[Tribune] Influenceurs digitaux et marques : les liaisons dangereuses ?
Les relations blogueurs-marques sont complexes, mais bien maîtrisées, leur efficacité est incomparable.
Je m'abonneLa blogosphère, microcosme emblématique de la libre-pensée sur Internet, est-elle encore libre et indépendante ? Nombreux sont ceux à en douter. Sursollicités par les marques, envahis de cadeaux, accaparés par les événements et les soirées organisés çà et là, les blogueurs prennent-ils encore le temps de choisir leurs sujets ? En novembre dernier, la blogueuse Betty Autier confiait au magazine Paulette qu'elle gagnait chaque année entre 300 000 et 500 000 euros par an, soit le salaire d'un banquier d'affaire (lire sa déclaration ici). Une activité devenue si lucrative qu'elle attise naturellement fantasmes et accusations.
Mais qu'en est-il vraiment ? La nature des relations entre annonceurs et blogueurs serait-elle compromettante et hasardeuse ?
Un relais crédible, et affectif
La personnalité engageante des blogueurs ainsi que leur talent certain pour la mise en scène et l'écriture leur a permis au fil des années, de gagner la confiance et la sympathie de leurs lecteurs et d'être en somme, reconnus comme " l'un des leurs ". Un travail de longue haleine qui explique aujourd'hui l'incroyable succès de certains d'entre eux. Les blogueurs ont un style, " une patte " diraient certains, ou plus exactement une ligne éditoriale qui leur est propre.
Mais parce qu'ils ne sont pas journalistes - et non rémunérés par une rédaction - la production régulière de contenu peut s'avérer délicate et coûteuse. Et c'est sur ce point que blogueurs et marques trouvent un intérêt commun à coproduire du contenu. En invitant les blogueurs aux événements, aux soirées et aux expériences de marque qu'ils leur proposent, ils fournissent à ces derniers du contenu qualitatif et exclusif qui entre dans leur ligne éditoriale.
La contrepartie est très avantageuse pour les marques. Il est en effet judicieux de combiner une stratégie social media, par nature tactique et ponctuelle, avec des publications sponsorisées sur les blogs qui, davantage pérennes, améliorent la visibilité et le référencement des campagnes sur le long terme. Dans une société où " votre marque n'est pas ce que vous en dîtes mais ce que Google en dit" (d'après l'ancien rédacteur en chef de Wired, Chris Anderson), il est primordial de favoriser durablement la visibilité des campagnes sur les moteurs de recherche.
Par ailleurs, parce que les blogueurs sont très attachés à leur liberté d'expression ainsi qu'à la cohérence de leur ligne éditoriale, ces derniers ne se contentent pas de relayer un message. Ils s'approprient et contextualisent le contenu de marque, lui conférant alors un capital sympathie qu'il est de plus en plus difficile d'acquérir au moyen de la communication traditionnelle. Ainsi quand le blogueur Prince Pelayo, auteur du blog Kate Loves Me fût invité à la soirée de présentation de la dernière campagne Lacoste, il personnifia les informations à sa manière : " C'est ce que j'aime à propos de Lacoste, un esprit de liberté que cette nuit-là, sous l'égide du message Life is a Beautiful Sport, nous avons tenté de transmettre au reste du monde depuis la ville de Paris". Une manière pour les marques de s'insérer plus efficacement dans le quotidien de ses cibles.
En respectant leur ligne éditoriale, les blogueurs conservent la confiance de leurs lecteurs. Face à l'abondance des propositions qui leur sont faites, ils ont désormais le luxe de pouvoir choisir avec quelles marques ils désirent collaborer, à l'instar de ce que déclarait (1) la bloggeuse la plus influente du monde, Chiara Ferragni : " Je reçois 300 propositions différentes par jour. Cela me permet de choisir mes projets de manière ultra-minutieuse". Les blogueurs conservent donc leur liberté dans le choix de leurs sujets. Ils ne sont pas simplement " achetés " par les marques, mais seraient plutôt convaincus par ces dernières de la pertinence du contenu proposé pour leurs lecteurs.
Si ce constat dédouane les blogueurs d'une prétendue allégeance aux annonceurs, il pose en revanche des questions concernant les conditions de la mise en place d'une stratégie d'influence.
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(Trois conseils pour réussir en page 2)
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Le succès du marketing d'influence ? Ne rien laisser au hasard...
Le succès du marketing d'influence repose donc sur un fait : le blogueur ne doit en aucun cas devenir un canal de communication comme un autre. Seule sa crédibilité et son indépendance sont les garants de l'efficacité des messages qu'il relaie. En conséquence, le marketing d'influence est une stratégie à part, qui nécessite une expertise et une profonde connaissance de la blogosphère.
Il faut en premier lieu savoir différencier les " vrais " influenceurs - ceux qui possèdent une communauté de lecteurs - des " faux ", qui achètent de l'audience pour gonfler leur apparente popularité digitale. Miroir illusoire de notoriété, le nombre de followers ou de fans ne permet pas toujours de juger de l'influence d'un compte. Dans un contexte de restriction budgétaire, il est primordial pour les marques d'éviter cet écueil car tout argent investi dans l'un de ces faux comptes est en réalité dilapidé inutilement.
Savoir être écouté
Après avoir dissocié les vrais comptes des faux, la seconde étape consiste à identifier ceux qui sauront servir au mieux les intérêts de la marque auprès des cibles concernées. Il convient alors de ne pas confondre visibilité et influence. Un blogueur qui possède une audience importante est fortement visible et sera lu et vu par un grand nombre d'internautes. Cela ne signifie pas pour autant qu'il sera écouté. L'exposition est un critère important mais non déterminant de l'influence. Un individu ne sera réellement influent que s'il est capable de changer les opinions, de susciter des réactions et des conversations autour d'un sujet. Pour être influent, un blogueur ne doit pas seulement posséder une audience importante mais doit entretenir un rapport de proximité et de confiance avec ses internautes.
Après avoir identifié les influenceurs adaptés à la campagne, il est alors impératif de capter leur attention et sur le long-terme, de construire une relation de confiance. Parce qu'il est impossible d'acheter leur attachement à une marque, il est nécessaire de les impliquer dans la production de contenu. Il ne s'agit pas de leur offrir des cadeaux ou autres incitations dont ils sont submergés, mais de leur faire vivre des expériences uniques qui les surprennent et les touchent, au point de les convaincre d'écrire une publication à ce sujet. C'est cette stratégie qui fût adoptée par la marque Polo Ralph Lauren en Espagne ; la marque accompagne et finance la tournée de shooting photo de la bloggeuse de mode Sara Escudero (du blog Collage Vintage) dans différentes villes d'Espagne et se voit en contrepartie mentionnée dans de multiples publications de la jeune femme.
Le succès du marketing d'influence n'est plus à prouver... mais encore faut-il savoir l'utiliser de manière efficace sur le long terme. Les marques doivent aujourd'hui construire leur relation avec les blogueurs et les envisager comme des partenaires de création de contenu et non comme de simples relais de communication. L'émergence d'agences spécialisées dans ce domaine est le reflet le plus significatif de ce nouvel enjeu.
L'auteur : spécialiste de la communication digitale et publicitaire depuis plus de 15 ans, et après avoir occupé des fonctions dans les pôles marketing et communication de plusieurs agences, Benoît Bergeaud prend en 2001 la direction de l'Agence 1969 (agence conseil en communication digitale).