter @JeanneBordeau
Et sur son blog institut-expression.com
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