Ice Bucket Challenge, l'overdose marketing
Ou comment une belle initiative, devenue phénomène planétaire, se retrouve logiquement récupérée par McDonald's, Coca-Cola, ou Samsung.
Je m'abonneSi votre collègue de bureau ou votre voisin(e) de palier arrête soudainement ses activités pour se verser un seau d'eau glacée sur la tête, pas de panique, c'est normal ! Cela veut juste dire qu'ils auront été désignés sur Internet par des proches ou des "amis Facebook" pour participer au Ice Bucket Challenge, une initiative lancée sur Internet pour soutenir la recherche et financer la lutte contre la maladie de Charcot, également appelée "sclérose latérale amyotrophique (SLA, ou ALS en anglais)".
Mark Zuckerberg, Bill Gates, Lady Gaga ou Johnny Hallyday
L'idée du ALS Ice Bucket Challenge (le défi du seau d'eau glacée pour soutenir les malades atteint de la SLA), phénomène unique de viralité planétaire à l'ère des réseaux sociaux, n'a rien de prémédité. Elle est apparue par hasard il y a quelques semaines sur la côte Est des États-Unis.
Chris Kennedy, un golfeur de Sarasota (Floride) dont l'un des proches est atteint par la maladie, est le premier à opérer la jonction. Sous le hashtag #StrikeOutALS, il lance un défi à ses proches auxquels il propose soit de se verser un seau d'eau glacée sur la tête (pour faire le buzz) soit, à défaut et pour les plus frileux, d'accepter de verser 100 dollars à l'Association ALS qui s'occupe de réunir des fonds pour, notamment, accompagner les patients.
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Le phénomène prend et parvient aux oreilles d'un certain Peter Frates, ancien joueur de base-ball professionnel, lui aussi touché par l'ALS. L'entourage de l'ex-athlète relève le défi. Une partie de la classe politique américaine se penche alors sur la question et c'est ainsi que le Gouverneur de l'État du New Jersey, Chris Christie, après s'être plié au rituel, désignera à son tour le co-fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, qui une fois tout mouillé invitera son ami Bill Gates à entrer dans la danse et ainsi de suite... jusqu'à Lady Gaga, Anna Wintour, Johnny Hallyday, Pierre Ménès et... votre voisin(e) de palier.
L'équivalent d'un petit Téléthon
Aux États-Unis, l'Association ALS, qui au départ n'avait rien demandé, se retrouve au centre d'une dynamique humanitaire sans précédent, mais aux retombées financières somme toute assez modérées pour un phénomène d'une telle ampleur. Le 22 août, l'organisation caritative a indiqué avoir reçu entre le 29 juillet et le 21 août 2014 plus de 70 millions de dollars (53 millions d'euros) contre 2,5 millions de dollars l'an passé à la même époque.
Des dons provenant des donateurs habituels, mais aussi de 1,1 million de nouveaux donateurs que l'on devine sensibilisés à la cause par le biais du Ice Bucket Challenge. A titre de comparaison, en France, l'édition 2013 du Téléthon avait enregistré 78 millions d'euros (103 millions de dollars) de promesses de dons. Le tout en 24 heures.
Forcément, le "défi" a connu son lot de réussites (Bill Gates et son dispositif à faire breveter) et de ratés. Ce fut également l'occasion d'une (parfois pathétique) foire aux vanités low-cost de la part de célébrités, ou de demi-célébrités aussi promptes à se faire verser un seau d'eau glacée sur la tête qu'elles ignoraient jusqu'ici l'existence de la maladie de Charcot. Certains, à l'instar de l'acteur Patrick (Star Trek et X-Men) Stewart, ont su trouver le ton juste, en libellant un chèque à l'ordre de l'Association ALS avant de se servir un whisky bien frappé.
Facebook a indiqué lundi 18 août que plus de 28 millions d'internautes avaient évoqué l'initiative du Ice Bucket Challenge sur le réseau social, soit en postant une vidéo, soit en rédigeant des commentaires, soit en "likant" du contenu. Pour le réseau social, ce succès inattendu tombe plutôt bien. Il permet en effet d'éclipser d'autres types de défis lancés cette année sur Facebook, qui, à l'instar du Neknomination ou d'un "A l'eau ou au resto", ont souvent brillé par leur stupidité et leur dangerosité.
Aujourd'hui, le phénomène Ice Bucket Challenge est logiquement récupéré, avec plus ou moins de subtilité et à des fins publicitaires, par de grandes marques comme McDonald's, Coca-Cola ou Samsung. Mais gare au retour de buzz si la communication s'avérait maladroite ou mal maîtrisée.
Le succès de cette initiative, aussi réjouissante qu'elle soit, pose néanmoins plusieurs questions. Tout d'abord, on ne peut pas nier que l'Ice Bucket Challenge ait eu un impact positif en terme de financement et de sensibilisation de l'opinion publique aux effets de la maladie de Charcot.
Il est toutefois permis de s'interroger sur le suivi d'une telle initiative en "année 2", une fois passé l'ouragan médiatique. Par ailleurs, tous les internautes qui ont pris part à ce défi ont-ils une fois leur petite minute de gloire en ligne dissipée, réellement versés leur obole à l'Association ALS? Les premiers chiffres disponibles tendraient à prouver que tel n'est pas le cas. Ensuite, quid des quantités d'eau (denrée précieuse dans beaucoup de régions du monde) utilisées pour s'exhiber en ligne (fut-ce pour la bonne cause)?
Par son côté spontané, l'idée mise en forme par le golfeur de Floride, Chris Kennedy, une idée dont on devine qu'elle n'aurait peut-être pas connu le même sort si elle avait été lancée par la direction marketing d'une entreprise. Cette idée est-elle reproductible pour une autre cause?
Deux personnes en ce bas monde ont peut-être la réponse. En Inde, une journaliste de 38 ans, Manju Latha Kalanidhi, a imaginé un Rice Bucket Challenge. Le principe (à relayer à titre d'exemple sur les réseaux sociaux) : acheter et/ou cuisiner un paquet de riz et l'offrir à quelqu'un dans le besoin.
Toujours en écho au Ice Bucket Challenge, Edith Yah Brou, une blogueuse ivoirienne, a eu l'idée de lancer à son tour sur YouTube une vidéo (postée le 20 août et déjà visionnée 2038 fois), accompagnée sur Twitter du hashtag #MousserContreEbola. On attend de voir si ces initiatives seront couronnées de succès. Ou à tout le moins, si elles seront relayées par les centaines de milliers d'internautes qui, cet été, ont tant aimé se verser des seaux d'eau glacée sur la tête.